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sont ceux qui atteignent pour l'ordinaire un plus grand développement.

Le moyen de concilier les deux intérêts divers dont il s'agit serait de réserver aux propriétaires riverains une action en dommages-intérêts contre le propriétaire de qui les arbres feront saillie chez lui. Alors le propriétaire de bois aura à examiner s'il est plus avantageux pour lui de payer des dommages-intérêts ou de couper les branches qui font saillie. S'il trouve qu'il est plus avantageux pour lui de payer des dommagesintérêts, il conservera ses arbres dans l'état où ils étaient, et il indemnisera le propriétaire riverain; dans le cas contraire, il se bornera à faire T'élagage. Cette action en dommages-intérêts ne sera nullement difficile à exercer; il s'agira toul simplement d'appeler des experts qui détermineneront le tort que les branches saillantes peuvent faire au propriétaire riverain. Ce ne sera pas le seul cas où les voisins d'une forêt sont exposés à des préjudices qui se résolvent en dommagesintêrêts. Ils sont souvent exposés aux ravages des bêtes qui sortent de ces forêts; et, dans ces cas, ils ont action contre le propriétaire des forêts en dommages-intérêts. Je demande que cette action en dommages-intérêts soit réservée aux propriétaires des terres voisines des bois et des forêts.

M. Mestadier. Le Code civil a prévu le cas où les arbres seraient plantés à une distance moindre de deux mètres des propriétés voisines. Dans ce cas il force le propriétaire des bois à faire arracher ces arbres, pourvu qu'ils ne soient pas plantés depuis 30 ans. Le Code civil a prévu aussi le arbres pousseraient

ou des racines sur la propriété voisine; il autorise le propriétaire voisin à faire couper les branches et à couper lui-même les racines. On vous propose ici de déroger à ces dispositions fort sages du Code civil, non seulement en faveur de l'Etat, mais aussi en faveur des particuliers. C'est une atteinte au droit des propriétés.

Je suis voisin d'un bois, le propriétaire de ce bois a des arbres qui poussent des branches ou des racines sur ma propriété, Je ne vois pas qu'il soit intéressé à la conservation de ses arbres au point de porter atteinte à ma propriété. Nous sommes propriétaires tous deux; nous devons jouir tous deux conformément aux principes du droit civil. Les arbres, quelle que soit leur valeur, ne sauraient valoir mieux que le droit civil. Nous ne sommes pas arrivés à ce point que les arbres soient tellement rares qu'il faille, pour les conserver, s'exposer à la violation du droit commun.

M. Simonneau a senti combien la question était importante; il a proposé d'indemniser le propriétaire riverain par des dommages-intérêts; mais le remède serait pire que le mal; il faudrait une expertise d'abord pour constater le fait, ensuite pour estimer le dommage. Vous donneriez ainsi naissance aux procès les plus dispendieux; car il n'y en a pas de plus chers que ceux qui sont soumis à l'expertise. Remarquez d'ailleurs que cette expertise ne serait pas possible, car telle branche qui avance aujourd'hui de 30 pieds, avancera bien davantage dans 50 ans, et bien plus encore dans 100 ans (On rit). Il n'y a pas de doute que le mieux est de s'en tenir au droit commun. L'élagage d'un arbre ne le fait pas périr, quelques racines ne le font pas périr non plus; mais quelques arbres dussent-ils périr, ce n'est pas une raison pour déroger au droit commun. Je vote à la fois contre l'amendement et contre l'article, qui me parait tout à fait inutile.

M. Favard de Langlade rapporteur. La question qui vous occupe en ce moment, a fixé particulièrement l'attention de la commission. M. Labbey de Pompierres, en prétendant qu'il fallait rentrer dans le droit commun, est entré dans une savante dissertation dans laquelle je ne le suivrai pas. Je me bornerai à vous dire que la proposition de la commission a pour objet de concilier tous les intérêts. L'ordonnance de 1669 définissait toute espèce d'élagage. Nous avons vécu 150 ans sous cette législation, et les tribunaux ont constamment défendu l'élagage des arbres de la part des propriétaires voisins des bois de l'Etat. A la vérité, le Code civil, par son article 672, établit un principe qui semblerait contraire en disant que chaque propriétaire a droit de couper les racines qui sont dans son héritage, comme de faire élaguer les branches qui peuvent nuire à sa propriété. Mais à côté de cet article se trouve une exception en faveur des fruits, qui doivent être régis par des lois particulières. C'est précisémeut par suite de cette disposition, que l'on a constamment jugé que l'élagage des arbres ne pouvait avoir lieu tant que cette partie ne serait pas réformée.

