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l'homme, cette intelligence dont le ciel l'a doué pour qu'il en fit usage, se chargera du reste. Elle n'est ennemie de la religion que lorsque la religion est persécutrice. Elle s'acquittera d'autant mieux de la mission d'impartialité et d'amélioration qui lui est confiée, qu'elle ne sera pas irritée par des obstacles, troublée par des périls et contrainte à prendre un élan trop fort pour surmonter d'opiniâtres résistances.

Cette neutralité du pouvoir servira même à conserver plus long-temps les formes religieuses, auxquelles l'habitude ou la conviction doivent attacher une juste importance. Ces formes sont d'autant plus susceptibles de durée qu'elles résistent moins aux perfectionnements insensibles. C'est d'ordinaire au milieu du combat qu'elles se brisent. Les prêtres d'Athènes rompirent les premiers la bonne intelligence qui subsistait entre la philosophie et le polythéisme, et que la philosophie voulait respecter et l'inflexibilité de Léon X décida la réforme que Luther lui-même n'avait point en vue, en commençant ses attaques contre les abus de l'église romaine (1).

(1) Ce ne serait pas la seule utilité de cette manière d'envisager la religion. Elle aurait encore l'avantage de rendre raison de beaucoup d'évènements qui nous paraissent des effets du hasard, ou que nous attribuons à des causes partielles, tandis qu'ils sont le résultat nécessaire d'une marche invariable. Ainsi quand nous verrious Cyrus et Bonaparte dans la même position, conquérants tous deux d'un antique royaume, dont les institutions politiques aussi-bien que religieuses étaient en hostilité contre leur puissance, nous concevrions pourquoi l'un, par

CHAPITRE VIII.

Des questions qui seraient une partie nécessaire d'une histoire de la religion, et qui néanmoins sont étrangères à nos recherches.

AYANT rendu compte à nos lecteurs de nos intentions et de notre plan, nous devons, avant de terminer cette introduction, leur expliquer pourquoi plusieurs questions, qui, d'ailleurs, entreraient naturellement dans un ouvrage historique, seront écartées de nos recherches, et leur indiquer les précautions que nous aurons à prendre, afin de nous rapprocher du but que nous nous sommes proposé d'atteindre.

Pour découvrir comment l'homme s'élève d'une croyance grossière à une croyance plus épurée, nous avons dû remonter à l'état le moins avancé

un concordat avec les mages, établit la religion de Zoroastre comme une religion de cour, au milieu de la croyance grossière de ses Perses à demi sauvages, et pourquoi l'autre en agit à peu près de même envers le catholicisme, au milieu de l'incrédulité nationale.

Nous retrouverions dans la subite persécution des chrétiens, par le collègue de Galère, dans l'hésitation de cet empereur, dans le zèle de ses courtisans, dans la fureur des prêtres de l'ancien culte, beaucoup de traits caractéristiques de la révocation de l'édit de Nantes. Nous apprendrions que Julien n'est pas resté sans imitateurs. Les temps modernes s'éclaireraient par les temps passés, comme ceux-ci par les temps modernes.

des sociétés humaines, c'est-à-dire, à l'état sauvage.

Ici une question semblait se présenter.

L'état sauvage a-t-il été l'état primitif de notre espèce?

Les philosophes du XVIIIe siècle se sont décidés pour l'affirmative, avec une grande légèreté.

Tous leurs systêmes religieux et politiques partent de l'hypothèse d'une race réduite primitivement à la condition des brutes, errant dans les forêts, et s'y disputant le fruit des chênes et la chair des animaux; mais si tel était l'état naturel de l'homme, par quels moyens l'homme en serait-il sorti ?

Les raisonnements qu'on lui prête pour lui faire adopter l'état social, ne contiennent-ils pas une manifeste pétition de principe? ne s'agitent-ils pas dans un cercle vicieux? Ces raisonnements supposent l'état social déjà existant. On ne peut connaître ses bienfaits qu'après en avoir joui. La société, dans ce systême, serait le résultat du développement de l'intelligence, tandis que le développement de l'intelligence n'est lui-même que le résultat de la société.

Invoquer le hasard, c'est prendre pour une cause un mot vide de sens. Le hasard ne triomphe point de la nature. Le hasard n'a point civilisé des espèces inférieures, qui, dans l'hypothèse de nos philosophes, auraient dû rencontrer aussi des chances heureuses.

La civilisation par les étrangers laisse subsister le problême intact. Vous me montrez des maîtres instruisant des élèves; mais vous ne me dites pas qui a instruit les maîtres : c'est une chaîne suspendue en l'air. Il y a plus; les sauvages repoussent la civilisation quand on la leur présente.

Plus l'homme est voisin de l'état sauvage, plus il est stationnaire. Les hordes errantes que nous avons découvertes, clair-semées aux extrémités du monde connu, n'ont pas fait un seul pas vers la civilisation. Les habitants des côtes que Néarque a visitées, sont encore aujourd'hui ce qu'elles étaient il y a deux mille ans. A présent, comme alors, ces hordes arrachent à la mer une subsistance incertaine. A présent, comme alors, leurs richesses se composent d'ossements aquatiques, jetés par les flots sur le rivage. Le besoin ne les a pas instruites; la misère ne les a pas éclairées; et les voyageurs modernes les ont retrouvées telles que les observait il y a vingt siècles l'amiral d'Alexandre (1).

Il en est de même des sauvages décrits dans l'antiquité par Agatharchide (2), et de nos jours par le chevalier Bruce (3). Entourées de nations civi

(1) Voy. The Periplus of Nearchus, by D. Vincent, Lond. 1798, et la traduction française de cet ouvrage. - NIEBUHR, Descr. de l'Arab.

et MARCO POLO.

(2) AGATHARCH. de Rubr. mar. in Geogr. min. Hudson. I, pag. 37 et suiv.

(3) BRUCE, Voy. en Abyss. II, 539; III, 401.

lisées, voisines de ce royaume de Méroé si connu par son sacerdoce, égal en pouvoir comme en science au sacerdoce égyptien, ces hordes sont restées dans leur abrutissement: les unes se logent sous leurs arbres, en se contentant de plier leurs rameaux et de les fixer en terre; les autres tendent des embûches aux rhinocéros et aux éléphants, dont elles font sécher la chair au soleil; d'autres poursuivent le vol pesant des autruches; d'autres, enfin, recueillent les essaims de sauterelles poussées par les vents dans leurs déserts, ou les restes des crocodiles et des chevaux marins que la mort leur livre; et les maladies que Diodore décrit (1), comme produites par ces aliments impurs, accablent encore aujourd'hui les descendants de ces races malheureuses, sur la tête desquelles les siècles ont passé, sans amener pour elles ni améliorations, ni progrès, ni découvertes. Nous reconnaissons cette vérité.

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Aussi ne prenons - nous point l'état sauvage comme celui dans lequel s'est trouvée l'espèce humaine à son origine. Nous ne nous plaçons point au berceau du monde, nous ne voulons point déterminer comment la religion a commencé, mais seulement de quelle manière, lorsqu'elle est dans l'état le plus grossier qu'on puisse concevoir, elle se relève et parvient graduellement à des notions plus pures.

(1) Diodore, I.

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