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racontant ses batailles et le glorieux concours qu'il a prêté au grand acte du 2 décembre, qu'en nous disant: «Ma femme et mes filles ont applaudi à mon dévouement; pourtant je m'exposais. Elles n'ont pas un instant, durant la bataille, voulu quitter les Tuileries, elles sont restées près de moi. » Nous concevons qu'un homme de cette nature et d'un tel cœur, ait donné un magnifique exemple et une grande leçon à beaucoup en Février. Quand la duchesse d'Orléans s'en fut, à pied avec ses enfants, à la Chambre des Députés, au milieu de la populace en fureur, le général Magnan en uniforme l'accompagnait.

Il fallait un ministre de la guerre. Le choix tomba sur le général de Saint-Arnaud. Afin de donner à ce général l'autorité nécessaire dans un poste si élevé, on décida la guerre de Kabylie, qui devait le couvrir d'une gloire si éclatante. On se souvient que l'Assemblée ne voulait pas que cette guerre fût faite. Ce furent les généraux Cavaignac, Lamoricière et d'autres du même parti, qui se chargèrent d'en démontrer la nécessité, sans se douter qu'ils offraient un marchepied à M. de Saint-Arnaud pour monter au ministère de la guerre.

Le général de division Leroy de Saint-Arnaud, ministre de la guerre, n'était que lieutenant au 6e régiment de ligne en 1831. Mais, dès cette époque, sa merveilleuse aptitude, son talent instinctif du métier des armes, lui présageaient de hautes destinées. Pour parler militairement, il avait dans son sac le bâton de maréchal. Le général Bugeaud, qui se connaissait en hommes,

a

disait : « Il ira loin; je veux avoir l'honneur d'y être pour quelque chose. » Il lui fit rapidement parcourir tous les grades. Mais chaque grade était payé d'avance par une action d'éclat; chaque décoration, par quelque éminent service. Pour écrire la vie militaire de M. de SaintArnaud, il faudrait, pendant quatorze années durant, suivre nos armées d'Afrique dans ces guerres difficiles et brillantes, où chaque étape est marquée par un glorieux fait d'armes. Nous le verrions comme colonel, en 1844, commandant la subdivision d'Orléansville, poursuivre le fameux Bou-Maza dans les retraites imprenables du Daahra; par une savante stratégie et de brillants combats, le forcer, après deux ans de lutte, à faire sa soumission. Nous ferions l'histoire de cette campagne de Kabylie qui a mis le comble à sa réputation militaire. Cent cinquante-cinq lieues de pays, conquis en quatre-vingts jours, vingt combats et six batailles, en tout vingt-six victoires, tel en est le bulletin magique; et tout cela accompli avec huit mille hommes. Il y a comme de la chevalerie féerique dans cette guerre: c'est du Bayard et du Scanderberg, avec la science militaire de notre époque en plus !

Esprit élevé, résolu, n'admettant pas l'impossible, assez fort pour traiter avec une apparence de légèreté et d'insouciance les choses les plus graves, plein de ressources pour briser ou tourner l'obstacle et l'imprévu, rapide et précis dans l'action; avec cela, franc comme l'acier de son glaive, bon et rude comme un homme de guerre, tel est le général de Saint-Arnaud. Il vient de

Kabylie avec toutes ses émotions de dangers courus et de gloire acquise. Toute sa vie, s'il a cru au droit, il a cru au devoir, ces deux pôles régulateurs mis par Dieu au libre arbitre humain; et vous voulez qu'il prenne au sérieux vos parades parlementaires et vos batailles à coups de scrutin pour des libertés illusoires! vous voulez qu'il baisse son épée devant vos questeurs ridicules, qu'il accepte pour l'armée vos théories d'avocats sur le devoir du soldat! Il y a quatorze cents ans qu'en France ce devoir est inscrit au cœur de qui porte l'épée. Ce devoir place le glaive du soldat au-dessus des régions où s'agitent vos complots et vos ambitions mesquines. Il le met aux ordres de ceux à qui Dieu confère la mission de protéger ou de sauver un pays. M. de SaintArnaud se charge de vous le dire.

