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HISTOIRE

D'UN

COUP D'ÉTAT.

I

CHAPITRE PRÉLIMINAIRE,

L'acte du 2 décembre, que nous allons raconter dans ses détails les plus intimes, a eu des causes de haute politique et des raisons d'être que notre collaborateur a exposées dans son introduction. Avant d'entrer dans notre récit, nous ne pouvons nous dispenser de faire en quelque sorte le chapitre préliminaire des faits. Pour cela nous devons remonter assez loin en arrière.

Après la surprise de 1848, les parlementaires furent débordés. Ils virent avec stupeur, avec effroi, ce que

leurs doctrines avaient produit dans la société. Apparurent les démocrates rouges. Il faut bien en convenir, les hommes des anciens partis ne brillèrent alors ni par le courage ni par la dignité. En face des éventualités d'une nouvelle terreur, ils se firent bien petits et bien rampants. Ils acclamèrent tout ce qu'on voulut. Plus tard, ils dirent que c'était pour se créer un terrain neutre, que la République était le parti qui les divisait le moins. Cela n'est pas vrai. Ils passèrent avec armes et bagages sur ce terrain-là, parce qu'ils ne se croyaient pas en sûreté sur le leur. Ceci est de l'histoire. Alors ils ne songeaient plus à leurs querelles; ils ne songeaient qu'à leur salut. Quelques chefs de parti, comme M. Berryer, firent exception. Ils crurent revenir à leur royauté de droit divin par le désordre, et le Moniteur constate qu'ils se mirent de son côté. Ainsi, les uns, par peur, les autres, par calcul, laissèrent aller à la dérive le vaisseau de l'État vers les écueils de la démagogie, de l'anarchie. En juin 1848, la peur les mit tous à la suite du général Cavaignac qui les avait sauvés; cependant ils ne l'aimaient guère; n'importe ils obéissaient, et quand le général frappait sur ses bottes avec sa cravache en pleine Assemblée, personne ne s'avisait de trouver cela inconvenant.

Un d'eux, qui depuis a été l'un des plus ardents adversaires du Président, un homme de génie pourtant, qui s'est teint en rouge après avoir sollicité les votes des blancs, disait dans un salon, en parlant du général Cavaignac et de son parti, quand on prévoyait l'élection

du prince Louis-Napoléon: « Ils ne descendront pas du pouvoir; ils feront un coup d'État, de la terreur, et ils nous guillotineront. » C'est ainsi que la peur transformait à leurs yeux un honnête homme, un brave général en un buveur de sang.

Ah! si un prince quelconque fut venu à cette heure prendre le pouvoir, ils eussent béni ce prince. Ils le disaient.

Lorsque six millions de suffrages nommèrent LouisNapoléon Bonaparte, président de la République, et qu'ils virent tout à coup la patrie rassurée sous le prestige de ce grand nom, ils commencèrent à respirer. Il faut en convenir, c'est le prestige du nom qui, pendant trois ans, a maintenu la France en paix et en prospérité; car le neveu de l'Empereur n'a pas gouverné. Ce sera la honte éternelle des partis, et sa gloire à lui, la plus grande peut-être aux yeux de la postérité. Jamais il ne fut donné de voir plus entière et plus noble abnégation. Le Président de la République accepta franchement et loyalement son mandat. La France ignore trop les instances réitérées, inouïes, qui furent faites près de Jui par la plupart des délégués que les départements envoyaient avant l'élection du 10 décembre. « Faites vous empereur, lui disait-on; c'est le vœu du pays. » C'était une prière, parfois c'était presque une condition de vote. Eh bien! cette réponse, nous avons eu l'honneur de l'entendre de sa bouche: « Je ne prendrai que ce que la France me donnera. >>

Le prince Président exigea des plus chers dévoue

ments, et de l'entourage le plus attaché, l'abnégation qu'il montrait lui-même. Dans le but d'opérer le rapprochement des par is pour le bien de la France, il donna le pouvoir aux hommes de la légitimité et de l'orléanisme. M. de Falloux devint ministre. Le prince arrivait ainsi d'emblée à l'abnégation la plus absolue. Il ne cessa de faire aux anciens partis les plus larges concessions. Quand on lui disait : « C'est pour le bien de la France.» «Alors faites,» disait-il. Cette noble loyauté, ils la prirent pour de la faiblesse en lui ou pour de la puissance en eux. Il leur prêta loyalement son concours pour museler les passions démagogiques. Le nom prestigieux de Napoléon leur donnait une immense autorité. Ils crurent que cette autorité venait d'eux-mêmes. Leur orgueil et leur audace montèrent jusqu'à la hauteur de leurs illusions. Ils se dirent : la France est avec nous.

On vit surgir tout ce que la peur avait comprimé : les ambitions ardentes, les égoïsmes effrénés. L'Assemblée devint un foyer de complots de toutes sortes.

Les uns veulent une république rouge; d'autres appellent Henri V; d'autres enfin demandent la branche cadette; puis des ambitions secondaires s'agitent audessous, dans leur propre intérêt. Et tout cela s'avoue hautement, la tribune retentit tous les jours de ces scandales. Les journaux des partis font au pouvoir exécutif une guerre acharnée, incessante. Pour l'attaquer, pour le déconsidérer, ils ne reculent devant rien. Sans cesse on invoque contre lui, qui ne l'enfreint

pas, cette Constitution qu'on a vingt fois pour soimême déclarée absurde, qu'on a déchirée, mutilée, et qu'on mettra sous les pieds à l'heure venue pour faire un coup d'État monarchique. Les chefs de parti, les sommités de la Chambre vont recevoir et donner des instructions à Forsdorf et à Claremont.

On conspire en plein jour, audacieusement, contre le Président; on l'enveloppe dans un réseau de complots. Au milieu de tout cela, il garde son calme, son abnégation. L'abnégation a été, trois années durant, le nom de sa politique d'espérance; car il espérait toujours que les partis désarmeraient dans l'intérêt de la France, et qu'ils feraient, sur l'autel de la patrie, l'holocauste de leurs ambitions et de leurs égoïsmes. Et il l'espérait avec une loyauté si grande, que le jour où il a vu jusqu'à l'évidence la trahison, il s'est pour ainsi dire trouvé isolé au milieu de ses ennemis. Voilà ce que la France ne savait pas et ce qu'il faut qu'elle sache. Chaque Français qui a voté oui, pourra se dire : « Si mon vote fut d'entraînement, il fut donc de bien stricte justice aussi. >>

Il faut se reporter à la première prorogation de l'Assemblée, fin de l'année 1850. On sait qu'à cette époque il fut bruit de complots, et qu'une infernale accusation fut imaginée par un fonctionnaire, le commissaire de l'Assemblée, Yon.

Certes, ce ne fut pas son œuvre à lui seul, nous le savons. Mais, à côté des conspirateurs, il y avait, pour le salut de la France, un homme d'honneur et de pro

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