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d'années des effets d'une guerre terrible et d'une politique mal combinée, avaient mérité qu'on leur procurât une situation heureuse, et tous les bons esprits, tous les hommes sensibles devaient s'occuper des moyens de réaliser une telle situation. J'ai fait ce que j'ai pu pour la faire naître, et quoi que le silence des ministres à qui j'ai communiqué mon projet, soit une preuve qu'il ne leur convenait pas, et que les intérêts personnels de leurs maîtres, leurs propres intérêts peut-être, s'opposaient à son exécution, je ne dois pas négliger de le faire connaître, sa publication ne dut-elle servir qu'à instruire le public qu'il était rédigé avant tous les événemens qui ont eu lieu en Europe depuis le mois de Mars 1813, et qu'à montrer que j'avais prévu ces événemens.

Ces événemens ne pouvaient point échapper à un homme un peu instruit de la situation de l'Europe, à cette époque, et je m'attendais journellement à voir prendre par les puissances les mesures convenables pour les empêcher de naître.

Ces mesures ne pouvaient se trouver que dans leur union sincère, que dans la réunion de leurs forces et de leurs ressources en tous genres; mais elles étaient encore loin de penser

à établir entr'elles cette harmonie si désirable. Je n'apercevais chez les unes qu'inquiétude et défiance; chez d'autres, qu'incertitude sur le parti qu'elles avaient à prendre; que terreur chez le plus grand nombre; et dans ce trouble général il était difficile de penser qu'elles parvînssent à s'entendre pour pouvoir s'opposer toutes ensemble à l'ennemi commun. Il fallait imaginer une combinaison politique qui en formant de tous les intérêts un seul intérêt, pût réunir toutes les volontés, et qui pût aussi contraindre le dominateur de l'Europe à s'en arranger.

J'avais songé longtems au projet d'organisation que je publie aujourd'hui; mes voeux pour le bonheur public m'ont inspiré l'idée de le rédiger. Peut-être serait-il déjà mis à exécution, si, comme les ministres des puissances qui ont établi le systême de balance, je n'avais eu à consulter que ma propre opinion, sans m'embarrasser de ses conséquences. Il est sans doute fort aisé de procéder en politique, lors qu'on s'est approprié le droit de dire: nous avons pensé, et on doit s'accommoder de ce que nous avons pensé: nous avons jugé convenable, et on doit se soumettre à nos jugemens. C'est mettre les hommes dans la situation d'Anaxa

gore qui, interrogé pour quoi il était né, répondit: pour contempler le soleil et la lune.

Cette façon de procéder peut contraindre les volontés; mais elle n'a pas de pouvoir sur les opinions, et c'est à l'opinion du public que tout faiseur de projets, que tout bâtisseur de systêmes doit s'en rapporter, surtout lorsqu'un systême politique doit faire le bonheur ou le malheur du monde.

Si des hommes sont de deux opinions; si la passion, l'ambition, la jalousie et l'égoisme dirigent l'une de ces opinions; si la justice, le désintéressement, la libéralité et le désir de faire jouir toutes les nations du bonheur qui leur est dû, dirigent l'autre; il importe que le public soit instruit des motifs de ces deux opinions et que les voeux se réunissent en faveur de celle dont les vues tendent vers la félicité commune; il importe, dis-je, que le public soit instruit, car il doit souhaiter sa tranquillité et son bonheur; il doit savoir ce qu'on peut faire pour les lui procurer.

Des opinions sont une marchandise que tout homme a le droit d'étaler. Mais par la raison que cette marchandise est offerte au public, tout homme qui y apperçoit des défauts, a le droit de les faire remarquer. Il a aussi le droit

d'émettre ses opinions, d'étaler sa marchandise et de donner ses raisons pour engager le public à lui accorder la préférence.

C'est ce que j'ai fait. J'ai cherché à démontrer que les systêmes de monarchie universelle et de balance politique sont défectueux, et même contraires à l'établissement d'une paix générale et durable; j'ai tâché de démontrer l'efficacité de mon projet d'organisation politique, et dans ce travail je me suis appuyé des sentimens des anciens et des modernes, dont les livres sont remplis de maximes et de principes propres à faire distinguer la sagesse, la justice et la vertu, fanaux que ne devraient jamais perdre, de vue les hommes que le ciel a destinés à gouverner les peuples.

En rédigeant ce projet, j'ai eu, je l'avoue, l'ambition de contribuer au repos et au bonheur des souverains et des peuples; mai je n'ai pas eu la prétention d'avoir fait mieux qu'un autre ne peut faire. Je déclare qu'en me chargeant de cette intéressante fonction, je n'ai voulu que tracer un chemin qui puisse conduire à la félicité publique; que je m'inclinerai avec beaucoup de joie devant toute personne qui trouvera une route plus courte et plus sûre pour y arriver, et que je me serais abstenu de publier ce projet,

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si le moyen qu'on a adopté pour fonder une paix générale et durable, m'eut paru préférable.

J'ai comparé ce moyen à mon projet, et je soumets l'un et l'autre au jugement du public, seul bon juge, seul juge compétent dans ces sortes de matières.

Si le public juge que le systême de balance, adopté par les puissances, d'après les conseils de leurs ministres, est convenable pour fonder une paix générale et durable, je devrai me reprocher de lui avoir soumis mon projet; mais si après avoir pesé les raisons que je donne pour faire rejeter cet systême, il se range de mon avis, j'aurai à me féliciter d'avoir entrepris un travail qui peut devenir utile, cet avantage étant le seul que je souhaite d'obtenir.

La plupart des hommes emploïent leurs lumières et leurs talens à rechercher les effets des influences. Les académies, les sociétés savantes proposent annuellement des prix à ceux qui réussiront le mieux à expliquer les influences des astres sur les élémens; celles des sciences et des connaissances humaines sur les moeurs des nations; mais ne serait-il pas plus utile de diriger les esprits vers les moyens de procurer aux souverains des jouissances paisibles, et aux peuples un bonheur sans mélange?

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