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Avons-nous moins de raifon de nous effrayer que ceux qui verront ces derniers maux du monde ? Le fpectacle en fera terrible, & nous devons fouhaiter que Dieu l'épargne à notre foibleffe. Les peurs extrêmes ôtent le confeil. L'ame toute occupée de l'image de fes périls, n'apperçoit point fes reffources: on fe laiffe accabler fous des coups qu'on auroit pû détourner. Tous les hommes feront effrayés des prélages du dernier jour, & pea se convertiront: la raifon & la foi les abandonneront dans ces tragiques circonftances où ils devroient plus que jamais faire ufage de l'une & de l'autre ; & ils feront absorbés dans un trouble à ne favoir quel parti prendre: c'est l'expreffion du texte Grec. Mais, après tout, pour nous engager à fuir la colere du Seigneur, faut-il attendre que toute la nature fe boulverfe? Un danger plus preffant nous menace nous habitons une maifon de boue qui tombe fous fon propre poids; un corps fragile dont le moindre effort peut déranger les refforts: un grain de fable qui s'arrête, une goute d'eau qui fe détourne de fon cours; voilà, pour chacun de nous, le renversement du monde. Qu'importe, en effet, que tout fe foutienne autour de nous, fi nous fommes enfevelis nous-mêmes fous nos propres ruines? Les Cieux, à la vérité, ne feront point ébranlés pendant notre vie. Tout fera réglé, fi l'on veut, dans leurs révolutions, tout fub

fiftera encore dans fon premier ordre : mais le cours de nos humeurs fe déréglera, tous les principes de la vie feront détruits en nous, & la fin de nos jours avancera pour nous celle du fiécle & l'arrivée de notre Juge. Examinons-nous férieufement. Qui eft-ce qui ne feroit pas faifi de terreur s'il connoiffoit, & s'il fongeoit combien peut-être il s'en faut peu qu'il ne ceffe de vivre ? C'eft un bonheur qu'une telle crainte ne nous trouble pas jufqu'à nous rendre incapables des foins du falut, puifque dès-lors elle cefferoit d'être utile & raifonnable. Mais, pour ne pas en être furpris, n'oublions pas du moins que nous pouvons mourir, & que nous mourons en effet tous les jours. Ces réflexions & ces vérités nous font devenues familieres, parce que tout nous les rappelle fans ceffe ; mais elles n'ont rien certainement perdu de leur force & de leur réalité pour avoir été propofées & rebattues tant de fois. Qui n'en profite pas fe trouve absolument inexcufable: mais celui qui les néglige, & qui veut bien les oublier, mérite bien auffi la peine de la furprife, & s'expose trop visiblement à un jugement fans miléricorde...

PRIERE.

Dieu! Quelle fource d'alarmes pour moi! Non, je n'attendrai pas, pour m'effrayer, que les loix de la nature fe démentent à mes propres yeux. Le grand sujet

de mes frayeurs, c'est de voir l'univers fubfitter, tandis que je me détruis. Le monde vieillit, mais il ne s'ufe point: pour moi, je meurs à chaque instant ; & c'est la vie même qui m'approche du tombeau. L'âge m'épuise infenfiblement, & je ne vis prefque plus, quand je fuis près de remplir le nombre des jours que vous m'avez comptés. Faites du moins, Seigneur, que fans cefle attentif à cette défaillance, je trouve, dans mon infirmité même, une refsource contre les furprifes de la mort. Soutenez-moi dans cette vigilance chrétienne; mon caractére particulier en a befoin. Et puifque chaque moment que vous m'accordez m'avertit de ma derniere heure, que je ne néglige pas de m'y préparer!

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La nuit s'enfuit, & le jour s'avance. Rom. 13.

LA

A vie préfente n'eft proprement qu'une fombre nuit: tous les cœurs y font couverts d'une obfcurité profonde; les bons y font mêlés avec les méchans, & fouvent on ne les difcerne pas les uns des autres : c'est même, pour la plûpart, l'heure des pécheurs comme le régne du péché ; & c'est à la faveur des rénébres qu'il exerce ici bas fa puiffance. S'il falloit toujours le commettre en public,

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on rougiroit de la honte qui l'accompagne on craindroit la peine qui le fuit; mais le fecret nous raffure, & l'impunité nous enhardit. A quoi penfons-nous, & quel eft notre illu fion! Nous comptons pour rien les petites fautes quand elles font cachées. Le crime peut nous caufer encore quelques alarmes : mais l'innocence facrifiée coûte toujours bien moins de regrets, quand l'honneur eft confervé. Nuit de ce fiécle! Funefte nuit ! tu ne dureras pas toujours. Le jour de l'Eternité s'approche, ce grand jour de la révélation de toutes chofes. Les livres des confciences feront lûs, & il n'eft rien de fi caché qui ne foit enfin découvert.

Découvrons-nous donc nous-mêmes à nous-mêmes, & aux yeux de la vérité qui perce dans les replis les plus intimes de notre cœur. Rejettons loin de nous toute œuvre de ténébres; renonçons, fans réferve, à l'iniquité la plus cachée; le myftére en durera trop peu pour en faire aimer le plai ir. Notre amour propre nous fera peut être fidéle; nous fauverons, pour un moment, une je ne fai quelle réputation qui nous eft chere; & notre orgueil qui ne fe repaît que de chiméres, fe trouvera fatisfait pendant un temps; mais notre vaine gloire ne defcendra pas avec nous dans le tombeau: Dieu révélera notré turpitude à la vûe de l'univers; il ouvrira fur nous les yeux que nous craignons le plus. Nous ferons connus

pour ce que nous fommes, de ceux que nous aurons le plus à coeur de tromper ; de ceux dont nous aurons féduit la fimplicité ou attiré les regards, dont notre hypocrifie aura joué la bonté ou amufé la crédulité, dont nous aurons enfin furpris l'eftime & cherché ou ufurpé les éloges: Aurions-nous le courage de leur en impofer fi nous étions affûrés qu'ils dé couvriront bien-tôt l'impofture? Quelle folie! Nous mourrions de douleur d'avoir été furpris dans quelque action honteufe. Nous cachons avec foin nos vices aux hommes, &. nous péchons devant celui qui doit un jour leur révéler tout. A quoi nous fervira d'avoir évité, pour un moment, un opprobre qui doit être éternel?^

Q

PRIERE.

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Uelle priere oferai-je ici vous adreffer, ô mon Dieu, & quels reproches ma confcience ne peut-elle pas me faire fi je veux l'écouter? Souvent & trop fouvent je n'ai pas craint de faire le mal en votre présence, & je croyois n'être point vû quand c'étoit vous feul qui me voyiez. La feule crainte d'une confufion publique m'auroit détourné du mal, & l'infolence de mon orgueil étoit trop fatisfaite d'avoir fû l'éviter. Ah, Seigneur! Auriezvous été trop vengé de cet outrage quand vous m'auriez expofé alors fans ménagement au mépris de tous les hommes? Eft-ce par colere ou par bonté que vous m'avez tant de fois

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