Page images
PDF
EPUB

der par l'indignité de mes attachemens, & qui me raprocheroient de vous, en réparant l'outrage que mon orgueil vous a fait.

POUR LE VENDREDI

DE L'ÉPITRE.

Ne jugez perfonne avant le temps ; attendez, que le Seigneur vienne. S. Paul. 1. Cor. c. 4.

L

à nos

Es mêmes raisons qui nous défendent de prononcer fur nous un jugement décifif, nous défendent de juger les autres ; nous ne les connoiffons jamais avec affez de certitude; les apparences nous trompent, & notre pénétration ne va gueres au-delà des apparences; le cœur a d'ailleurs trop de part jugemens, c'eft-là notre malheureux penchant. Il femble que l'impatience de juger croiffe en nous à proportion que nous avons moins de lumieres ; une maligne curiofité nous fait fouiller dans des cœurs qui nous font cachés; cette liberté nous flatte; nous aimons à trouver dans les autres de quoi nous juftifier, & l'envie de les trouver coupables, nous fait prendre fur eux mille travers. Nous avons de fauffes idées de ce qui peut être louable ou de ce qui ne l'eft pas; nous fommes pleins de préjugés & d'entêtemens fans raifon; nous nous failons des préventions de caprice & de

pure

pure antipathie; nous jugeons des actions par les perfonnes, au lieu de juger des perfonnes par les actions: nous condamnons dans les uns ce que nous approuvons dans les autres ; & ce qu'il y a de plus dangereux & de plus trifte, c'eft que nous n'avons garde de nous avouer ces motifs, & que fouvent même ils nous font fi cachés, que nous n'avons pas le foupçon d'en être capables.

Ne jugeons donc point avant le temps, c'eft-à-dire, avant que les difpofitions des cœurs nous foient révélés: c'eft par-là que les hommes font tout ce qu'ils font : les dehors font équivoques, & les fauffes vertus fe confondent aifément avec les véritables. Ajoutons qu'il n'eft point en cette vie de péchés ni de graces confommées. Tous les juftes ne perfévérent pas; & parmi les méchans il y en à qui fe convertiffent: ceux que nous croyons encore bons, font peut-être déja devenus mauvais ; & ceux qui font mauvais deviendront bons. Dans cette confufion de mérites, dans cette alternative de bien & de mal, dans cette incertitude de deftinée, quel jugement affûré pourrions- nous porter de ceux qui font fidéles ou qui ne le font pas ? Attendons que le Seigneur vienne, & qu'il diffipe l'obfcurité qui couvre le fond des confciences : alors il n'y aura plus d'apparences trompeufes, plus de vertus fufpectes, plus de réputations incertaines ce fera pour nous le temps de ju

Tome I.

H

ger

des autres, & pour les autres, le temps de juger de nous, parce que nous ne jugerons tous qu'avec Dieu même, & que nous n'aurons plus à craindre qu'il y ait de l'injuftice ou de la témérité dans nos jugemens.

H

PRIERE,

Atez donc, mon Dieu! hâtez notre attente, & avancez la manifeftation de vos enfans; c'est ma propre mifere qui me porte à former ce defir, & à vous faire cette priere. De toutes les épreuves où il vous plaît de mettre la piété, je n'en vois pas fouvent de plus rude, que d'avoir à vivre parmi les hommes fans favoir qui font mes véritables ennemis, ni mes véritables freres: toujours incertain fi je dois avoir pour eux de la confiance ou des réferves, fuir leur commerce ou rechercher leur amitié; toujours contraint de me défier de leurs foibleffes, fans foupçonner leur droiture; d'entrer dans leurs intérêts fans favorifer leurs paffions ; de compatir à leurs maux fans m'offenfer de leurs outrages; de fupporter leurs foibleffes fans approuver leurs fautes; de les voir rifquer leur falut fans en défefpérer: expofé fans ceffe à les irriter par mes corrections, ou à répondre de leur ame par ma négligence. Que faire pour fuffire à tant de devoirs, & les accorder? Ménager jufqu'à la fin, craindre parler, fouffrir, aimer tous les hommes,

les traiter tous comme bons ou comme pouvant le devenir, parce qu'on ne fait pas ceux qui feront éternellement mauvais, & qu'il n'eft pas permis de les juger avant le temps. O Dieu! qui l'ordonnez ainfi très justement & très-fagement,donnez-moi,par votre grace, de me foumettre à vos ordres ; & puifque vous m'accordez fi peu de lumieres, accordez-moi du moins beaucoup de fidélité.

DE

L'EVANGILE

Que les chemins tortus foient redreffés, & les raboteux unis. S. Luc. chap. 3.

Lfruits dont parle fi fouvent l'Evangile, A pénitence, pour porter ces dignes

eft un renouvellement de l'homme entier, & un glaive fpirituel qui ne doit rien épargner de tout ce que le péché a infecté au dehors & au dedans. Il faut d'abord défabuser l'efprit & réformer le coeur; mais ce n'eft pas tout, & fouvent il refte beaucoup plus à travailler pendant la vie fur ce qui vient du tempérament, de l'humeur, de l'éducation, des habitudes: c'eft cependant à quoi, pour l'ordinaire, l'on ne croit pas devoir diriger fes foins, parce qu'on connoît peu fes obligations, & l'honneur comme la reconnoiffance que l'on doit à la grace. On change d'objet, fans changer le mauvais du caractére; on se montre après la converfion, tout ce qu'on a paru dans la vie dérangée, plein de travers, d'inéga

lités, de bifarrerie, de caprices. A force d'avoir nourri & fuivi fes penchans fans contrainte, on s'eft fait une espéce de maxime générale de ne le point contraindre, de ne faire que ce qu'on veut, & de dire rout ce qu'on pense: on eft ombrageux, farouche, impatient, inquiet, difficile, fâcheux jon a pour le prochain des manieres dures, des hauteurs, des paroles aigres, & un zéle amer qui ne reflemble en rien à la charité chrétienne par-là, nous faifons encore souffrir tout ce qui nous approche, & nous croyons pourtant avoir toujours droit de nous plaindre; nous rendons la piété rebutante ou fufpecte, nous déshonorons l'Evangile & le Maître Divin dont nous prétendons être les difciples rien n'est plus contraire à fon esprit que ces défauts, & on s'en corrige peu ; trèsfouvent même on croit ne les voir que dans les autres, fans les appercevoir en foi; & on ne veut pas les avouer, parce qu'ils font devenus malheureufement trop naturels pour être fentis.

Que ceux à qui la vérité commence à les reprocher, fe rendent donc attentifs au langage qui les accufe pour les guérir ; qu'ils s'étudient bien dans les autres, & qu'ils jugent de la peine qu'ils leur caufent par celle qu'ils ont à les fupporter ; qu'ils abaiffent les collines, qu'ils ceffent de penfer trop favorablement d'eux-mêmes, & l'humilité leur dé

« PreviousContinue »