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d'un petit étui renfermé dans un gousset de sa culotte.

La cérémonie achevée, le cortége se remit en marche, dans le même ordre, pour retourner dans les appartemens. L'empereur donnait la main à l'impératrice, et cette fois ouvrait la marche, précédé seulement du grand-maître des cérémonies et de nous. A peine LL. MM. avaient-elles quitté la galerie que des chuchottemens et des conversations particulières s'étaient engagés parmi les assistans. Il n'était question que de la journée du lendemain, où l'empereur et l'impératrice devaient faire leur entrée à Paris. Chacun faisait des conjectures: effectivement personne n'était préparé à l'imposant spectacle dont un million de Français devaient être témoins.

Nous dînâmes ce jour-là avec les officiers de la reine de Hollande. Cette princesse fut pour nous ce qu'elle avait toujours été extrêmement gracieuse. Elle avait poussé la bonté jus qu'à venir voir si nous étions bien servis. Avant de sortir de notre salle pour aller se mettre à table chez l'empereur, où il y avait grand dîner de famille, elle nous témoigna le

regret qu'elle éprouvait de ne pouvoir rester plus long-temps avec nous, et nous fit apporter par un des contrôleurs de la bouche une demidouzaine de bouteilles de vin de Champagne pour boire à la santé de LL. MM. et à la sienne. Nous fimes sauter les bouchons en poussant des cris de vive l'Empereur! vive l'Impératrice! d'une telle force que l'empereur qui les entendit demanda vivement d'où ils partaient. Lorsqu'on lui eut appris que c'était nous et les officiers de la reine de Hollande, qui avait ordonné elle-même qu'on nous donnât du vin de Champagne pour boire à sa santé, il approuva ce petit excès, mais ajouta en même temps qu'on ne nous en donnât pas davantage, en disant : « Ces Messieurs ne se >> feraient aucun scrupule de vider les caves de >> Saint-Cloud aujourd'hui, le tout avec les >> meilleures intentions du monde. >>

L'empereur dîna à huit heures; LL. MM. burent, comme nous, du vin de Champagne au dessert. A neuf heures on passa dans les grands appartemens, où il y eut cercle; il était peu

nombreux. On chanta différentes scènes italiennes; Crescentini répéta celle du tombeau

de Romeo et Juliette. Ainsi détachée cette scène ne produisit aucun effet. C'était l'empereur qui l'avait demandée : je trouvai qu'il avait fait un singulier choix pour un jour de noces. Après cette espèce de concert, les valets de chambre jetèrent des cartes sur les tables de jeu; mais ce n'était que pour la forme, car l'empereur et l'impératrice se retirèrent avant dix heures et demie : tout le monde en fit autant presque aussitót.

Enfin, le lendemain vit luire un jour comme on n'en verra sans doute jamais. Pour le représenter fidèlement, pas n'est besoin de me monter l'imagination; je me contenterai de raconter tout bonnement ce que j'ai vu: plus une chose est grande, plus elle gagne à être dite avec simplicité.

Il est inutile de dire que dès l'aurore toutes les personnes du château qui devaient participer à la cérémonie du jour étaient debout et habillées. On croira facilement que la tête dut tourner à plus d'un individu chargé d'un détail ou d'une disposition qui n'allait pas à sa fantaisie.

L'empereur et l'impératrice déjeûnèrent en

semble, et peut-être furent-ils les seuls qui s'occupèrent de ces importantes fonctions aussi tranquillement qu'à l'ordinaire; quant à nous, il nous fut impossible de trouver la moindre chose à l'office, tant les comestibles avaient été festoyés la veille. On disait à tout le monde d'attendre. Nous nous trouvâmes trop heureux de pouvoir escamoter à MM. les contrôleurs quelques bouteilles de vin de Soterne, qui ne firent que nous creuser l'estomac. Un de nos camarades fut assez favorisé du ciel pour dévaliser, en payant bien entendu, une marchande de gâteaux de Nanterre, qui, vu la solennité de la circonstance, était venue s'établir de trèsbonne heure à la grille du parc. Elle fut bien inspirée grâce à elle, nous ne courûmes pas la chance de mourir de faim toute la matinée, comme cela arriva à quelques-uns de MM. les grands dignitaires, qui payèrent d'une diète absolue l'honneur de précéder LL. MM. dans de brillantes voitures à glaces, aux armes impériales.

:

Leurs Majestés partirent de Saint-Cloud à neuf heures et demie, tous deux dans une même voiture attelée de huit chevaux isa

belles; une autre voiture vide, attelée de huit chevaux blancs, la précédait : c'était celle destinée à l'impératrice; mais, comme on le voit, elle n'était là que pour la représentation. Trente autres voitures, à fond d'or, dix à huit chevaux, vingt à six, mais toutes magnifiquement attelées les précédaient et formaient le cortége; elles étaient remplies par les grands dignitaires, les dames et les officiers composant le service d'honneur de LL. MM., et généralement par tous les individus que leur charge admettait à la cérémonie du mariage. Toute la garde impériale à cheval, dans une tenue magnifique, précédait suivait ce convoi depuis Saint-Cloud.

L'état-major de l'empereur, des maréchaux, des généraux de division, ses aides-de-camp, ses écuyers étaient, avec nous tous, groupés autour de sa voiture. Cette fois j'étais à cheval et je me tenais à une des portières à gauche, c'est-à-dire du côté de l'impératrice. Il y eut des endroits où nous fûmes tellement serrés

que la roue venant à froisser ma cuisse, j'eus plusieurs fois ma culotte, depuis la genouillère jusqu'à la ceinture, garnie de crotte, sans compter celle que les pieds des chevaux nous

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