Maintenant, doit-on rentrer dans le droit commun; doit-on appliquer aux forêts la disposition de l'article 72 ? La Chambre en a certainement le droit. Mais il s'agit de savoir s'il convient de rentrer pleinement dans la disposition du Code civil, et si la disposition apportée à cet article par la commission n'est pas plus dans l'esprit de justice qui caractérise la Chambre. A cet égard, je la prie de remarquer que les propriétaires qui out des propriétés voisines des forèts où il y a des arbres qui ont jusqu'à cent et cent-cinquante ans, savaient bien, quand ils ont acheté leur propriété, qu'il y avait, à la lisière, des arbres qui leur portaient préjudice. Aussi ont-ils acheté leur propriété bien moins cher que s'ils n'avaient pas été soumis à la servitude dont il s'agit. Que si aujourd'hui vous les affranchissez de cette servitude, vous leur conférez un bénéfice sur lequel ils n'avaient pas du compter, tandis que vous imposez aux propriétaires de bois le sacrifice de leurs arbres.

C'est d'après ces considérations que la commission a pensé qu'il fallait prendre un terme moyen qui concilierait tous les intérêts, c'est-àdire que les arbres qui existent de temps immémorial sur la lisière des forêts, devaient continuer d'y rester sans que le propriétaire voisin put les élaguer de manière à les détruire. Mais aussi elle a voulu rentrer dans le droit commun pour les plantations nouvelles ou pour celles qui seraient faites par la suite. La commission persiste dans son amendement.

M. Méchin. Il n'y a rien de plus grave qu'une dérogation au droit commun, et lorsqu'une question de ce genre vient par malheur se présenter dans cette Chambre, on ne peut y donner trop d'attention. Il me semble que pour faire apprécier la nécessité de cette dérogation, il aurait fallu nous mettre à portée de comparer les inconvénients et les avantages. Je conçois qu'il y a dommage pour le propriétaire de bois dans l'élagage; mais il faut calculer aussi le tort immense que fait à l'agriculteur une masse considérable d'ombre qui se projette sur son héritage. Dans le projet primitif, on ne proposait de défendre l'élagage que pour les forêts royales: maintenant on étend cette faveur à toutes les forêts; par cette seule disposition on condamne

à la stérilité une grande quantité de terrains. Quelle que soit l'importance des productions forestières, je ne crois pas qu'il faille leur donner un pareil privilège sur les autres productions du sol. On a, ce me semble, une propension trop forte et trop fréquente à sortir du droit commun. Nous y avons dérogé par les substitutions; nous y avons dérogé dans le cas de surenchères par ie Trésor, et nous y avons dérogé récemment dans un projet de loi qui est soumis en ce moment à la Chambre des pairs.

Mais rentrons dans le fond de la question: on a dit que l'article 636 du Code civil autorisait à prendre des mesures particulières à l'égard des forêts. Je nie le. fait. Cet article dit simplement que l'usage des bois et forêts est réglé par des lois particulières; mais le Code a entendu que cet usage ne préjudicierait pas au droit des particuliers. Cet article ne peut s'appliquer qu'aux cinq servitudes dont M. Labbey de Pompierres vous a fait l'énumération. On est remonté à l'ordonnance de 1669, et l'on a dit que, depuis lors, les cours avaient jugé dans le sens qu'indiquait M. le rapporteur. C'est une erreur; je pourrais citer un arrêt rendu en 1824 par la cour royale de Paris, et qui força un propriétaire à élaguer ses forêts sur une très grande étendue de terrain.

M. Simonneau a cru trouver un expédient en faisant insérer dans l'article la possibilité de reclamer des dommages-intérêts. Il n'a fait en cela que mettre l'exception à la place de la règle. Il est certain que si un propriétaire de terrain s'arrange avec un propriétaire de bois, et consent à recevoir un dédommagement, tout est terminé entre eux. Mais consacrer dans un Code une dérogation aussi formelle à un autre Code qui doit servir de règle à tous ceux qu'on est dans le cas de faire sur les parties spéciales, c'est à la fois un tort et un malheur.

