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tions du falut nous donnent, ne font, pour ainfi dire, qu'effleurer l'ame: il faut qu'elle s'applique long-tems à ces nouveaux objets, pour en recevoir l'impreffion. Les anciens. préjugés ne fe diffipent pas tout d'un coup: on ne fe défabuse qu'à regret de certaines erreurs qui plaifent: on ne s'accoûtume aux principes folides & à l'exacte vérité qu'avec peine. Nous fommes trop corrompus & trop imparfaits pour aimer à nous voir dans ce miroir qui nous représente fans flatterie toutes nos difformités: il nous refte toujours pour elle un fond d'oppofition qui l'empêche d'agir fur nous avec toute fa force: nous nous défendons, nous capitulons. Nous ne nous rendons à l'obéiffance de l'Évangile qu'à des conditions: nous ne voulons d'abord nous foumettre qu'à ce qui nous paroît indifpenfable dans fes loix, ou moins incompatible avec nos premieres manieres de penfer. Le monde & fon efprit, la chair & l'amour propre confervent toujours fur nous quelque refte d'empire: le mépris des créatures, la fuite des plaifirs, le détachement de tous les biens préfens, font des fentimens qui ne prennent racine dans notre coeur que par les foins qu'on a de les y cultiver, & d'arracher tout ce qu'il y renaît de defirs pour la vanité. Chacun de nous à fes penchans particuliers qui le ramenent toujours aux objets de fes premiers attachemens; & la cupidité qui ne meurt jamais,

profite de tout jufqu'à fes propres débris pour rétablir fon funefte régne dans notre ame.

Ainfi, rien de fi rare qu'un fincére renoncement à foi-même. Ne nous flattons pas: l'amour propre eft chez-nous une plaie bien profonde, & qui ne fe guérit que par des rémédes fouvent réiterés, & toujours contraires aux goûts de la nature. On fe laffe de fe faire violence, de lutter inceffamment contre fes habitudes; on fe néglige; &, dès qu'on ceffe de fe réformer, on fe dérégle: ainfi, nos progrès dans la piété font toujours lents, & nos fautes fréquentes. Les penfées du temps reviennent fouvent fe mêler dans notre efprit à celle de l'Éternité: nous perdons aifément de vûe nos devoirs : le monde & la chair nous regagnent par des féductions fecrettes: la préfence des objets & la contagion des exemples, font des tentations dont nous ne nous défions pas affez: nous nous trahiffons nousmêmes, & nous tombons, par une négligenee volontaire, autant & plus que par furprise, ou par fragilité. La pénitence nous eft done néceffaire jufqu'à la fin, parce que nous fommes toujours pécheurs.

PRIER E.

E ne m'étonne plus, après cela, mon Jicu! que vous Dicu! que vous la faffiez annoncer à tous les hommes, dans tous les lieux & dans tous les temps: là s'eft réduit l'ancien ministére

& le nouveau, celui des Prophêtes, & celui des Apôtres; tous ont prêché la pénitence & cette réflexion me fait fentir aujourd'hui tout le befoin que j'en ai. Ne permettez donc pas, Seigneur, que je l'oublie jamais; que je ne me contente pas de l'avoir dans la pointe de l'efprit comme une vérité fpéculative, maist que l'inftruction falutaire en retentiffe fans ceffe aux oreilles de mon cœur ; que je croye toujours entendre ces paroles fi fouvent répé tées dans vos Écritures: Faites pénitence, afin que par une attention perfévérante à corriger, à retrancher, à réformer, j'arrive à la fainteté que vous exigez de moi pour être admis dans votre Royaume.

POUR LE MERCREDI
DE L'ÉPITRE.

Je ne me juge point moi-même ; & quoique ma confcience ne me reproche rien, je ne me crois pas pour cela fans reproche, S. Paul. 1. Cor. chap. 4.

TL n'eft rien de plus doux dans la vie que Ide de n'avoir rien à fe reprocher; on fe voit alors au-deffus des jugemens des hommes: les traits de leurs langues s'émouffent contre un coeur innocent; ce font des fléches lancées en l'air, & des coups qui portent à faux: les injuftices & les violences du monde nous en

deviennent plus fupportables ; & notre plus folide confolation dans les mauvais traitemens, eft de ne les avoir pas mérités : mais on peut ne point le fentir coupable & n'être pas pour cela irrépréhenfible. La confcience la plus en paix ne doit pas infpirer la fécurité. Eh, qui peut fe flatter de fe connoître aflez pour fe juger fans méprife, puifque S. Paul n'a ofé le faire! Le mérite de nos actions dépend du principe qui nous fait agir ; ehr, le démêlons-nous jamais avec affez de cerritude! Le vice eft fou vent fi voifin de la vertu, qu'il ne faut pas moins que toute l'attention de la foi pour en découvrir la diftance. Notre efprit peut être prévenu de mille erreurs inconnues nos lu mieres font rarement pures & fans nuages, & nous ne voyons fouvent les chofes que du côté qu'elles nous plaifent le plus. Nous nous difons quelquefois, que c'eft le devoir qui nous conduit, & ce n'eft que le penchant ; que c'eft la charité feule qui nous anime, & c'eft la vanité qui produit ce que nous éprouvons de mouvemens. Nous pouvons enfin être portés au bien par une infinité de raifons qui le rendent fort équivoque.

Ainfi, on fe donne aux exercices de la piété par goût, par humeur, par amufement, par habitude, par complaifance, par le plaifir de fe laiffer conduire à une main étrangere, peutêtre par le défefpoir de pouvoir contenter d'autres paffions; par l'impreffion d'un refpect hu

main, pour aller au but d'une ambition fecretres pour fauver la honte d'une chûte ou d'une mauvaise réputation, pour s'épargner la peine fecrette d'un jufte remord. Notre cœur, en un mot eft engagé par tant de fortes d'intérêts, que le mystére en devient comme impénétrable: il a beau s'observer de près, il se dérobe à lui-même fes propres mouvemens; & dans cette confufion de motifs, de defirs, de penchans naturels & d'impreffions étrangeres qui le remuent, s'il y a de la droiture ya dans nos intentions, s'il y a de la fimplicité dans nos vûes, nous-mêmes nous l'ignorons. Du côté de Dieu, hélas ! l'incertitude eft plus grande encore, & il nous y laiffe par de grandes vûes de fageffe: nous ne favons abfolument s'il nous approuve ou s'il nous condamne, quand même nous paroiffons le plus foumis à fa loi: la moindre réserve diminue à fes yeux le prix de l'obéiffance; & fi nous en jugeons d'ailleurs par fa conduite fur nous, elle ne nous tire pas de toutes nos craintes : quand nous le prions, reçoit-il nos voeux ou les rejette-t-il? Quelquefois il punit quand on croit qu'il fait grace; & ce que nous regardons comme un préfent de fa bonté, peut être un don qu'il nous fait dans fa colere. Quelles fources de frayeurs pour le plus jufte! Quels fujets de fe défier de fes meilleures oeuvres, & de craindre qu'une voye qui lui paroît droite, ne le conduife à la mort!

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