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Continuellement sous l'œil et dans la main d'une active surveil lance, chaque heure sera marquée pour le sommeil, le repas, le travail, l'exercice, le délassement; tout le régime de vie sera invariablement réglé ; les épreuves graduelles et successives seront déterminées; les genres de travaux du corps seront désignés ; les exercices de gymnastique seront indiqués; un réglement salutaire et uniforme prescrira tous ces détails, et une exécution constante et facile en assurera les bons effets.

Je désire que, pour les besoins ordinaires de la vie, les enfans, privés de toute espèce de superfluité, soient restreints à l'absolu nécessaire.

Ils seront couchés durement; leur nourriture sera saine, mais frugale; leur vêtement commode, mais grossier.

Il importe que pour tous l'habitude de l'enfance soit telle, qu'aucun n'ait à souffrir du passage de l'institution aux divers états de la société. L'enfant qui rentrera dans le sein d'une famiile pauvre retrouvera toujours ce qu'il quitte ; il aura été accoutumé à vivre de peu, il n'aura pas changé d'existence. Quant à l'enfant d'un riche, d'autres habitudes plus douces l'attendent, mais celles-là se contractent facilement. Et pour le riche lui-même, il peut exister dans la vie telles circonstances où il bénira l'âpre austérité et la salutaire rudesse de l'éducation de ses premiers ans.

Après la force et la santé, il est un bien que l'institution publique doit à tous, parce que pour tous il est d'un avantage inestimable, je veux dire l'accoutumance au travail.

Je ne parle point ici de telle ou telle industrié particulière; mais j'entends, en général, ce courage pour entreprendre une tâche pénible, cette action en l'exécutant, cette constance à la suivre, cette persévérance jusqu'à ce qu'elle soit achevée, qui caractérise l'homme laborieux.

Formez de tels hommes, et la République, composée bientôt de ces robustes élémens, verra doubler dans son sein les produits de l'agriculture et de l'industrie.

Formez de tels hommes, et vous verrez disparaître presque tous les crimes.

Formez de tels hommes, et l'aspect hideux de la misère n'affligera plus vos regards..

Créez dans vos jeunes élèves ce goût, ce besoin, cette habitude de travail, leur existence est assurée, ils ne dépendent plus que d'eux-mêmes.

J'ai regardé cette partie de l'éducation comme une des plus importantes.

Dans l'emploi de la journée tout le reste sera accessoire, le travail des mains sera la principale occupation.

Un petit nombre d'heures en sera distrait; tous les ressorts qui meuvent les hommes seront dirigés pour activer l'ardeur de notre laborieuse jeunesse.

Les pères de famille, les élèves, les maîtres, tous, par la loi que je vous propose, seront intéressés à produire dans les ateliers des enfans la masse la plus considérable de travail qu'il sera possible; tous y seront excités par leur propre avantage.

Les uns, parce qu'ils y trouveront la diminution de la charge commune; les autres, parce qu'ils y verront l'espérance d'être honorés et récompensés; les enfans enfin, parce que le travail sera pour eux la source de quelques douceurs toujours proportionnées à la tâche qu'ils auront remplie.

Il est une foule d'emplois laborieux dont les enfans sont susceptibles.

Je propose que tous soient exercés à travailler à la terre'; c'est la première, c'est la plus nécessaire, c'est la plus générale des occupations de l'homme; partout d'ailleurs elle offre du pain.

On peut encore leur faire ramasser et répandre les matériaux sur les routes; les localités, les saisons, les manufactures voisines de la maison d'institution offriront des ressources particulières. Enfin un parti plus général ne serait peut-être pas impraticable.

Je voudrais qu'on établit dans les maisons même d'institution divers genres de travaux auxquels tous les enfans sont propres, et qui, distribués et répartis dans tous ces établissemens, grossiraient sensiblement pour la République la masse annuelle des productions manufacturières.

T. XXVI.

J'appelle sur cette vue importante d'économie politique l'attention et le génie des citoyens intelligens dans les arts. J'offre un programme à remplir sur cet objet, et je demande que la nation promette une honorable récompense pour tous ceux qui indiqueront un genre d'industrie facile, qui soit propre à remplir la destination que je vous propose.

Régler sa vie, se plier au joug d'une exacte discipline, sont encore deux habitudes importantes au bonheur de l'être social. Elles ne peuvent se prendre que dans l'enfance; acquises à cet âge, elles deviennent une seconde nature.

On calculerait difficilement à quel point une vie bien réglée et bien ordonnée multiplie l'existence, moralise les actions de l'homme, fait entrer dans sa conduite tout ce qui est bien, et la remplit tellement d'actes utiles, qu'il n'y reste plus de place, si je peux parler ainsi, pour tout ce qui est vice ou désordre.