M. le rapporteur a senti lui-même la faiblesse du raisonnement qu'il a tiré du prix d'acquisition d'un terrain. Pourquoi voudriez-vous que, parce qu'un propriétaire à acquis ce terrain sous l'empire d'un ordre de choses qui lui était funeste, il ne profitât pas des améliorations que la législation nouvelle lui accorde? Cela ne serait pas juste. Aussi je m'oppose à l'article 150, et j'en vote le rejet.

M. Pardessus. Il m'est impossible d'adopter les distinctions et les explications qu'a données M. le rapporteur, pour défendre l'article du projet et l'ainendement de la commission. L'argument que M. le rapporteur a tiré de l'article 636 du Code civil n'est pas logique. Cet article dit seulement que l'usage des bois et forêts est réglé par des lois particulières. Reste l'article 672. Je prie la Chambre de faire attention aux trois dispositions distinctes qu'il contient. Il consacre d'abord le principe que les arbres doivent être plantés à une certaine distance de la propriété voisine. La seconde disposition porte, que celui sur la propriété duquel avancent les branches des arbres, peut contraindre le propriétaire à couper ces branches. La troisième disposition lui donne le droit de couper lui-même les racines qui avancent sur son héritage.

Commençons par cette dernière disposition. Puisqu'on vous propose de déclarer que les propriétaires riverains des forêts ne pourront se prévaloir de l'article 672, il s'ensuit qu'ils n'auront pas le droit de couper les racines qui s'avanceront sur leur héritage: est-il convenable de rapporter, dans une loi spéciale, une règle du droit commun?

Voix diverses: Il n'est pas question de cela.

M. Pardessus. On dit que les terrains voisins des forêts ont été achetés avec la charge de la servitude que l'article en discussion leur impose. Mais, en supposant que cette servitude eût existé, le Code civil a posé une règle générale qui l'a détruite. La Cour de cassation a jugé plusieurs fois, que, malgré les usages anciennement établis, tout propriétaire avait, aux termes de l'article 672, le droit de réclamer l'élagage des arbres qui avancent sur son terrain.

La commission a proposé d'accorder le droit de requérir l'élagage, pour les arbres de lisières qui n'ont pas trente ans. Mais ces arbres ont trop peu de branches pour qu'elles soient projetées sur la propriété voisine. Un arbre de moins de trente ans pourra-t-il avoir des branches assez fortes pour qu'elles s'étendent à cinq pieds sur la propriété voisine?

Quelques voix : Oui, sans doute.

M. Pardessus. Cela arrivera très rarement. Au reste, s'il y a quelque difficulté relativement à l'élagage des arbres, il ne peut y en avoir quant aux racines.

M. le Président. L'article porte : « Les propriétaires riverains des bois et forêts ne peuvent se prévaloir de l'article 672 du Code civil, pour l'élagage des lisières desdits bois et forêts. »

M. Pardessus. Je reconnais que, d'après les termes de l'article, on peut couper les racines. Mais je soutiens que les bois des particuliers doivent rester dans le droit commun par rapport à l'élagage. Si les propriétaires des terrains voisins étaient aussi obligés de souffrir la projection des branches des arbres qui s'élèvent dans les lisières des bois des particuliers, il en résulterait pour eux une servitude nouvelle; ce serait une atteinte portée à la propriété, sans motif d'intérêt public. Je demande que les bois des particuliers ne soient pas compris dans l'article.

M. de Villèle, ministre des finances. Ce n'est pas sur l'existence des lois antérieures ni sur une discussion de ces lois que peut être fondée la proposition qui vous est faite par le gouvernement. Vous avez dù remarquer à l'article 14 que le gouvernement, préoccupé de l'état de dépérisseinent toujours croissant des forêts en France, avait pensé que le mode de clôture des forêts par fossés devait être interdit, dans le but de conservation des arbres de lisières. Vous avez admis les fossés dans l'intérêt des propriétés voisines. Les arbres de lisières ont dû attirer plus particulièrement l'attention du gouvernement, parce que ce sont les plus propres aux constructions navales, et nous avons cherché, dans un code forestier, à ménager d'aussi grands intérêts.

