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rait fait) il se mettrait en route pour s'expatrier. Pendant un moment, il`espéra tellement que cette dernière faveur lui serait accordée qu'il m'ordonna de faire tenir ses chevaux tout prêts, afin de pouvoir se mettre à la tête de l'armée au premier avis. Mais le gouvernement provisoire rejeta cet offre. J'ai ouï dire qu'en entendant lire cette dernière proposition de Napoléon, Fouché s'écria : « Cet homme se moque-t-il de nous! » Il est certain que si l'empereur s'était trouvé une fois à la tête de sa garde, il eût été bientôt maître du gouvernement, quelque pût être d'ailleurs le résultat définitif de son entreprise. Je crois qu'il lui serait peut-être bien arrivé de faire fusiller incontinent quelques-uns de ceux dont il avait eu tout le temps d'apprécier et le dévoûment et les bons offices. Heureusement pour eux les choses tournèrent différemment.

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A tout moment je voyais ceux qui la veille assuraient l'empereur qu'il pouvait compter sur eux à la vie à la mort (c'était leur expression favorite), filer tout doucement sans rien dire, en emportant avec eux tout ce qui pouvait tomber sous leurs mains. J'en vis d'autres

qui vinrent l'assiéger pour lui emprunter de l'argent, ou lui demander avec une basse jactance le paiement des appointemens ou des gages qui pouvaient leur être dûs depuis Waterloo. Des officiers d'états-majors, des domestiques, des chambellans, des créanciers de toutes sortes remplissaient les anti-chambres et le salon de service de leur ci-devant maître.

L'empereur aurait voulu emmener le général Drouot, qui l'avait suivi dans son premier exil; mais ce général, qui venait d'être nommé au commandement de la garde impériale, crut de son devoir de ne pas abandonner son poste dans un moment où la France était en danger. Napoléon n'insista pas; mais il regretta Drouot, dont l'attachement et la fidélité lui étaient

connus.

Le père et la mère du général Bertrand vinrent du Berri pour le voir. Quoique bien sûr des sentimens du général pour lui, l'empereur, dans la crainte d'alarmer la sensibilité de cette famille, ne lui parla pas de son projet d'embarquement pour l'Amérique. Hl demanda au duc de Rovigo s'il pouvait compter sur lui pour l'accompagner; celui-ci jura qu'il ne

l'abandonnerait jamais, et qu'il était décidé à le suivre jusqu'au bout du monde. L'empereur ne pensant pas à son argent, le duc de Rovigo, qui craignait une saisie, lui demanda des instructions à ce sujet et se rendit aussitôt à la trésorerie de la couronne pour le retirer. Il fit bien de se hâter; car il venait à peine d'en sortir, muni d'espèces, qu'il arriva au payeur un ordre de fermer tout crédit, et de ne se dessaisir d'aucuns fonds en faveur de qui que ce fût.

La fortune de l'empereur était bien mince, encore se composait-elle de ce qu'il avait rapporté de l'île d'Elbe. De toutes les personnes auxquelles il avait donné de l'argent, il en était bien peu qui n'en eussent conservé plus qu'il ne lui en restait à lui-même.

Depuis que l'abdication de l'empereur était connue, des groupes nombreux se réunissaient chaque jour sous les fenêtres de l'Elysée; on lui témoignait un intérêt que n'éprouvaient pas beaucoup de ceux qu'il avait comblés de faveurs. Dans ces groupes on disait hautement qu'on voulait le livrer aux ennemis, et il était souvent obligé de se montrer pour calmer les

inquiétudes de la foule, composée, en grande partie, d'artisans. Chaque fois qu'il paraissait, les cris de vive l'empereur! se faisait entendre comme aux plus beaux jours de sa grandeur. Enfin l'affluence devint si considérable que Fouché s'en alarma et fit inviter l'empereur à se retirer à la Malmaison, sous prétexte de calmer les esprits qui pourraient se porter à quelques mouvemens séditieux.

L'empereur se rendit à l'invitation et quitta l'Elysée. On poussa la précaution jusqu'à faire entrer sa voiture dans le jardin pour qu'il pût y monter sans être aperçu du public qui encombrait les avenues du palais, et on le fit sortir par la grille qui donne sur l'avenue de Marigny, à l'extrémité du jardin. Il se prêta à tout ce que l'on voulut. Son sacrifice était fait et il fut entier de sa part.

Mais avant de rendre compte du voyage que fit l'empereur, de Malmaison jusqu'à Rochefort, je crois utile de donner le nom de tous ceux de ses serviteurs qui lui restèrent fidèles en l'accompagnant à Sainte-Hélène, d'où il ne revinrent en France qu'après sa mort.

Tout ce qui composait la maison impériale,

avait été remercié, pour ne pas dire licencié, le jour même de la seconde abdication de Napoléon à l'Elysée. Ceux de ses officiers qui l'avaient suivi à Malmaison ne l'avaient fait que par condescendance ou par attachement véritable; car ils n'avaient plus rien à espérer d'un monarque déchu pour toujours. L'empereur fit donc lui-même la liste de tous ceux qui voulurent le suivre et partager son exil. Elle était longue. Après maintes ratures, maintes substitutions et maintes réclamations, le personnel de sa nouvelle maison fut ainsi arrêté.

SERVICE D'Honneur.

1o Le général Bertrand, grand-maréchal du palais, madame Bertrand et ses trois enfans, devaient partir avec l'empereur.

2o Le général Montholon, remplissant les fonctions de grand écuyer; sa femme et ses deux enfans devaient l'accompagner.

3o Le général Gourgaud, grand-maître de la garde-robe.

4° Le comte de Las-Cases, secrétaire du cabinet, et son fils, qui le rejoignit plus tard. 5o Le capitaine Prowtowski, aide-de-camp.

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