Quand il monta à la tribune, on sait le langage qu'il parla aux conspirateurs de l'Assemblée, qui fut comme prise de défaillance et qui n'osa pas voter affirmativement sur ses propres complots. Tous ces parlementaires furent terrifiés à la voix de cet orateur des champs de bataille qui sentait encore la poudre; seul à cette tribune, il leur semblait avoir deux cent mille hommes derrière lui.

Tout était donc prêt du côté de l'armée pour les éventualités d'un coup d'État. Il fut sur le point d'avoir lieu, lors de la dernière prorogation de l'Assemblée. C'eût été une faute, et une faute grave. La France ne voyait pas encore assez clairement les complots parlementaires. Elle aurait pu croire que le prince agissait

dans un but d'intérêt personnel et d'ambition. Le préfet de police d'alors y poussait fortement. Beaucoup de personnages dévoués au prince agissaient de même. Ce furent M. de Saint-Arnaud et le général en chef Magnan, principalement, qui firent abandonner ce projet, en faisant valoir les raisons qui demandaient qu'on ajournât l'exécution. Le Président, ses ministres, quelques hauts fonctionnaires, connaissaient les conspirateurs; mais cela ne suffisait pas. En dissolvant l'Assemblée en pleine paix, on se donnait les apparences de l'illégalité. L'Assemblée pouvait se réunir dans une ville de province, y rendre ses décrets, dresser pouvoir contre pouvoir. Que serait-il advenu? La moindre conséquence eût été une guerre civile acharnée. Le Socialisme n'eût pas hésité à prendre provisoirement la Constitution pour drapeau, et les partis de l'Assemblée eussent accepté pour défenseurs les soldats de la Jacquerie. Tels étaient les motifs puissants qu'invoquaient les adversaires du coup d'État pendant la prorogation. « L'Assemblée trahira bien assez ses complots, disait le général Magnan, attendons qu'elle nous donne barre. »

En effet, à peine réunie, l'Assemblée montre contre le Président l'hostilité la plus vive. Elle repousse, à la majorité de quatre voix escamotées, la loi du Suffrage universel, que le Président proposait dans un intérêt de salut public.

Vient ensuite la fameuse proposition, dite des questeurs, et qui restera connue dans l'histoire sous le nom de proposition Baze. Rien de plus violent contre la

discipline de l'armée, rien de plus provocateur que ce factum insensé de la conspiration parlementaire. En voici le texte :

PROPOSITION DÉPOSÉE AVEC DEMANDE D'URGENCE.

Art. 1er. Le Président de l'Assemblée nationale est chargé de veiller à la sûreté intérieure et extérieure de l'Assemblée.

Il exerce, au nom de l'Assemblée, le droit conféré au pouvoir législatif par l'art. 32 de la Constitution, de fixer l'importance des forces militaires pour sa sûreté, d'en disposer et de désigner le chef chargé de les commander.

A cet effet, il a le droit de requérir la force armée et toutes les autorités dont il juge le concours nécessaire.

Ces réquisitions peuvent être adressées directement à tous les officiers, commandants ou fonctionnaires, qui sont tenus d'y obtempérer immédiatement sous les peines portées par la loi.

Art. 2. Le Président peut déléguer son droit de réquisition aux questeurs ou à l'un d'eux.

Art. 3. La présente loi sera remise à l'ordre du jour de l'armée, et affichée dans toutes les casernes sur le territoire de la République.

L'Assemblée fut à deux doigts de sa dissolution le jour où eut lieu le vote sur cette fameuse proposition. Notre collaborateur dit, dans son Introduction, que si la proposition eût passé, l'Assemblée avait dessein d'avoir une séance de nuit où aurait abouti la conspiration monarchique. Non, la séance de nuit n'aurait pas eu lieu. Louis-Napoléon n'aurait point attendu qu'on le citât à la barre.

M. de Saint-Arnaud, qui ne se rendait pas compte

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