Mais on invoque le droit de propriété. Voyons s'il se trouverait lésé par les dispositions dont il s'agit. On sait combien les terrains qui avoisinent les forêts sont peu productifs. Ce ne sont pas seulement les racines des arbres qui font tort, mais encore le voisinage des forêts. Ainsi, l'intérêt de ces terrains ne peut être comparé pour son importance à l'intérêt que nous devons attacher aux arbres de lisières.

Quoi qu'il en soit, voyons l'état des choses qui nous a régis jusqu'à présent. On a dit avec raison que les bois des particuliers ne jouissaient pas de

cette immunité; mais très certainement les bois de l'Etat en jouissent. Il existe nombre de décisions rendues dans ce sens par le ministre des finances qui m'a précédé. L'usage établi par l'ordonnance de 1669 s'est perpétué jusqu'à mon prédécesseur. Je ne me rappelle pas que des décisions semblables m'aient été soumises; mais il est certain que, jusqu'à ce jour, il y a eu possession de ce droit pour la masse des bois de l'Etat. Que va-t-il résulter de la cessation immédiate de ce privilège? C'est que vous augmenterez encore la pénurie des bois qui sont nécessaires à votre marine, car l'élagage forcé des arbres de lisières entraînerait nécessairement leur perte. Tout le monde sait qu'un arbre parvenu à un certain âge périt s'il est élagué. La seule ressource qu'aurait l'Etat, serait de faire abattre les arbres dont on demanderait l'élagage. Dans de telles circonstances, nous avons mis en balance, d'un côté, l'intérêt général, et, de l'autre, l'intérêt particulier, et nous sommes restés convaincus que le dommage pour les propriétés des particuliers qui avoisinent les forêts serait beaucoup moindre; car ces terrains, comme je l'ai déjà observé, sont peu productifs. Dans certaines localités, c'est par trop d'humidité; dans d'autres, comme dans le Midi, c'est par trop de sécheresse.

On a cité l'article 672 du Code civil. On n'a pas fait attention que cet article ne s'appliquait qu'aux bois de clôture, et non pas aux lisières des masses de bois et des forêts. La question de droit doit donc être écartée. Mais il y en a une très respectable qui ne doit pas l'être; c'est celle du droit de propriété. C'est aussi sous ce rapport que j'ai déjà examiné la question. Or, je maintiens que vous porteriez bien plus atteinte au droit de propriété, en faisant périr simultanément les arbres de lisières, par un élagage forcé, que de laisser les branches s'étendre sur les terrains voisins. Voudrait-on provoquer des transactions? obliger l'Etat à indemniser les propriétaires riverains? Si l'on ne veut qu'une indemnité, il n'est pas nécessaire que la loi s'explique à cet égard; les parties intéressées n'auront pas besoin de cela pour s'entendre.

Je répète qu'il n'est pas à ma connaissance qu'on ait usé du droit de demander l'élagage sous mon administration. Mais aussitôt que la loi serait sanctionnée, si vous adoptez la disposition qu'on vous propose, ce droit d'élagage s'exercerait partout, et ferait perdre à l'Etat une très grande quantité d'arbres qui peuvent être très utiles à la marine.

M. le général Sébastiani. M. le président du conseil vous a dit avec raison que ce sont deux propriétés en présence: les forêts de l'Etat d'un côté, et les propriétés particulières de l'autre; il a ajouté que les particuliers n'éprouveront qu'un faible dommage, et que l'Etat en éprouverait un très grand; que d'ailleurs l'Etat jouit d'une possession assurée, et qu'il demande le maintien de cette jouissance. Examinons les faits:

D'abord, nous contestons la jouissance de l'Etat, et nous nous appuyons sur un arrêt récent de la courroyale de Paris, qui a condamné l'Etat à avoir ses arbres de lisières élagués; et cet arrêt a reçu son exécution. Ainsi, la jurisprudence n'est pas favorable aux prétentions de l'administration forestière.

