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sident. Elle fut courte, solennelle et remplie de cette émotion qui précède les grands événements. On n'avait plus qu'à se serrer la main; tout était dit, convenu, arrêté. Chacun avait besoin de ne pas user ses forces d'avance, car les jours de travail et de fatigue allaient venir. «Allons prendre un peu de repos, dit le Prési– dent, et Dieu protége la France. » Il dormit profondément. Le génie a de ces priviléges-là.

M. de Morny n'était pas à l'Élysée le soir du 1" décembre; il se trouvait à l'Opéra-Comique, non loin du général Cavaignac qui, quatre jours plus tard, devait épouser la fille du riche banquier, M. Odier. Une dame vint avec son mari saluer M. de Morny dans sa loge. « Vous vous occupez sans cesse de votre Assemblée, lui dit-elle, mais on dit qu'on va lui donner du balai. Je n'en sais rien, dit M. de Morny; mais si cela arrive, soyez sûre, madame, que je tâcherai de me mettre du côté du manche. » Nous inscrivons ce bon mot, malgré qu'il tranche un peu sur le sérieux de notre récit, parce qu'il montre à quel point M. de Morny gardait son calme au moment de s'engager dans une aussi grande entreprise. En quittant le spectacle, il reconduisit une dame qu'il accompagnait, alla quelques instants à l'Élysée et se rendit ensuite au Jockey-Club où il resta fort tard.

Pour que le plan arrêté réussît, il fallait qu'on l'exécutât dans toutes ses parties, simultanément, avec promptitude et résolution. La moindre hésitation eût pu tout perdre. Il fallait arrêter les conspirateurs et les

personnages dangereux; imprimer et promulguer les décrets du Président; s'emparer du palais de l'Assemblée, prendre militairement position sur tous les points qu'on avait jugé nécessaire d'occuper. Dans la soirée du 1er, un certain nombre des ouvriers de l'Imprimerie nationale furent consignés sous prétexte d'une besogne d'urgence. Le directeur, qui était prévenu, mais sans détermination de jour, fut invité à s'y trouver à onze heures. Ce soir-là, il assistait à l'Opéra-Comique à la première représentation d'une pièce de son frère. Al'heure désignée, il attendait dans la cour de l'Imprimerie nationale. Bientôt un fiacre y entre. Il est minuit. Qu'à peu de chose tient le sort d'une révolution! On peut supposer mille causes, et des plus simples, qui eussent fait sombrer, dans l'océan des rues de Paris, ce nouvel esquif, portant César et sa fortune. M. de Béville, colonel d'état-major et officier d'ordonnance du prince, descendit du fiacre avec un paquet cacheté, contenant les décrets et proclamations, de la main même de Louis-Napoléon, avec sa signature, celles de deux de ses ministres et de M. de Maupas. On remise la voiture. Le cocher est enfermé dans une salle basse. Presqu'au même moment, M. de Laroche-d'Oisy, capitaine de la gendarmerie mobile, entrait dans la cour avec sa compagnie, la 4e du premier bataillon. Ordre lui avait été donné par le ministre de la guerre d'obéir aveuglément au directeur de l'établissement, quoi qu'il pût lui commander. Heureusement, tout se passait à l'abri des regards, car quiconque eût pu voir

la physionomie de cette scène nocturne, eût compris qu'un grand événement se préparait. On charge silencieusement les armes, puis des sentinelles sont placées partout, aux portes, aux fenêtres. « Si quelqu'un sort ou s'approche d'une fenêtre, vous ferez feu,» leur dit-on. Chaque sentinelle, l'œil attentif et la main sur son arme, veille sur ce qui se fait. Les ouvriers sont au travail sous la surveillance du directeur et du colonel de Béville. Tout est terminé à trois heures et demie. On réunit les gendarmes et on leur lit les pièces imprimées. Il faut comprimer leur enthousiasme. Pendant que le capitaine continue de veiller à ce que personne ne puisse sortir de l'établissement, le même fiacre qui avait amené le colonel de Béville, le conduisait avec les imprimés à la Préfecture de police. M. de Saint-Georges l'accompagnait.

