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marchander, il parvienne à réunir une majorité faible et flottante; il faut, pour la fixer, pour la soutenir, pour l'augmenter, de l'habileté, de la souplesse ; une connaissance profonde des choses et des hommes; une habitude parfaite des bienséances de la tribune ; un art exquis pour cacher son amour propre et ménager celui des autres ; une présence d'esprit continuelle, pour dissimuler sa susceptibilité inquiète et son irritable impatience à la plus légère égratignure faite à l'épiderme vaniteux. Tout le monde peut dire si ce sont là les qualités qui distinguent l'homme sous les auspices duquel s'est formé le nouveau ministère, et qui, sans en être nominativement le chef, paraît devoir le diriger. L'attitude qui siérait mal même au favori d'un roi absolu, ne conviendra jamais au ministre d'une monarchie constitutionnelle.

Le ministère a peut-être encore, il faut bien en convenir, un moyen à peu près sûr de se procurer, pendant quelque temps, la majorité dans la chambre des députés. C'est de se jeter ouvertement dans le parti des indépendans, et d'y entraîner tous les ministériels qui sont à lui à tort et à travers, ou, pour nous servir d'une expression vulgaire mais énergique, à pendre et à dépendre. Déjà les indépendans lui ouvrent les bras, mais c'est pour l'étouffer; déjà la Minerve loue le ministère, mais c'est pour l'asphixier par un encens empoisonné. Le parti révolutionnaire a tué, a dévoré tous ceux qui ont marché un seul instant avec lui, dès qu'ils ont balancé à le suivre aussi loin qu'il voulait aller; tel serait encore, sans nul doute, le sort du ministère qui se laisserait pousser par cette faction, en croyant marcher

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à sa tête, et qui lui obéirait en se flattant de la commander.

Il est constant que le ministère est résolu à ne proposer aucune modification ni à la loi des élections ni à celle du recrutement; il est constant que presque tous les régicides (1), les bannis sont rappelés ; que de nombreux changemens se préparent dans l'armée, dans les préfectures et dans les administrations. Il est constant que cette ordonnance relative à la garde royale, cette ordonnance vaguement interprétée, et qui long-temps a été suspendue à un fil comme le glaive de Damoclès, vient d'atteindre plusieurs officiers devoués et fidèles. Il est constant que les hommes dont la joie est toujours de mauvais, augure, font éclater une audacieuse, allégresse, et dissimulent à peine leurs espérances menaçantes. Mais ce qui doit rassurer les amis du trône, les vrais amis du Roi, c'est que le ministère, qui paraît bien déterminé sur tout ce qu'il ne fera› pas, est loin d'avoir des idées aussi fixes sur ce qu'il doit et sur ce qu'il peut faire ; il n'a encore arrêté que son système négatif. Il circule déjà un bruit qui, s'il est dénué de fondement, ne choquerait pas du moins la vraisemblance, c'est que les Chambres pourraient fort bien être ajournées jusqu'au mois d'avril prochain.

Cette incertitude, cet embarras du ministère, que la réunion des Chambres trouve au dépourvu, atteste que s'il ne recule pas encore, il s'arrête déjà devant les obstacles qu'il n'a ni la force de franchir ni l'adresse d'éluder. :

(1) Voyez le tableau collectif, à l'article des Nouvelles diverses. 1. 1e LIVRAISON.

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Que l'opposition de droite garde son attitude noble et ferme; elle n'a pas encore perdu une voix; elle gagnera infailliblement celles de tous les députés royalistes qui ont cru devoir voter avec le ministère, même lorsque, dans le for intérieur, ils n'approuvaient pas entièrement toutes ses mesures, mais qui à coup sûr ne le suivront pas, s'il va chercher dans ée qui formait l'opposition de gauche, des alliés trop chers et trop dangereux.