Je vais examiner maintenant de quel côté se trouvera le plus grand dommage. C'est, dit-on, dans l'intérêt de la marine qu'on veut conserver les branches des arbres de lisières, parce que res

arbres forment des courbes qui sont nécessaires pour les constructions navales. Messieurs, si vous calculiez avec exactitude et bonne foi, vous verriez que si, d'un côté, vous faites quelque chose d'utile à la marine en conservant ces branches, de l'autre, vous portez un grand dommage aux terrains qui avoisinent les lisières. Mais voici ce qui arrivera: Vous avez, par votre article 14, donné aux propriétaires riverains le droit de couper les racines; si vous ne leur donnez pas aussi celui de demander l'élagage, ils fouilleront fort avant dans la terre pour y couper les racines et faire périr, par ce moyen, des arbres qui sont si nuisibles à leur propriété. Ainsi, loin de protéger par cette mesure les arbres de lisières, vous leur porteriez un coup funeste. J'observerai que le droit d'élagage est tellement rigoureux, que dans les provinces de la Normandie on oblige les propriétaires de pommiers, arbres très productifs, à élaguer les branches dans l'intérêt des propriétés voisines.

Une question plus importante domine la matière: c'est celle de la propriété. Vous voulez la conserver dans toute son étendue; or, le propriétaire d'un champ possède non seulement la direction descendante, mais encore la direction ascendante, la possession du sol entraîne le dessous et le dessus. Déjà vous avez imposé desservitudes aux propriétaires de bois. Vous voulez en imposer aux propriétaires des terrains voisins. On vous demande le sacrifice d'une partie de la propriété de ces terrains, et cela dans l'intérêt très faible de la production des courbes que l'on trouverait tout aussi bien dans l'intérieur des forêts. Vous imposez aujourd'hui une servitude nouvelle aux riverains; vous voulez qu'ils ne puissent approcher de leur propriété que le front courbé; vous troublez tous les propriétaires particuliers; vous renversez tous les principes protecteurs de la propriété et de la possession. Vous ne consacrerez pas, Messieurs, une monstruosité de ce genre.

M. de Martignac, commissaire du roi. Nous avons à discuter une question de droit assez sérieuse pour mériter qu'on s'en occupe. Ce n'est pas une question qui doive provoquer l'amertume dans la discussion, et presque l'indignation dans le langage. C'est une question sur laquelle j'appelle l'attention de la Chambre, et qui, en vérité, n'est pas de nature à parler aux passions.

Nous avons à examiner si, dans le projet de code forestier, on a procédé avec sagesse et prudence en vous proposant la disposition qui est combattue avec tant de force. Il est nécessaire de rappeler quels sont les motifs qui ont déterminé les rédacteurs du code.

་་

L'ordonnance de 1669, titre II, article 2, porte : «Ceux qui auront houpé, ébranché, déshonoré les arbres, paieront la même amende, etc. » Devonsnous croire que la disposition de l'article 672 du Code civil soit tellement absolue, qu'il en résulte nécessairement l'abrogation de l'article 2 de l'ordonnance de 1669? Nous ne l'avons pas pensé, et voici nos motifs:

Il est de principe que les lois générales ne dérogent pas aux lois spéciales, à moins que la dérogation n'en soit exprimée dans la loi générale. Le Code civil est ici la loi générale; le Code forestier la loi spéciale. Or, je le demande, y a-t-il dans le Code civil un texte précis et absolu qui déroge à la règle spéciale, relativement aux forêts? L'article 672 ne s'étend pas d'une manière positive à ce qui touche les bois et forêts. En ef

fet, cet article est compris dans la section première intitulée: Du mur et du fossé mitoyens. L'article 672 s'exprime ainsi: «Le voisin peut exiger que les arbres et haies plantés à une moindre distance soient arrachés. Celui sur la propriété duquel avancent les branches des arbres des voisins, peut contraindre celui-ci à couper ces branches. » Vous voyez qu'ici il ne s'agit que des arbres qui ont été plantés dans des haies qui servent de séparation à deux héritages. Certes, il n'y a aucune application rigoureuse à faire de cet article aux lisières des bois et forêts.