Je n'attache pas un moindre prix à l'habitude d'une austère discipline. Souvenons-nous que nous élevons des hommes destinés à jouir de la liberté, et qu'il n'existe pas de liberté sans obéissance aux lois. Ployés tous les jours et à tous les instans sous le joug d'une règle exacte, les élèves de la patrie se trouveront tous formés à la sainte dépendance des lois et des autorités légitimes. Voyez ce jeune soldat avant qu'il ne s'engage, et retrouvez-le après qu'il a servi quelque temps: ce n'est plus le même homme; ce changement est pourtant l'ouvrage de quelques mois de discipline militaire. Combien ce moyen ne sera-t-il pas plus efficace, étant dirigé sur les organes souples et flexibles de l'enfance, modifié avec philosophie et mis en œuvre avec habileté et intelligence?

Sans l'éducation commune et nationale, il est également impossible de créer les deux habitudes importantes que je viens de développer. Deux heures d'école ébaucheraient à peine l'ouvrage; l'indépendance du reste du jour en effacerait jusqu'à la

trace.

Sans l'éducation nationale, il vous faut renoncer à former ce que j'appelle les mœurs de l'enfant, qui bientôt, par ce plan,

́vont devenir les mœurs nationales; et par là je veux dire la sociabilité, son caractère, un langage qui ne soit point grossier, l'attitude et le port d'un homme libre, enfin des manières franches, également distantes de la politesse et de la rusticité. Entre citoyens égaux d'une même république, il faut que ces divers avantages de l'éducation soient répartis à tous: car, on a beau dire, ces nuances, lorsqu'elles existent, créent d'incalculables différences, et établissent de trop réelles inégalités entre les hommes.

Je ne sais si je m'abuse, mais il me semble que toutes les habitudes dont j'ai présenté jusqu'ici l'énumération sont une source féconde d'avantages pour les enfans et pour l'état; ce sont les vrais fondemens d'une salutaire éducation; sans elle il n'existe pas d'éducation. Si dans l'enfance nous ne les donnons point à tous les citoyens, la nation ne peut pas être profondément régénérée.

De toutes ces habitudes, il n'en est pas une seule dont j'entrevoie la source dans le système du comité.

Créer des habitudes est un objet entièrement étranger à son plan: il offre à tous d'utiles leçons; mais pour former des hommes, des instructions ne suffisent pas.

J'aborde maintenant l'enseignement, cette partie de l'éducation, la seule que le comité ait traitée, et ici je marcherai d'accord avec lui.

Quelles sont les notions, quelles sont les connaissances que nous devons à nos élèves? Toujours celles qui leur sont nécessaires pour l'état de citoyen, et dont l'utilité est commune à toutes les professions.

J'adopte entièrement, pour l'institution publique, la nomenclature que le comité vous a présentée pour le cours des écoles primaires; apprendre à lire, écrire, compter, mesurer, recevoir des principes de morale, une connaissance sommaire de la constitution, des notions d'economie domestique et rurale; développer le don de la mémoire en y gravant les plus beaux récits de l'histoire des peuples libres et de la révolution française: voilà le nécessaire

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pour chaque citoyen; voilà l'instruction qui est due à tous. Je me contenterai d'observer que, sans multiplier davantage ces objets d'étude, je désire que l'enseignement en soit un peu plus étendu et plus approfondi que dans le plan du comité; je voudrais reporter quelque chose de l'instruction destinée par le comité pour les écoles secondaires dans mon cours d'institution publique.

Le comité dans les écoles primaires n'avait préparé cette substance morale, pour l'enfance, que jusqu'à l'âge de dix ans. Je prolonge jusqu'à douze l'institution publique, et ces deux années comportent une nourriture plus solide et plus abondante.

Jusqu'ici j'ai développé le système de diverses habitudes dont la réunion forme le complément d'un bon cours d'éducation; et cependant je n'ai pas encore prononcé le nom de cette habitude morale qui exerce une si souveraine influence sur toute la vie de l'homme je veux dire la religion; sur cette matière délicate, il est plus aisé d'exprimer ce qui est mieux que ce qui est possible.

C'est d'après le principe que l'enfance est destinée à recevoir l'impression salutaire de l'habitude que je voudrais qu'à cet âge il ne soit point parlé de religion, précisément parce que je `n'aime point dans l'homme ce qu'il a toujours eu juqu'à présent, une religion d'habitude.

Je regarde ce choix important comme devant être l'acte le plus réfléchi de la raison.

Je désirerais que, pendant le cours entier de l'institution publique, l'enfant ne reçût que les instructions de la morale universelle, et non les enseignemens d'aucune croyance particulière.

Je désirerais que ce ne fût qu'à douze ans, lorsqu'il sera rentré dans la société, qu'il adoptât un culte avec réflexion. Il me semble qu'il ne devrait choisir que lorsqu'il pourrait juger.

Cependant, d'après la disposition actuelle des esprits, surtout dans les campagnes, peut-être pourriez-vous craindre de porter le mécontentement et le scandale même au milieu de familles simples et innocentes, si les parens voyaient leurs enfans séparés

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