Cette réunion des ministériels royalistes avec le côté droit, est déjà consommée dans la Chambre des pairs, qui paraît bien disposée à soutenir dignement le beau rôle que cette session lui prépare. Les indépendans que le ministère pourrait se rattacher, y sont en si petite minorité, qu'ils ne formeraient pas le cinquième des votes. On pårle, il est vrai, d'une nombreuse promotion de nouveaux pairs; mais comme nous ne pensons pas qu'on ait pris la résolution formelle d'avilir une institution qui tient de si près au trône, en jetant des pairies à pleines' mains, nous croyons qu'on sera effrayé de la quantité de nouveaux pairs de France démocrates qu'il' faudrait introduire dans la Chambre, pour y contrebalancer une majorité de plus de cent membres, A. MARTAINVILLE,

Quelques idées sur la responsabilité ministérielle.

PAR le même article qui consacre l'inviolabilité de la personne du Roi, la Charte établit le principe de lá responsabilité ministérielle; le royal législateur a proclamé, dans la Constitution écrite, les droits

acquis par la coutume à la nation française. Si te Roi le savait! était l'expression consolante du peuple, qui gémissait sous le despotisme des agens du pou voir. Il était tellement dans les habitudes du peuple français de considérer la personne du Roi comme inviolable et sacrée, que, sous le règne impuissant des derniers rois de la race des Carlovingiens, on' ne s'écartà jamais du respect religieux que l'on dévait au Monarque. La confiance des gouvernans fut toujours si grande à cet égard, qu'elle a été l'une' des causes innocentes d'un grand crime politique' et des malheurs de la patrie. Le Roi-Martyr pouvait conjurer l'orage qui menaçait la nation et la légitimité; il n'avait qu'à dire un mot pour faire rentrer' dans la poussière la faction ambitieuse qui voulaiť établir le triomphe des intérêts individuels sur la chute de l'intérêt général le mot eût été dit, et la France sauvée, si l'amour héréditaire des Français pour leur Roi n'avait éloigné l'idée d'un régicide.

Les ministres étaient responsables par l'ancienne coutume. L'existence de l'inviolabilité de la personne du Roi, établirait déjà une assez forte présomption de la responsabilité ministérielle, si notre' histoire ne nous fournissait des faits et des actes qui s'élèvent au-dessus de cette présomption pour la changer en certitude.

Depuis Pierre De la Brosse, ministre et favori de Philippe-le-Hardi, qui fut pendu en 1276, pour avoir voulu, à la faveur d'une calomnie atroce, mettre le trouble dans la famille royale, jusqu'à Olivier-leDaim, ministre et favori de Louis XI, supplicié de la même manière en 1484, sous la majorité de Charles VIII, c'est-à-dire dans l'espace de deux

cent huit ans, dix ministres subissent successivement la peine capitale, comme coupables d'abus de pouvoir, de malversations, et d'autres crimes de haute félonie. Soixante ans après, et sous le règne de François Ier, le chevalier Poyet est condamné à la peine de la dégradation civique par le Parlement de justice de Paris, garni de pairs et considéré comme Cour des Pairs. Le serment des chanceliers de France portait ces paroles remarquables : « Vous «< jurez Dieu, votre créateur, et sur votre foi et « honneur..... que quand on vous apportera quel « que lettre signée par le commandement du Roi, « si elle n'est de justice et raison, ne la scellerez «< point, encore que ledit seigneur le commande << par une ou deux fois; mais viendrez de vers ice« lui seigneur, et lui remontrerez tous les points « par lesquels ladite lettre n'est raisonnable.»

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Sans augmenter le nombre des citations et des exemples, il est évident que, dans l'ancienne monarchie, les ministres étaient responsables de droit et de fait. Comme les ministres avant la Charte, les ministres depuis la Charte sont responsables de . droit; mais le sont-ils de fait ? Le principe établi dans la loi politique n'étant pas suffisamment développé dans la loi civile, nous sommes dans la triste obligation de répondre négativement. Le Code pénal,› art. 114, prononce à la vérité la peine de la dégradation civique contre tout fonctionnaire publique, agent ou préposé du Gouvernement, qui aurait or-. donné ou fait quelque acte arbitraire et attentatoire, soit à la liberté individuelle, soit aux droits civiques d'un ou de plusieurs citoyens, soit aux Constitutions DE L'ETAT. Mais qu'est-ce qu'une disposition légale

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