On a déjà expliqué devant la Chambre les considérations graves qui ont déterminé le gouvernement à vous proposer l'article qui est en discussion. Ces considérations tiennent à la nécessité de veiller à la conservation de la portion des bois et forêts, sur laquelle peut s'exercer utilement le droit de martelage que vous avez reconnu nécessaire pour le service de la marine. Or, il est incontestable que c'est dans la lisière des bois qu'on trouve ordinairement les arbres propres aux constructions navales. Si vous déclarez que tous les propriétaires riverains auront le droit de réclamer l'élagage des arbres de lisières, vous consacrerez une disposition qui entraînerait la destruction de ces arbres.

L'article que nous discutons s'applique aux bois des particuliers comme aux forêts de l'Etat. On nous en a fait une sorte de reproche. Cependant si nous n'avions demandé ce privilège que pour les forêts de l'Etat, on n'aurait pas manqué de remarquer que l'Etat, en ce qui touche la possession de ses forêts, est un propriétaire comme tout autre, et qu'il n'y a pas de raison pour établir en sa faveur un privilège qu'on refuserait aux propriétaires des bois des particuliers. Ce raisonnement serait fondé; car vous avez reconnu que les bois soumis au régime forestier ne suffisaient pas pour les besoins de votre marine, et qu'il fallait étendre le martelage aux bois des particuliers. Ainsi, pour être conséquents avec nous-mêmes, nous devions rendre l'article applicable aux uns comme aux autres.

(On demande la clôture de la discussion.)

M. Méchin. Je ne conçois pas comment on peut demander déjà la clôture sur une question de cette importance.

L'article de l'ordonnance de 1669, que M. le commissaire du roi nous a cité, ne me paraît pas interdire d'une manière positive l'élagage des arbres de lisière. Il est possible que l'administration forestière ait tiré avantage de cet article, comme le font ordinairement toutes les administrations, qui cherchent à étendre leur juridiction. Mais cet article ne fait qu'interdire aux propriétaires la faculté d'élaguer eux-mêmes les branches qui avancent sur leur terrain, et non pas d'en demander l'élagage. Les lisières des bois donnent lieu à une question de voisinage et de mitoyenneté; l'article 672 du Code civil est donc applicable aux lisières des bois et forêts, comme aux haies qui servent de clôture.

M. le ministre des finances s'est appuyé sur des considérations puissantes, tirées des besoins de la marine, et il a argumenté de ce que vous aviez adopté le martelage.

Messieurs, c'est par excès de prudence que vous n'avez pas voulu vous prononcer, dans la loi, contre le martelage; mais vous êtes restés tous convaincus que le martelage pouvait être avantageusement remplacé. On vous a parlé de la nécessité de conserver les arbres des lisières, parce

qu'ils fournissent des courbes dont la marine a besoin; et on a oublié l'intérêt de l'agriculture, qui s'attache aux terrains voisins. C'est une erreur de dire que ces propriétés sont de peu de valeur. Je pourrais citer les terrains qui avoisinent la forêt de Villers-Cotterets on y voit les champs les mieux cultivés et les plus productifs; et cela, parce que l'élagage des arbres a lieu.

Les propriétaires des forêts sont en général dans une position plus heureuse que les propriétaires des terrains voisins, et ce serait une raison pour favoriser plutôt ceux-ci. Mais je ne demande qu'une justice égale pour tous. Faites attention à la quantité immense d'arpents situés sur les lisières des bois et forêts, et au préjudice énorme que vous allez faire à l'agriculture. Encore si le privilège qu'on réclame était limité aux forêts royales. Mais non, vous l'étendez aussi aux bois des particuliers.

M. le commissaire du roi a dit qu'on aurait reproché au gouvernement d'établir un privilège en faveur des forêts de l'Etat, s'il ne l'avait pas étendu gratuitement aux bois des particuliers. Je lui demanderai pourquoi l'on favoriserait ainsi les forêts aux dépens de l'agriculture? Vous voulez donc réduire le laboureur à arroser de ses sueurs un terrain ingrat!

Vous avez reconnu que le droit de propriété était lésé. La question est par là même jugée. Le droit de propriété sera-t-il invoqué en vain dans une Chambre législative! Quand la protection que vous devez à la propriété devrait occasionner quelques dommages aux forêts, il me semble qu'il n'y aurait pas à balancer sur le parti qui vous reste à prendre; car quel plus grand dommage peut recevoir la société, que celui qui résulterait de l'atteinte portée à la propriété, qui est la base de l'édifice Social! Je persiste à demander le rejet de l'article 150.

