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PARLEMENTAIRES

DE 1787 A 1860

RECUEIL COMPLET

DES

DÉBATS LÉGISLATIFS & POLITIQUES DES CHAMBRES FRANÇAISES

IMPRIMÉ PAR ORDRE DU SÉNAT ET DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS

SOUS LA DIRECTION DE

M. J. MAVIDAL

CHEF DI BUREAU DES PROCÈS-VERBAUX, De L'expédition des lois, DES PÉTITIONS, DES IMPRESSIONS
ET DISTRIBUTIONS DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS

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SOCIÉTÉ D'IMPRIMERIE ET LIBRAIRIE ADMINISTRATIVES ET DES CHEMINS DE FER

PAUL DUPONT

41, RUE J.-J.-ROUSSEAU (HOTEL DES FERMES)

SECONDE RESTAURATION

RÈGNE DE CHARLES X

CHAMBRE DES PAIRS.

Séance du jeudi 5 avril 1827, PRÉSIDÉE PAR M. LE CHANCELIER.

A une heure, la Chambre se réunit en vertu de l'ajournement porté au procès-verbal de la séance d'hier.

Il est donné lecture de ce procès-verbal : l'Assemblée en adopte la rédaction.

L'ordre du jour appelle la suite de la délibération sur les articles du projet de loi relatif à la juridiction militaire.

Le pair de France, ministre de la guerre, et M. de Vatimesnil, conseiller d'Etat, commissaire du roi, chargés de soutenir la discussion de ce projet de loi, sont présents.

Trois articles du projet avaient été renvoyés à la commission dans la dernière séance, savoir: les articles 68, 69 et 71.

M. le comte d'Ambrugeac, l'un des commissaires, obtient la parole pour rendre compte à l'Assemblée du nouveau travail de la commission sur ces articles.

Il avait été observé sur l'article 68, qu'il était nécessaire de suspendre, relativement aux jugements rendus par des conseils de guerre dans des places en état de siège, la faculté que l'article 62 accorde à certains justiciables de ces conseils de se pourvoir devant la Cour de cassation pour cause d'incompétence. La commission a reconnu qu'en effet, pendant le blocus d'une place, il serait de toute impossibilité de faire parvenir les pièces à la Cour de cassation, et que le seul moyen d'obtenir justice était d'attribuer, dans ce cas, au conseil d'annulation de la place, la connaissance des pourvois réservés par l'article 62 à la juri

T. LI.

diction de la Cour suprême. En conséquence, la commission propose de substituer à l'article 67 du projet, qu'elle avait adopté précédemment pour former l'article 68, la rédaction suivante:

Art. 68 du projet amendé. (Nouvelle rédaction.) « Les dispositions des articles 60, 61 et 63 seront applicables aux conseils d'annulation dans les places en état de siège.

« Ces conseils connaîtront, en outre, des pourvois formés pour cause d'incompétence dans les cas prévus par l'article 62.

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Cette rédaction est mise aux voix et adoptéc par la Chambre.

Diverses observations avaient été présentées par plusieurs pairs au sujet de l'article 69. Le rapporteur de la commission expose, en ces termes, le résultat de l'examen qu'elle a fait des modifications proposées :

M. le comte d'Ambrugeac. Messieurs, trois motifs ont déterminé hier Vos Seigneuries_ à à renvoyer à la commission l'article 69. Un noble pair a trouvé des inconvénients graves à soumettre à la juridiction prévôtale les militaires marchant isolément, mais avec feuille de route et permission. Un autre orateur a demandé que les désignations de sous-officiers et soldats fussent effacées de l'article. Un troisième enfin a exprimé le vœu que le dernier paragraphe ne fût pas applicable aux prisonniers de guerre qui auraient le rang d'officier. Je prie la Chambre de me permettre de discuter successivement ces trois propositions.

L'intention des auteurs du projet et celle de votre commission en proposant de soumettre les sous-officiers et soldats marchant isolément, même avec permission, à la juridiction prévôtale, a été de maintenir une discipline plus exacte parmi des militaires éloignés de la surveillance habituelle de leurs chefs, et, en quelque sorte, abandonnés à eux-mêmes. Mais appelés de nou

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veau à discuter la question, nous avons pensé qu'on pouvait sans nul inconvénient adopter la proposition restrictive d'un noble pair. En effet, les seuls militaires qui en temps de guerre pourraient marcher isolément avec feuille de route ou permission sont ceux qui sortent des hôpitaux; et alors il est de la prudence des généraux, pour le maintien de l'ordre et pour la sûreté même des militaires, d'ordonner que les évacuations ou les sorties des hôpitaux ne se feront que par détachements confiés au commandement d'un chef, chargé de pourvoir non seulement au bon ordre, mais encore à la subsistance de ses subordonnés. Ainsi, la compétence des prévôtés ne s'étendra que sur les militaires absents de leur poste ou de leur corps sans autorisation, c'est-à-dire déjà coupables d'une des infractions les plus graves aux règlements et aux lois de l'armée.