L'opération la plus difficile, parce qu'elle était multiple, était l'arrestation des personnages compromis dans les complots contre le Président, et de ceux qui étaient considérés comme dangereux, soit qu'ils fussent d'anciens délégués au Luxembourg, des chefs d'associations secrètes ou des hommes de barricades. Il ne fallait hésiter devant aucune de ces arrestations, quels que fussent les intérêts privés et la situation exceptionnelle de certaines individualités, haut placées par leur influence actuelle ou par leurs antécédents. C'était une question de salut public. Quelques-uns de ces personnages, appartenant à l'Assemblée, étaient depuis longtemps signalés par leurs violences de langage, par

leurs menaces. Ils trahissaient ainsi, d'une façon ostensible pour les moins clairvoyants, leurs desseins contre l'Élu du 10 décembre. Leur plan d'attaque était préparé; il était connu jusque dans ses plus secrets détails, et leur arrestation, si elle n'était pas la condition indispensable du succès, avait certainement pour résultat de paralyser la lutte et d'en amoindrir considérablement les conséquences toujours fatales. Il y avait environ soixante-dix-huit personnes à enlever dans la matinée du 2. Depuis à peu près quinze jours, toutes leurs démarches étaient surveillées par des agents secrets de la police, qui ne se doutaient aucunement des motifs de la surveillance qu'ils exerçaient vis-à-vis d'eux, et n'avaient aucune idée de l'ensemble de la

mesure.

Il existe dans tous les quartiers de Paris des bureaux de police, où chaque soir les agents qui ont été de service pendant le jour, se réunissent pour répondre à l'appel. C'est de là qu'ils partent pour retourner chez eux. Dans un grand nombre de ces bureaux, les agents furent consignés et enfermés, le soir du lundi 1°, à onze heures. Ordre leur fut donné d'attendre qu'un commissaire ou un officier de paix vînt les prévenir de ce qu'il y aurait à faire. A la Préfecture de police, on consignait également un grand nombre d'agents et une partie des brigades de sûreté. On donnait pour motif de ces mesures la présence dans la capitale de MM. Ledru-Rollin, Louis Blanc et des autres réfugiés de Londres. Les commissaires et officiers de paix, qui avaient consigné les

agents dans leurs bureaux respectifs, avaient dû venir immédiatement à la Préfecture de police. A minuit, on les faisait entrer dans des salles séparées, où ils devaient attendre des ordres. Ceux qui n'avaient pas eu des agents à consigner, ne furent prévenus qu'à trois heures et demie du matin.

Tout le personnel nécessaire à l'action était sous la main du Préfet, une heure plus tard. Ce fut à cinq heures que les commissaires de police furent appelés séparément dans le cabinet de M. de Maupas, où ils reçurent leurs instructions et leurs mandats. A chacun, on donnait, pour l'accompagner dans sa mission, des hommes choisis et d'exécution. Ces agents secondaires ignoraient dans quel but on procédait aux arrestations; mais les commissaires recevaient du Préfet de police la confidence précise du d'État fait coup par le Président. Tous lui promirent leur concours dévoué, et partirent, décidés à ne reculer devant aucun obstacle, à surmonter toutes les difficultés. M. de Maupas, dans cette circonstance capitale, avait su trouver cette éloquence du cœur, cet accent du patriotisme, qui s'imposent aux hommes d'honneur et de probité. Pas un des commissaires n'hésita; pas un ne fit une objection. En descendant de la Préfecture, les commissaires trouvaient sur les quais des voitures qui les attendaient, et qui les emportaient rapidement sur les points où ils avaient à agir. Les uns emmenaient des escouades de la Préfecture même, les autres allaient prendre les agents qu'ils avaient consignés dans leurs quartiers respectifs. Seize

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