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sue de la séance mémorable qui avait lieu à quelques pas de nous. Personne ne disait mot; à peine osait-on interroger des yeux ceux qui allaient et venaient sans cesse. Nous avions vu passer l'impératrice qui se rendait au conseil; elle était soutenue par sa fille, la reine Hortense. Toutes deux portaient un grand chapeau blanc noué sous le menton; celui de Joséphine avait une forme si ample qu'il lui cachait une partie de la figure. Cependant il était aisé de voir qu'elle avait beaucoup pleuré; elle pleurait même encore: elle tenait à la main un mouchoir avec lequel elle essuyait à chaque instant ses yeux.

Une heure après l'ouverture de la séance, l'huissier ayant annoncé : l'Impératrice! Joséphine parut la première, donnant toujours le bras à sa fille et soutenue par son fils qui avait l'air profondément ému. Elle paraissait avoir peine à marcher, et présentait l'image de la douleur et du désespoir. Tout le monde était debout; le silence le plus profond régna pendant le peu de temps que Sa Majesté mit à traverser le salon de service.

Nous apprîmes le lendemain, par M. Re

gnault de Saint-Jean-d'Angély, qui jouait un grand rôle au conseil, tous les détails de cette séance. Il nous dit qu'en prononçant son discours, l'empereur avait éprouvé une telle émotion qu'il avait mis un assez long intervalle entre chacune de ses phrases. Quand était venu le tour de Joséphine, sa fille avait été obligée de la soutenir sous les bras pour qu'elle pût se tenir debout; les mots qu'elle avait prononcés avec peine ne paraissaient avoir aucune suite, sa voix était tremblante et oppressée, des larmes inondaient ses joues; elle s'était trouvée mal lorsqu'elle avait fini de parler. Pendant ce temps l'empereur s'agitait sur son siége, parlait tout bas, ne perdait pas de vue l'impératrice, et semblait souffrir mille fois plus qu'elle. Il était facile de voir que cette scène le mettait au supplice. Tant que dura la séance, les assistans qui étaient tous assis tinrent constamment la tête baissée. L'empereur avait donné l'ordre qu'on allât sur-le-champ chercher Corvisart; mais Joséphine ayant repris ses sens à l'aide des sels que sa fille lui avait fait respirer, était sortie aussitôt le prononcé de l'acte de séparation. Cambacérès fut le seul qui se montra

impassible tant que dura cette scène qui se passa de part et d'autre avec une dignité rare et une grande loyauté.

Les formalités du divorce une fois remplies, l'impératrice avait pris immédiatement congé de l'empereur; elle était descendue dans son appartement qui était au-dessous de celui de son époux. D'après les arrangemens convenus d'avance, elle partit le soir même de Paris, qu'elle ne devait plus revoir, pour aller s'établir à Malmaison. De son côté l'empereur alla le lendemain matin s'installer à Trianon. Joséphine, en descendant du rang suprême, fut obligée de se séparer de la plupart de ceux qui composaient sa cour; mais le cœur et les vœux des personnes qui ne purent faire partie de sa maison suivirent dans sa retraite la femme aimable, l'indulgente souveraine qui venait de tout sacrifier à l'avenir de son époux.

Pendant les huit premiers jours la route de Paris à Malmaison fut, malgré le mauvais temps, couverte d'une foule de personnages de tous rangs, qui regardèrent comme un devoir sacré de se présenter encore une fois à celle qui, bien que dépouillée du diadême, n'en

avait pas moins conservé son titre d'impératrice, et qui avait encore des droits au respect qu'impose toujours une tête couronnée.

L'empereur, de son côté, fit tout ce qu'il put pour s'accoutumer à vivre seul à Trianon, d'où il envoya souvent savoir des nouvelles de l'impératrice. Je crois que, s'il l'avait osé, il rait allé lui-même tous les jours.

y se

A l'occasion de cet événement, l'empereur avait appelé près de lui quelques membres de sa famille. Le roi et la reine de Bavière arrivèrent aussi à Paris à la même époque. Ce fut, de tous les souverains de l'Allemagne, celui qui resta le dernier dans la capitale.

Quoiqu'il en soit, l'hiver se passa assez gaîment en bals masqués, en spectacles et autres divertissemens de ce genre. L'empereur avait recommandé lui-même que l'on procurât le plus de distractions possible aux princes et princesses qui avaient quitté leurs petits états pour venir le visiter. Il avait pris un soin particulier de tout ce qui concernait la reine de Bavière, au service d'honneur de laquelle il avait fait attacher des dames du palais de l'impératrice. A la fin de janvier 1810, tous les princes étaient

retournés chez eux; il ne restait à Paris que ceux des membres de la famille impériale qui devaient assister à la cérémonie du mariage de l'empereur avec Marie-Louise.

Pendant l'hiver de 1809 à 1810, nous fimes fort exactement notre service auprès de l'empereur, à Trianon, à Saint-Cloud, où à Fontainebleau.

Dès le mois de janvier 1810, il était déjà question à la cour de l'arrivée en France de la nouvelle impératrice Marie-Louise. L'empereur s'ennuyant par trop dans les résidences qu'il s'était choisies, était revenu à Saint-Cloud, où tous les rois et les princes de sa famille, restées à Paris, venaient très-souvent lui rendre leurs hommages. Ce jour-là madame Mère était arrivée comme les autres pour y dîner; mais l'empereur qui, le matin, avait été chasser à Grosbois chez le prince de Wagram, n'étant pas encore de retour à huit heures, et les membres de la famille impériale pensant avec raison que S. M. était restée à diner chez son grand-veneur, s'étaient mis à table; moi et de P..... nous avions fait le service auprès des illustres convives, comme si l'empereur avait été présent. Ce dîner

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