Cette première décision doit avoir une grande influence sur celle qu'il convient de prendre au sujet de l'autre proposition tendant à la suppression de ces mots « sous-officiers et soldats. >> Si, ainsi que nous vous le proposons, la compétence de la prévôté ne s'étend que sur ceux qui ont abandonné leur corps ou leur poste, il n'y a nul inconvénient à remplacer par le terme générique de militaires les mots de sous-officiers et soldats. Peut-être, dans la rédaction du projet de loi, a-ton été trop préoccupé de ce qui se passait autrefois; non seulement les officiers étaient formellement hors de la compétence des juridictions prévôtales, mais ils ne pouvaient être traduits devant un conseil de guerre qu'avec l'autorisation du roi. La nouvelle rédaction étendrait, il est vrai, la juridiction prévôtale sur des officiers, mais vous remarquerez que si, contre toute probabilité, un officier pouvait être jugé par un tel tribunal, il se serait dégradé auparavant luimême en abandonnant le poste auquel son devoir l'attache et le fixe. Ce ne serait plus un officier, mais un lâche déserteur, un homme qui aurait forfait à l'honneur; et si, à cette énorme faute, il ajoute encore celle de commettre un crime ou un délit, qu'il soit livré au tribunal dont les formes plus promptes satisferont plus vite à ce qu'exigent la société et l'honneur de l'armée profondément

blessés.

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« sous-officiers ou soldats par le terme générique de militaires, qui rendrait, non seulement les simples officiers, mais encore les officiers généraux ou supérieurs, justiciables, en certains cas, des prévôtés d'armée. Il suffit de se reporter aux articles qui règlent la composition de ces prévôtés pour se convaincre de l'inconvenance d'une disposition dont la conséquence serait qu'un lieutenant général, ou même un maréchal de France, pourrait éventuellement être jugé par un tribunal composé d'un officier supérieur, d'un chef de bataillon et de trois capitaines. On allègue, à la vérité, que les officiers qui s'absenteraient de leur corps sans permission, auraient déjà, par cela même, forfait à leur devoir; mais il faut bien considérer que le fait de leur désertion serait précisément un de ceux sur lesquels les prévôtés auraient à prononcer; et qu'un acte dont il n'existe encore qu'une prévention ne saurait être puni par le renvoi de l'inculpé devant une juridiction exceptionnelle. Le noble pair demande en conséquence la priorité pour la rédaction du numéro premier, telle qu'elle avait été présentée d'abord par la commission, en supprimant seulement les mots « marchant isolément », et en substituant à ces autres mots : absents de leur poste, ceux-ci: absents de leur corps ou de leur poste.

M. le maréchal marquis de Lauriston, membre de la commission, appuie cette proposition. La distinction qu'établissait l'article du projet entre les sous-officiers et les officiers ne saurait êtré considérée comme injurieuse pour les premiers. Les sous-officiers, en effet, une fois qu'ils ont quitté l'armée, ne sauraient être distingués des soldats; les officiers, au contraire, conservent toujours le caractère que leur a conféré le brevet du roi.

M. le comte Belliard, troisième opinant, demande s'il ne conviendrait pas de spécifier, dans le numéro premier de l'article, que les délits commis en avant de l'armée seront compris dans la juridiction des prévôtés, de même que ceux qui auront été commis sur ses flancs et sur ses derrières. Il déclare qu'il n'aperçoit pas les motifs de la distinction que les termes du projet semblent établir à cet égard.

M. le baron Pasquier, quatrième opinant, croit trouver un motif de différence dans la position où se trouvent les accusés qui sont saisis sur les flancs et sur les derrières de l'armée. Il n'est pas besoin, sur le front de la ligue, de moyens de répression aussi rigoureux; car l'armée, dans sa marche, enveloppe nécessairement les coupables, qui se trouvent alors punis par les conseils de guerre; mais les individus arrêtés sur les derrières peuvent être considérés, sous un certain rapport, comme des réfractaires qui ont déjà échappé aux recherches de la justice, et qui ne méritent plus les mêmes égards.

M. le marquis de Mortemart, cinquième opinant, observe qu'aux termes de l'article 40, le général en chef ayant le droit de déterminer, en pays étranger, le ressort dans lequel les prévôtés d'armée exerceront leur juridiction, rien ne s'oppose à ce que toutes les positions de l'armée où l'action des prévôtés sera nécessaire soient comprises dans la fixation de ce ressort.

Aucun autre orateur ne réclamant la parole, M. le Président met aux voix la proposition faite

par le premier opinant, et tendant à rédiger ainsi le numéro premier de l'article 69:

« 1° Par des sous-offici rs, soldats ou autres justiciables des classes correspondantes, absents de leur corps ou de leur poste sans autorisation. »> Cette rédaction est adoptée sans réclamation par la Chambre.

L'article, ainsi modifié, est lui-même adopté avec l'autre changement indiqué dans le rapport de la commission, et qui s'applique au numéro 4.