(On demande de nouveau la clôture de la discussion elle est prononcée.)

M. le Président. M. Mestadier a proposé la disposition suivante: des bois et forêts dont l'étendue superficielle sera de plus de 50 hectares.

(Cet amendement est rejeté ainsi que l'amendement de M. Labbey de Pompierres, qui porte: Si les arbres de lisières font saillie depuis plus de 30 ans.)

La Chambre adopte la disposition additionnelle proposée par la commission: Si ces arbres de lisières ont plus de 30 ans.

Le premier paragraphe, ainsi amendé, est mis aux voix et adopté.

A la suite de ce paragraphe, M. Simonneau a proposé une disposition ainsi conçue : « Néanmoins les propriétaires riverains auront action en dommages-intérêts contre les propriétaires des bois et forêts, à raison du préjudice que le défaut d'élagage aura pu leur causer. »>

(Cet amendement est mis aux voix et rejeté.) M. Labbey de Pompierres obtient la parole sur l'article.

M. Labbey de Pompierres. M. le commissaire du gouvernement a prétendu que l'article 672 n'était pas applicable à l'élagage des forêts. M. Pardessus avait très bien démontré que cet article s'applique sans distinction à tous les arbres, soit qu'ils s'élèvent dans les haies de clôture, soit qu'ils bordent les lisières des forêts. Personne n'a soutenu que les propriétaires riverains eussent le droit d'élaguer eux-mêmes les arbres de lisières, ce qui serait un délit; nous en convenons; mais ils ont incontestablement le droit

de requérir l'ébranchement. M. le ministre des finances a nié qu'on eût jamais obtenu cela contre le gouvernement. Je puis ui citer un arrêt rendu par la cour royale de Paris, en vertu duquel l'élagage a été exécuté. Je crois qu'il y a eu aussi un jugement rendu par le tribunal d'Amiens, et qu'il a également reçu son exécution; mais je n'en ai pas la certitude.

Il me semble qu'il ne doit être question dans l'article 150, que des forêts; si vous y laissiez le mot bois, il en résulterait que le propriétaire d'un bouquet de bois, d'une remise pour le gibier, par exemple, pourrait s'arroger le droit d'empêcher l'élagage.

On a invoqué le principe d'après lequel il n'est dérogé, dans une loi générale, à une loi spéciale, qu'en vertu d'une disposition expresse; et on Vous a dit que les forêts sont régies par des lois spéciales. Oui, sans doute, quant à l'exploitation des forêts nationales, et par rapport aux usages que des particuliers ont à exercer dans ces forêts; mais il n'en est pas de même de l'Etat considéré comme propriétaire vis-à-vis d'autres proprietaires; et, dans ce cas, l'Etat rentre nécessairement dans le droit commun.

Il est évident qu'en adoptant l'article, même amendé par la commission, vous consacrez une usurpation sur la propriété. Vous avez, il y a deux ans, en invoquant le droit sacré de la propriété, obtenu une indemnité pour les émigrés, et vous avez pensé que ce sacrifice, quelque grand qu'il fût, devait être fait pour empêcher qu'il ne fût à l'avenir porté atteinte au droit de propriété. Et voilà que vous venez vous emparer des propriétés des particuliers! Mais j'aime à croire que vous ne commettrez pas une telle violation. Je ne puis accorder cet article avec la loi d'indemnité; j'en demande le rejet, ainsi que de l'amendement de la commission.

(L'article 150 est adopté tel qu'il a été amendé par la commission.)

SECTION II.

Dispositions spéciales applicables seulement aux bois soumis au régime forestier.

< Article 151. Aucun four à chaux ou à plâtre, soit temporaire, soit permanent; aucune briqueterie et tuilerie, ne pourront être établis dans l'intérieur et à moirs d'un kilomètre des forêts, sans l'autorisation du gouvernement, à peine d'une amende de 100 à 500 francs et de démolition des établissements. »

M. le général Sébastiani. M. le commissaire du roi se plaignait tout à l'heure de la vivacité avec laquelle nous défendions les interêts de la propriété; et il nous accusait de nous livrer, pour ainsi dire, à des mouvements d'indignation. Eh bien ! voici des lettres écrites des différentes parties de la France par des maires, qui s'expriment toutes avec la force qu'inspire le désir de défendre la propriété.

