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Le caractère moral des dieux n'a pas non plus l'influence qu'on suppose. Quel que soit ce carac

véritable; et en défigurant ainsi sa pensée, vous vous êtes ménagé un facile triomphe. Mais le même pélerinage que vous lui reprochez de proposer sera nécessaire pour nous assurer de ce que dit la raison universelle ou l'autorité du genre humain.

Quant à l'autorité connue de chacun, le Mexicain, en vertu de la seule autorité qu'il connaisse, égorgera des hommes; le Babylonien livrera son épouse ou ses filles à la prostitution. Si l'un ou l'autre s'y refuse, ne sera-ce pas la raison individuelle, s'isolant de la raison générale, et commettant le crime qui vous semble si odieux, celui de se préférer à l'autorité?

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Et n'êtes-vous pas obligé de confesser que l'idolâtrie la plus licencieuse, la plus sanguinaire, a en son universalité?« Cette universalité, répondez-vous, est semblable, sous tous les rapports, à l'universa«lité des vices, qui n'étant jamais des lois, mais la violation d'une loi, n'acquièrent jamais d'autorité en se multipliant (tom. III, pag. 165). Il n'y avait d'universel dans l'idolâtrie que l'oubli du vrai Dieu (ib.). » Mais si cet oubli était universel, il avait revêtu tous les caractères que vous attribuez à votre prétendue raison générale. Il se manifestait par le témoignage et par la parole. Les prêtres de Moloch avaient leur témoignage : ceux de Cotytto lears traditions. Quelle était donc alors la ressource de l'espèce humaine? La raison individuelle, ou plutôt les sentiments naturels qui réclamaient contre l'imposture en possession de l'autorité.

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Vous vous agitez vainement dans le cercle vicieux que vous avez choisi pour arène. Vous ajoutez sans fruit, à des sophismes plus ou moins adroits, des arguments tellement puérils qu'on rougit d'y répondre ou même de les transcrire. Quand vous prétendez « que l'homme n'use des « aliments qu'en vertu de la croyance, qu'on dit à l'enfant mangez et qu'il mange, sans exiger qu'on lui prouve qu'il mourra, s'il ne mange << point (tom. II, p. 125), ,» ne sentez-vous pas qu'à part du ridicule, vous fournissez précisément l'exemple qui démontre le mieux combien votre hypothèse est absurde? Certes l'enfant ne prend de la nourriture ni parce que des raisonnements l'ont convaincu qu'il devait en prendre, ni parce que la tradition le lui a révélé. Il mange parce qu'il a la sensation de la faim.

tère, la relation établie entre les dieux et les hommes est toujours la même. Leurs égarements par

Nous nous résumons, et en accordant à M. de la Mennais que la religion doit avoir pour base ou le raisonnement, ou le sentiment, ou l'autorité, nous disons que le raisonnement dont la sphère est toute matérielle ne nous conduira qu'au scepticisme sur des objets qui ne sont pas matériels; que l'autorité nous livrera sans défense à tous les calcals de la tyrannie, de la cupidité et de l'intérêt, et que le sentiment seul, susceptible d'erreur sans doute, comme toutes nos facultés faibles et bornées, conservera néanmoins toujours quelque chose qui réclamera contre ces erreurs, si elles sont funestes.

Et remarquez que la plupart du temps, elles ne deviennent redoutables que lorsqu'elles sortent de la sphère du pur sentiment pour revêtir des formes positives qui leur prêtent un appui légal. Laissé à lui-même, et privé de cet appui, le sentiment, s'il s'égare, est réprimé par les lois humaines.

Prenez le crime le plus horrible que le sentiment religieux, dans le délire, ait jamais fait commettre : des insensés ont tué d'innocentes créa tures, pour les envoyer dans le ciel et pour y monter purifiés par une pénitence publique et par le supplice. Mais après un seul exemple de cette frénésie, on a pris des mesures contre la répétition d'un pareil attentat, et le désordre s'est arrêté. Qu'a-t-on fait contre les assassins de la Saint-Barthélemy, contre les bourreanx des Dragonnades? et ne citet-on pas la Saint-Barthélemy et les Dragonnades comme des rigueurs peut-être salutaires voilà la différence des abus du sentiment religieux, et de ceux des formes dont le pouvoir le revêt souvent pour en profiter. Que si, moins exagéré dans vos accusations et ne les puisant plus dans un petit nombre de faits heureusement très-rares, vous vous bornez à dire que le sentiment religieux conduit l'homme à ce qu'on nomme des superstitions, nous le reconnaîtrons encore: mais ces superstitions sontelles donc si funestes? chose remarquable: ce ne sont pas les superstitions que vous craignez. Vous les accueillez avec bienveillance, quand vous pouvez les enrégimenter. Vous ne les haïssez qu'indisciplinées et indépendantes, et c'est pourtant alors qu'elles sont non-seulement innocentes, mais souvent bienfaisantes et consolatrices. Quoi de plus doux et de plus inoffensif que cette pensée : que les prières des vivants peuvent abréger les peines des morts ? Ce n'est qu'en transformant cette