Il se trouve définitivement rédigé ainsi qu'il suit:

ART. 69 du projet amendé (3° rédaction).

« Les prévôtés d'armée connaîtront de tous crimes et délits commis sur les flancs et sur les derrières de l'armée, dans l'étendue du ressort qui leur sera assigné :

« 1° Par des sous-officiers, soldats ou autres justiciables des classes correspondantes, absents de leur corps ou de leur poste sans autorisation;

«2° Par des vivandiers ou autres individus à la suite de l'armée;

3° Par des vagabonds ou gens sans aveu, tels qu'ils sont définis par l'article 270 du Code pénal;

49 Par des prisonniers de guerre qui ne seraient ni officiers ni assimilés aux officiers. L'article 71 renvoyé à la commission s'exprimait ainsi :

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"

« Il n'y aura lieu à recours contre les jugements des prévôtés d'armée, que pour cause d'incompétence, dans les cas prévus par l'article 170. »

M. le baron Pasquier observe que, les dispositions de ces deux articles paraissant connexes, il serait convenable de les discuter en même temps; il demande en conséquence que la délibération sur l'article 71 soit ajournée jusqu'au moment où la Chambre s'occupera de l'article 170 (depuis 174 du projet amende),

Cette proposition est adoptée sans réclamation. La Chambre reprend ensuite la discussion commencée dans la séance d'hier sur les articles 72 et 73 du projet amendé, relatifs à la compétence des conseils de guerre dans les divisions territoriales.

M. le baron de Barante (1). Messieurs, ce

(4) Le Moniteur no donne qu'une analyse du discours de M. le baron de Baranie.

que cette discussion a manifesté avec le plus d'évidence, c'est la différence entre la justice militaire et la justice civile.

La justice militaire a pour but la sûreté de l'armée en temps de guerre, et sa discipline en temps de paix.

Ces deux situations ont paru se tenir de si près qu'on nous a refusé de les distinguer on a prétendu qu'il était impossible d'assigner une limite tranchée entre la guerre et la paix; qu'il importait tout autant de veiller à la discipline pendant la paix, qu'à la sûreté pendant la guerre. On a répondu à toutes nos objections avec le mot nécessités de l'armée. Il nous a fallu nous incliner respectueusement devant ce mot, lors même qu'on le laissait enveloppé dans un vague mystérieux.

Quoi qu'il en soit, on a déduit de ces nécessités que la justice militaire devait être rapide, administrée par des hommes accoutumés à obéir et à cominander; qu'elle devait surtout être exemplaire et préventive; qu'elle était rendue dans l'intérêt de la discipline encore plus que dans la vue de punir le délit commis; qu'elle devait être guidée par une noble sollicitude pour l'honneur de l'armée. En un mot, pour me servir d'une expression fort remarquable, et que j'ai entendue hier, la justice est presque la continuation de la discipline (1).

Autre est la justice civile. Son but est la conservation du bon ordre, non pas seulement dans une portion de la société, mais dans la société tout entière. Elle ne doit pas lui procurer seulement le maintien de la paix publique, mais lui donner ce sentiment de sécurité et de garantie qui fait l'honneur et le bonheur des peuples; il faut qu'elle rassure contre le crime, en même temps qu'elle donne confiance dans la justice et la sagesse du gouvernement. Pour atteindre ce but, elle ne craindra pas une sage lenteur; elle ne s'impatientera d'aucune formalité qui pourra assurer la découverte et la manifestation de la vérité car il lui faudra, non pas même être convaincue, mais convaincre ce public qui l'environne, à qui elle se rend accessible, dont elle défend la cause, dont elle garantit les intérêts. Par cette publicité, autant que par l'institution du jury, son jugement deviendra le jugement du pays, et recevra la sanction puissante et salutaire de l'opinion publique. Cette sanction ajoutera, à toutes les punitions écrites dans le code, la plus morale de toutes les punitions, la honte, qui reste toujours à la disposition, non du juge, nais du public. Les juges de cette justice ne seront ni des supérieurs, ni des inférieurs, ni des commandants, ni des subordonnés; ils seront indépendants et inamovibies. Plus, ce ne sont pas eux qui décideront, ce seront de simples citoyens, libres de tout lien de fonctions, choisis pour représenter gratuitement, et d'une façon transitoire, la société où ils vont rentrer.

Maintenant, cherchons laquelle de ces deux justices est plus naturellement appelée à poursuivre les délits communs, ceux qui troublent, non pas la discipline de l'armée, mais l'ordre de la société,

Nous avons dit ce que devait être essentiellement la justice militaire, excellente pour la sûreté de l'armée et le maintien de sa discipline. Mais cet esprit qui doit l'animer, qui, dans sa propre région, ne saurait être trop loué et encouragé, ne le conservera-t-elle pas lorsqu'il faudra porter ses regards sur un autre ordre de

(1) M. le vicomto de La Brunerie.

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