Nous abordons en ce moment une section très importante. Vous avez grevé les propriétés particulières du droit de martelage; vous avez forcé les propriétaires riverains des forêts de supporter Ja servitude des branches des arbres de lisières. Maintenant on vous demande de consacrer une zone dans laquelle il ne sera pas permis de bâtir ni fours à chaux, ni usines, ni maisons; c'est-àdire qu'on vous propose de dépouiller, dans cette zone, la propriété de tous ses avantages. Dussé

je encore être accusé de mettre trop de chaleur dans cette discussion, je dirai que je ne m'attendais pas à trouver un code entaché des dispositions prohibitives que renferme la section que nous discutons.

On me répondra peut-être que les places de guerre ont un rayon dans lequel il n'est pas permis de bâtir. J'en conviens; mais ces servitudes, peu nombreuses et peu gênantes, s'attachent à l'intérêt de la défense du pays. Ici, on dit au propriétaire ton père t'a laissé un champ voisin des forêts de l'Etat; tu ne pourras pas bâtir dans cette zone une maison pour y loger ta famille; tu ne pourras pas même y élever ton tombeau. (Murmures.) Et pourquoi cette défense? Pour procurer à l'administration forestière un faible avantage. Il n'y a qu'en France que l'on prenne des précautions de ce genre.

On me répond que l'administration se réserve le droit de juger s'il convient ou non de bâtir, et qu'on ne doit pas douter qu'elle n'accorde l'autorisation lorsqu'on la lui demandera. Je vais vous citer un fait qui vous fera voir comment l'administration se conduit.

Un colonel, riche propriétaire, bâtit une maison sur son sol, dans le voisinage d'une forêt; on le laisse bâtir; et quand sa maison est construite, l'agent forestier se présente, et lui dit : « Vous n'aviez pas le droit de bâtir dans ce rayon de la forêt; vous allez souscrire l'obligation de démolir votre maison, ou bien nous la ferons démolir à l'instant. » Et vous laisseriez, Messieurs, continuer une telle servitude!

Je conçois que l'on empêche l'établissement des fours à chaux et des usines qui peuvent communiquer le feu aux forêts; mais pourquoi étendre cette prohibition aux maisons particulières? Eu vérité, au temps où nous vivons, comment peuton proposer de porter une atteinte si manifeste au droit de propriété, dans un intérêt aussi minime?

Je n'abuserai pas davantage de la patience de la Chambre. J'espère qu'elle ne consacrera pas un principe aussi monstrueux. Remarquez que des villages, des villes populeuses sont placés au milieu des forêts par exemple, Compiègne, Fontainebleau, Saint-Germain. Et dans une telle situation, on voudrait qu'il ne fût permis au propriétaire de bâtir que sous le bon plaisir de l'administration forestière? Vous ne consacrerez pas, je le répète, ce droit monstrueux.

M. de Villèle, ministre des finances. On dirait, à entendre le préopinant, que le code forestier empire de beaucoup la situation des choses, et il vous a cité des lettres qui lui étaient adressées des départements.

Les changements apportés, dans ce projet de code, à la législation actuelle, et les amendements de la commission ont adouci beaucoup ce qu'avait de rigoureux l'état antérieur. Quant à l'article spécial dont il s'agit, il porte, vous dit-on, atteinte à la propriété; vous ne sauriez ratifier une pareille violation! Messieurs, la propriété consiste dans le droit dont elle est en jouissance. Ainsi, on ne peut pas dire que c'est porter atteinte à une propriété, lorsqu'elle est grevée d'une servitude, que de maintenir cette servitude; car la propriété n'a été acquise et n'est possédée qu'à la charge de souffrir cette servitude. Remarquez que la disposition sur laquelle vous avez à délibérer diminue de moitié le rayon dans lequel la prohibition existe. Ainsi, vous dégrevez de moitié la propriété de la servitude qui lui était imposée. On

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