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tagnes, cet Olympe grossier court vers le rivage, aussi ardent à la pêche, mais plus adroit et plus heureux que la race mortelle (1).

(1) Il n'y a pas jusqu'à la mort, à laquelle, entre autres caląmités humaines, les Sauvages ne croient leurs fétiches exposés. Les Groenlandais disent que le plus puissant des leurs, Tornarsuk, peut être tué par l'impétuosité du vent, et que l'attouchement d'un chien le ferait mourir. (Egede, Nachrichten von Groënland, 93, 256.) Au reste, nos livres sacrés nous montrent Jehovah se prêtant à la faiblesse des hommes, et se soumettant à leurs cérémonies. Lorsqu'il jure l'alliance qu'il conclut avec Abraham, il traverse les victimes immolées et séparées par la moitié, parce que cette formalité symbolique rendait chez les Juifs les serments plus obligatoires.

CHAPITRE III.

Efforts du sentiment religieux pour s'élever au-dessus de cette forme.

TEL

EL est donc le culte de l'état sauvage (1). C'est la religion à l'époque la plus brute de l'esprit humain. Elle est en arrière de toutes les formes que nous aurons bientôt à décrire. Elle ne réunit point ses dieux en un corps, comme le polythéisme des nations policées. Ses vagues notions du grand Esprit ne s'élèvent point à la hauteur du théisme. Elle choisit ses protecteurs dans une sphère bien inférieure. Elle n'a point l'esprit jaloux, mais compact de la théocratie, qui, plaçant son dieu en hostilité perpétuelle avec tous les autres, crée l'esprit national et le patriotisme par l'intolérance.

Dans cette conception étroite et informe réside néanmoins le germe des hautes idées qui, par la suite, se déploieront à nos regards.

Les objets consacrés par le culte du Sauvage sont nuisibles, inutiles, monstrueux, ridicules:

(1) Nous n'avons pu présenter ici que les traits principaux et généraux de ce culte. Il y a, comme dans toutes les croyances, plusieurs gradations; nous ne saurions les détailler toutes. Chaque forme et chaque époque des idées religieuses pourrait être l'objet en diminutif de l'histoire que nous essayons de tracer en grand.

mais n'est-ce pas une preuve évidente du besoin qu'il a d'adorer?

Il attribue la vie et l'intelligence à tous les objets. Il pense que tous agissent sur l'homme, lui parlent, le menacent, l'avertissent. Le spiritualiste, qui n'aperçoit rien dans la nature qui ne soit animé de l'esprit divin, le panthéiste, qui conçoit la divinité inhérente à toutes les parties du monde physique, ne font que suivre la route vers laquelle le Sauvage, dans ses notions confuses, dirige ses pas chancelants. Son culte n'est que le sentiment religieux sous sa première forme. C'est l'homme demandant à la nature qu'il ne connaît ni ne peut connaître où donc est la force, la puissance, la bonté : et ce sentiment religieux, quelque grossier qu'il paraisse encore, est plus noble et plus raisonnable que tous les systêmes qui ne voient dans. la vie qu'un phénomène fortuit, dans l'intelligence qu'un accident passager.

Nous avons indiqué déjà quelques-uns des efforts du sentiment religieux pour épurer sa forme. Nous avons reconnu ces efforts dans le Manitou prototype, dans le grand Esprit des cieux ou des mers.

Pour apercevoir clairement la lutte que nous entreprenons de décrire, il suffit de comparer les prières que le Sauvage adresse aux fétiches, et celle qu'il adresse au grand Esprit.

Le Koriaque dit à son idole, en lui immo

lant des chiens et des rennes : Reçois nos dons, mais envoie-nous à ton tour ce que nous attendons de toi.

Ici tout est abject, égoïste et avide.

L'hymne du combat des Delawares, en l'honneur du grand Manitou de la terre, des mers et des cieux, est empreinte au contraire d'une résignation toute religieuse et toute morale. << Aux armes pour combattre l'ennemi! « Déterrons la hache et prenons la massue.

((

Reverrai-je jamais le toit de mes pères, et << la compagne de ma couche, et les jeunes re« jetons portés sur son dos et nourris de son << lait! Esprit suprême, grand Esprit d'en-haut, prends pitié de l'épouse que je te confie, << veille sur les enfants qu'elle m'a donnés : créa<«<ture faible et impuissante, à qui n'appartient << pas un instant de sa vie, pas un membre de << son corps, je vais où le devoir m'appelle pour << l'honneur et la liberté de ma nation. Mais <<< que les larmes des miens ne coulent point à << cause de moi (1). »

Le sentiment religieux ne se borne pas à distinguer ainsi l'être infini vers lequel il s'élève, des idoles vulgaires que l'intérêt a créées : il exerce son influence sur ces idoles mêmes qu'il

(1) Cet aveu de son impuissance est d'autant plus remarquable dans le Sauvage, qu'il contraste avec l'esprit sauvage et barbare. V. AJAX dans HOMÈRE.

travaille sans relâche à ennoblir et à embellir.

Le Sauvage qui, comme nous l'avons vu, n'attribue pas à ses fétiches la figure humaine, les en rapproche cependant autant qu'il le peut, parce que cette figure est pour lui l'idéale de la beauté. Il les sculpte, les orne, les décore. Les Lapons, les Caraïbes, les habitants de la Nouvelle-Zélande, ceux des rives du fleuve des Amazones, les Nègres de Loango, les hordes de l'Amérique septentrionale ou méridionale, se font des idoles d'argile, de pierre, de bois ou d'étoffes qu'ils acquièrent par des échanges avec des peuples plus civilisés. Ils tâchent de leur donner une forme humaine. Des morceaux de corail ou des cailloux représentent les yeux, des peaux de bête leur servent de vêtements : ils les embellissent enfin de mille manières (1). Les Téléoutes et les Tatars de l'Attaï, que les Russes ont asservis sans les civiliser, et qu'ils ont assujettis à quelques pratiques de la religion chrétienne, sans avoir arraché de leur esprit leur penchant pour le fétichisme, ne connaissant pas de plus beaux habits que l'uniforme des dragons russes, croient leurs fétiches habil

(1) Georgi Beschreibung einer Reise durch das Russiche Reich im Jahre 1772, p. 313. MARION, Voy. à la Mer du Sud, p. 87. DUTERTRE, Hist. gén. des Antilles, II, 369-370. D'ACUGNA, Relation de la Rivière des Amazones, I, 216. Pallas Reisen, 683. Hogstrom Beschreib. des schwed. Lapplands. 201. Lettr. édif. VII, 8.

II,

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