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jouir de l'affurance de s'y voir rappeller; deux fentimens qui ont pour terme le même objet, & que notre cœur doit fçavoir allier fi la foi ne s'y dément point, & s'il eft conduit par la grace.

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PRIERE,

Ui, mon Dieu ! j'entens ici votre Prophete ; & je defire, en empruntant les fentimens, pouvoir dire avec lui: Je me réjouis, & mon ame ne peut retenir les tranfports, quand la foi me dit que je dois un jour aller dans la Maifon de mon Seigneur; mais cette joie qui fait la confolation de mon exil, n'eft point, après tout, la félicité de ma patrie. Quand fera-ce, ô Dieu de mon cœur! que je paroîtrai devant vous, que vous daignerez me faire voir ce que j'efpere, & que mes defirs feront comblés par la jouiffance des biens que vous m'avez promis? Vous favez, Seigneur, les motifs particuliers qui rendent l'attente longue à mon impatience; vous favez ce qui me porte à vous demander de hâter pour moi l'accompliffement de vos promeffes: abrégez donc, s'il vous plaît, les jours de mon pélerinage; approchez-moi du moins de ma fin par une espérance vive; &, tandis que je ne vous vois point, faites du moins que je vous fente, & que je commence à vous goûzer, pour être plus fervent à vous fervir.

DE L'EVANGILE. Qu'êtes-vous allé voir dans le défert? Eft-ce un homme vêtu avec luxe? C'est ainsi qu'on S'habille dans les Palais des Princes. Matt. chap. 11.

Efus-Chrift, après avoir loué Saint Jean

Jfur la fermeté, en afturant qu'il n'eft pas un roleau agité çà & là par le vent, le loue encore fur la pénitence, en difant, qu'il ne vit point dans le luxe des habits, & dans la molleffe des fens, comme l'on fait dans les Cours des Rois. Les hommes, par l'aveuglement de leur efprit & la corruption de leur cœur, ont corrompu les deux néceffités naturelles du corps, qui font la nourriture & le vêtement; en faisant dégénérer l'un en luxe, & l'autre en fenfualité. La Religion chrétienne réforme févérement ces deux abus énormes, & Saint Jean, par fon exemple, devient le premier héros de cette Religion fainte, comme, par fes paroles, il en annonce le fondateur & le maître. Voilà pourquoi il paroît, dans le fond d'un défert, tout couvert, pour ainfi dire, de cette pénitence qui doit réformer l'homme, n'étant vêtu que de la peau groffiere d'un Chameau, & nourri de miel fauvage. Rien, fi on y fait attention, ne prouve plus fortement l'obligation de vivre dans une mortification continuelle, que ces paroles de Jefus Chrift à l'occafion de fon

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précurfeur: Ceux qui font à la Cour des Princes de la Terre, cherchent les douceurs de la terre; ceux qui font profeffion d'appartenir à un Roi dont le Royaume n'eft pas de ce monde, font tout le contraire. C'est là l'Evangile des Chrétiens, & il n'y en a point d'autre.. Tant que les hommes n'ont point de prétention ailleurs que dans le fiécle, on n'eft point étonné qu'ils cherchent à s'établir auprès de ceux qui font les plus grands dans le fiécle, ni qu'ils s'efforcent de leur reffembler par la. molleffe, par le luxe & les plaifirs: mais, depuis Jean-Baptifte, depuis qu'on leur dit qu'il y a un autre Royaume où ils font appellés, & d'où la cupidité fe trouve à jamais exclue, quiconque y prétend, doit fe convaincre avant toutes chofes, qu'il y a auffi un autre Royaume dont toutes les livrées font les armes de la pénitence, & à qui l'on n'appartient que par des marques qui font étrangères dans les Cours des Rois de la terre.

Tous les fujets, tous les vrais difciples de ce nouveau Roi, font reconnus à ces livrées, & font gloire de les porter. Penfons-y bien: nous n'en verrons pas un feul qui croie pouvoir s'en difpenfer; & ils s'accordent tous à fuir les plaifirs des fens, & à négliger la molleffe des habits. Or, eft-ce caprice, eft-ce figeffe dans les Saints? & fe trompent-ils, ou fommes-nous trompés nous-mêmes fur ces deux points? Ils les ont toujours regardés

avec frayeur, comme les deux écueils de la pénitence évangélique; & on ne fçauroit y tomber, fans fe reffentir des paffions qui les. infpirent. C'est le befoin qui nous force à nous habiller, & à prendre de la nourriture: dès. qu'on a de quoi fe couvrir & fe nourrir, on doit être content, comme l'écrit Saint Paul à fon difciple Timothée. Voilà les bornes d'une ame folidement chrétienne; elle rougiroit, elle craindroit de rien chercher, de rien exiger, ni rien defirer de plus, parce que tous. les prétextes qui font aller au-delà du néceffaire, furent toujours, ou criminels, ou frivoles, ou trompeurs. C'eft l'amour déréglé du plaifir des fens qui nous rend plus ou moins idolâtres d'un corps qui va tomber en pourriture: c'est la vanité, plus ou moins pouffée, qui nous inspire le foin d'orner une maison de boue qui menace ruine: & qu'y a-t-il en tout cela qui puiffe fubfifter avec l'esprit de la piété, qui ne foit contraire à fes maximes, qui n'en affoibliffe les fentimens, qui n'en faffe même abandonner les foins, & qui ne tende à l'anéantir tout-à-fait dans le coeur ? Que chacun s'examine févérement fur ce point devant Dieu, & fur les différens degrés de cupidité qu'il a à combattre; mais que ceux qui, par état, fe trouvent plus devoués à JefusChrift & aux fonctions de fon miniftére, rappellent fur-tout l'exemple de fon précurseur pour en faire leur modéle. La pénitence de

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Jean, le filence de fa retraite, l'austérité de fa vie & de fes vêtemens autorifent fa prédication. C'eft fe tromper groffiérement, de croire qu'on gagnera le monde en fe conformant à fes ufages, & en prenant quelque chofes de fes mœurs: le monde achevera plûtôt de corrompre le cœur qui s'ouvre à lui; & on mérite d'être livré à cet ennemi de JefusChrift, dès qu'on compofe avec lui, & qu'on ne le renonce pas abfolument dans fes maniéres & dans fon langage, comme dans fon efprit & dans fes œuvres. La piété fouffre-t-elle donc ce partage, fous quelque prétexte fpécieux que ce puiffe être? A-t-elle deux maîtres à fervir, ou croit-elle devoir fe rendre efclave des loix du fiécle jusqu'à fe démentir elle-même, & jufqu'à expofer gratuitement tout le fruit du miniftére, pour fe conformer en quelque chofe à ce fiécle profane?

PRIER E.

Heft-elle, bout à la fois, fi commune &
Elas, Seigneur! pourquoi la tentation

fi terrible à vos Serviteurs? Craignent-ils de
paffer pour ce qu'ils doivent être, & de de-
venir trop reconnoiffables, en demeurant dans
les juftes bornes & les dehors étroits de leur
état? rougiffent-ils de paroître à vous par un
extérieur modefte, un langage férieux, & des
fens mortifiés? Quel avantage trouvent-ils
donc à reffembler toujours au monde par quel-
que endroit, & à diminuer ainfi votre Vérité

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