ticuliers demeurent étrangers à cette relation comme les désordres des rois ne changent rien aux lois contre les désordres des individus. Dans l'armée du fils de Philippe, le soldat macédonien, convaincu de meurtre, eût été condamné par Alexandre, bien que son juge fût l'assassin de Clitus. Pareils aux grands de ce monde, les dieux ont un caractère public et un caractère privé. Dans leur caractère public, ils sont les appuis de la morale dans leur caractère privé, ils n'écoutent que

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espérance en obligation formelle, qu'on en a fait au XVe siècle une source de corruption pour les croyants, et de persécution pour les in→ crédules. Abandonnée au sentiment individuel, elle n'aurait été qu'une pieuse correspondance, entre des ames amies qu'un sort rigoureux a séparées. Quoi de plus naturel que le désir de se réfugier dans quelque asyle, pour y échapper au tumulte du monde, éviter les tentations du vice, et se préparer, par une vie sans tache, à une mort sans effroi ? Mais quand vous hérissez de murailles ces religieuses retraites, quand l'autorité oppose ses verroux et ses grilles aux regrets excusables qui voudraient moins de perfection et plus de jonissances, vous transformez ces retraites en cachots. Quoi de plus touchant que le besoin d'avouer ses fautes, de confier à un guide révéré le secret de ses faiblesses, et de solliciter même des pénitences pour les expier? Mais en imposant le devoir, vous nuisez an mérite: vous forcez ce qui devrait être volontaire, vous ouvrez une porte à des vexations barbares. La confession spontanée consolait le vivant coupable: la confession forcée devient le sup+ plice des agonisants.

Ne vous défiez pas tant de la nature de l'homme. Vons le dites, elle est l'ouvrage de Dieu. Elle a pu décheoir : tant de causes travaillent chaque jour à la dégrader! Mais elle n'a pas perdu toutes les traces de sa filiation divine. Le sentiment lai reste. Ne l'étouffez point par des lois minutieuses. Ne le poursuivez pas de foudroyants anathêmes. L'homme n'est pas ce que vous prétendez. Il n'est pas vrai « que le mal « lui plaise. » Il n'est pas vrai « que né pour le ciel, il cherche l'enfer, comme un voyageur égaré cherche sa patrie (tom. IV, pag. 37). ?.

leurs passions; mais ils n'ont de rapport avec les hommes que dans leur caractère public (1). C'est à ce dernier que le sentiment religieux s'attache exclusivement : comme il se plaît à respecter et à estimer ce qu'il adore, il jette un voile sur tout ce qui porterait atteinte à son estime et à son respect.

Mais quand il se sépare de la forme qu'il épurait ainsi par son action puissante, bien qu'inaperçue, tout change. Les traditions corruptrices qu'il reléguait dans le lointain, ou qu'il interprétait de manière à en éluder les conséquences, reparaissent et viennent porter l'appui de leur lettre morte à la dépravation, qui dès lors se prévaut de l'exemple; et l'on dirait que, par une combinaison singulière, moins l'homme croit à ses dieux, plus il les imite.

(1) Faute d'avoir senti cette vérité, l'on s'est trompé sans cesse sur les effets que devait avoir la mythologie licencieuse des peuples anciens. A voir ce qu'on a écrit sur cette mythologie, on dirait que les dieux approuvaient dans les mortels toutes les actions qu'ils commettaient eux-mêmes.

CHAPITRE IV.

Que cette distinction explique seule pourquoi plusieurs formes religieuses paraissent ennemies de la liberté, tandis que le sentiment religieux lui est toujours favorable.

Il est un autre problême plus difficile à résoudre encore, et sur lequel néanmoins l'erreur est d'un extrême danger.

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· Prenez à la lettre les préceptes fondamentaux de toutes les religions, vous les trouverez toujours d'accord avec les principes de liberté les plus étendus, on pourrait dire avec des principes de liberté tellement étendus, que, jusqu'à ce jour, l'application en a paru impossible dans nos associations politiques.

Mais parcourez l'histoire des religions, vous trouverez souvent l'autorité qu'elles ont créée, travaillant de concert avec les autorités de la terre à l'anéantissement de la liberté. L'Inde, l'Éthiopie, l'Égypte, nous montrent l'espèce humaine asservie, décimée, et, pour ainsi dire, parquée par les prêtres. Quelques époques de nos temps modernes nous présentent, sous des traits plus doux, un spectacle peu différent; et naguère le despotisme le plus complet que nous ayons connu,

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