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un aveuglement groffier de penfer qu'on a rempli toute l'étendue de fes devoirs, quand on a fatisfait à la lettre des préceptes; mais c'eft une illufion dangereufe de prétendre conferver la vertu dans l'ame, tandis qu'on en abandonne les dehors.

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PRIERE.

Dieu! Qu'il me reste donc encore à réformer au dedans, puifqu'il m'échape encore tant d'irrégularités dans la conduite; l'imprudence, la légereté, les fauffes démarches, les difcours indifcrets, les airs diffipés, les folles effufions de joie. C'eft à ces traits que je me reconnois par tout moimême. Hélas! quand eft ce donc que ma vie fera honneur au Maître que je fers? Quand ma fagefle fera-t-elle la gloire de celui que j'ofe appeller mon pere? Ah! Seigneur, que ce nom que vous m'avez permis de vous donner, vous engage aujourd'hui à me rendre digne de vous dans le corps comme dans le détail de mes actions. Faites donc que je fois parfait comme non pere du Ciel eft parfait que je fatfe tout par proportion comme vous, avec nombre, poids & mesure, afin que je puiffe me laiffer voir fans vous déshonorer, & queles hommes n'apperçoivent plus rien en moi qui ne leur foit un fujet de vous. louer, ou un engagement à vous fervir..

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DE L'EVANGILE.

Que dites-vous de vous-même? Jean. c. 1. L n'eft point de témoignagne plus fufpect, & prefque toujours plus faux, que celui que nous nous rendons: notre vanité nous aveugle; nous nous repaiffons fouvent de l'idée d'un mérite qurn'eft apperçu que de nous; nous méconnoiffons des défauts qui ne font ignorés de perfonne : la vérité qui nous condamne, s'offre inutilement à nos efprits; nous ne favons pas nous blâmer; l'amour propre tourne tout à fon avantage, & nous fait dire de nous le bien & le mal avec la même complaifance. Il faudroit donc toujours être forcé par quelque néceffité pour expliquer ce qu'on penfe de foi, fur-tout quand il s'agit de fe louer. Que la louange nous vienne d'une bouche étrangere, c'eft le précepte du Sage, pourvû que les autres l'obfervent dans les circonftances convenables; mais c'eft, felon S. Paul, une efpéce de folie de fe louer, quoiqu'on y foit contraint. Les occafions en font rares, & fi nous étions fidéles à retrancher celles que notre propre penchant fait naître, nous aurions une tentation de moins dans la vie, nous parlerions peu, fi nous nous condamnions à ne jamais parler de nous les premiers.

Mais il ne faut fouvent ni nous preffer ni nous interroger: il n'eft point de fecret

qui nous péle plus que celui du bien que nous faifons, ou des talens que nous croyons avoir; rien ne coûte tant à notre orgueil qu'un mérite ignoré; nous brûlons de nous faire connoître, & fouvent nous facrifions nos plus grands intérêts à cette impatience; nous parlons avec les plus preffantes raifons de nous taire, dans toutes fortes de lieux, devant toutes fortes de perfonnes, fans égards, fans ménagemens, fans bienféance. Les converfations languiffent pour nous, dès que nous ceffons d'en être le fujet en tout ou en partie: nous ramenons-là le fil des entretiens les plus détournés, & nous avons toujours quelque espéce d'éloge prêt à nous donner, pour faire diverfion fur les louanges des autres. Ce moi que la politeffe même du monde voudroit bannir de toutes les bouches, revient à tout propos dans la nôtre : nous irritons la vanité de ceux qui nous reffemblent nous donnons, à leurs yeux, un ridicule qu'ils ne nous pardonnent point: nous nous expofons au mépris des plus modérés: nous découvrons notre foibleffe aux flatteurs, nous leur ouvrons une route fûre pour aller à notre cœur, & pour aller à leurs fins C'eft ainfi que l'orgueil eft la fource de l'imprudence; & la langue de l'imprudent, l'inftrument de la perte. Profitons de ces avis : c'eft le Saint-Elprit lui-même qui nous les donne par la bouche du Sage.

nous

PRIERE.

Ui, mon Dieu, je reconnois que la facilité de parler de moi-même, eft une des plaies de mon ame dont je dois le plus gémir. Je conçois toute l'injuftice de ce penchant; je vois tout ce qu'il y a de méprisable, je fens tout ce qu'il y a de dangereux, & ces réflexions ne me guériffent pas encore : l'occafion me retrouve toujours avec toute ma foibleffe; mes réfolutions font vaines, & je me laiffe emporter à une tentation dont je ne redoute pas affez les fuites. Daignez donc, Seigneur, me regarder en pitié; daignez gouverner vous-même ma langue ; foyez fatis ceffe fur mes lévres, comme une garde de circonfpection & de fageffe; foyez fur-tout dans mon cœur, puifque c'eft toujours de fon fonds & de fon abondance que partent les påpa. roles: humiliez-le ce coeur par votre vérité; découvrez-lui toute la profondeur de mon néant, afin que la modeftie de fes fentimens fe répande toujours dans mes difcours, que l'amour de mon devoir & le defir de mon falut, m'infpirent une retenue que le monde même a mife au rang des bienféances, & qu'au lieu de réveiller l'orgueil des autres, mes entretiens ne foient plus propres qu'à leur infpirer une humilité véritable.

I

POUR LE MERCRE D I.

DE L'EPITRE.

Le Seigneur n'eft pas loin. S. Paul Philip. c. 4.

N

dire

du jufte & de l'imple, c'est
que la grande différence

que l'un perd de vûe les jugemens du Seigneur, & que l'autre les a fans ceffe préfens. Le mal ne fe commet pas toujours avec un deffein réfléchi & déterminé un refte de refpect pour Dieu, ne permet pas au pécheur d'être indifférent à fa difgrace; & il craindroit du moins les rigueurs de fa juftice, s'il y penfoit, & s'il la croyoit plus proche. C'eft donc toujours par l'oubli qu'il commence, la crainte s'évanouit enfuite, & c'eft la fécurité qui le conduit aux derniers excès. Qu'on s'imagine, au contraire, une ame attentive qui voit fans ceffe Dieu comme devant elle, & qui fe fouvient toujours qu'elle agit fous fes yeux:: quel frein pour les paffions! Quelle fource de religieufes frayeurs! Quelle langage énergique & capable de frapper les plus fourds! Celui qui doit me juger n'eft pas loin; il eft lui-même témoin de toutes mes œuvres; il découvre & mes actions, & le principe qui me fait agir il ne peut me venir une penfée, je ne faurois former un defir qui ne lui foit connu, & rien n'échape à fes regards. Où

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