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une révolution de faiblesse. Depuis longtemps, personne n'y voulait du pouvoir. Les princes, qui par leur rang et par les fonctions qui leur étaient attribuées, étaient les premiers appelés à suppléer à ce qui manquait à l'exercice de la souveraineté, s'y refusaient, soit par respect pour le trône, soit par vertu privée. Chacun d'eux restait dans la sphère circonscrite de sa position, laissant au temps le soin de suppléer à ce qui faisait défaut. Les ministres qui, par leur place, auraient pu le vouloir, ne le voulaient pas, par des raisons à peu près semblables. Mais les plus humbles comme les plus hautes vertus ne suffisent pas aux soins du gouvernement. Conjointement assises sur le trône, elles n'exerçaient pas le pouvoir de la manière que l'époque l'eût exigé; son action, sans être suspendue, n'était pas assez forte. On paraissait craindre de le compromettre en le rendant plus actif. II eut donc comme une espèce d'interrègne du pouvoir souverain. On n'était pas aveugle. On voyait les signes que le siècle donnait de toutes parts. On ne se refusait pas à l'évidence de certaines nécessités. On sentait du danger. Mais ce danger venait de loin. La pression des événements restait encore extérieure. On ne travaillait qu'à les tenir éloignés. Un culte peut-être trop idolâtre du principe monarchique, dans de semblables circonstances, ne laissait toutefois pas admettre qu'il fût possible de fortifier de quelque manière que ce fût la puissance souveraine, sans que l'initiative en vînt du souverain lui-même. On craignait alors d'amener, par une autre voie, les secousses qu'une telle modifica

y

tion aurait eu pour objet de prévenir. Le pouvoir était traité comme une arche sainte sur laquelle personne n'osait porter la main; et quand il était nécessaire de la mouvoir pour la montrer au peuple, tous les soins étaient dirigés vers le but d'empêcher que personne ne vînt se placer trop près d'elle. Ce sanctuaire ou reposoir d'un principe que l'on tenait avec raison pour sacré était donc entouré d'un voile que l'on cherchait à rendre impénétrable. Mais l'action de la souveraineté est pour un État une nécessité à laquelle un culte inerte, quoique dévoué, ne peut pas suffire.

Une administration fortement organisée occupait et remplissait bien toutes les régions inférieures. Mais le vide se faisait sentir là où des pensées supérieures devaient donner le mouvement et la direction. Le mouvement de cette administration n'était, en effet, qu'une sorte d'opération galvanique faite sur un corps dont le principe vital était inactif. Ceux qui lui dirent qu'ils allaient lui insuffler une autre vie l'entraînèrent facilement, car ce corps ne demandait qu'à regagner, n'importe de quelle manière, le sentiment de soi-même qu'il avait perdu. Le mort qui revient à la vie ne demande pas quelles en seront les nouvelles conditions. Tandis que les révolutions des grands États se font ordinairement parce que des princes, des ministres, ou des partis s'y disputent le pouvoir; la révolution de Vienne se fit parce que, depuis plusieurs années, personne ne voulait y gouverner. Cette position avait nécessairement fait prendre à la politique extérieure le même caractère de néga

tion qui existait à l'intérieur. Tout y était réduit à de simples apparences. A l'exception de quelques questions vitales que le cabinet de Vienne sut défendre avec énergie, il n'y avait que le simulacre du mouvement pour tout le reste. Il y avait la parole habile et féconde de celui qui produisait ce simulacre. Mais des jambes qui se remuent sans avancer, des bras qui s'ouvrent pour ne rien saisir, des paroles qui frappent l'air sans aucun effet, des conseils qui ne sont pas écoutés parce qu'il leur manque l'autorité de l'exemple, ont fini par faire croire qu'il n'y avait plus là que l'apparence d'un empire, facile à renverser, plus facile encore à dépouiller. Cette opinion, qui devint européenne, rendit plus difficile la position politique de l'Autriche, qui ne trouva chez les puissances qui ne lui étaient pas hostiles, que cette sorte de sentiment que l'on accorde à un ami que l'on regarde déjà comme perdu. Ce ne fut donc qu'en lui-même que l'empire d'Autriche put trouver à la fois la force qui lui était nécessaire pour rendre de la confiance à ceux de ses sujets qui voulaient lui rester fidèles, pour soumettre ceux qui lui étaient rebelles, pour triompher de ses ennemis extérieurs, et pour reprendre son rang politique en Europe. Mais, avant d'arriver aux détails de cette époque de véritable renaissance, il faut exposer les causes qui étaient venues menacer son existence.

L'accusation de faiblesse porterait à faux, si l'on voulait la faire retomber sur les individus. Quel que soit le degré d'influence que peuvent exercer des princes et des hommes d'État placés aux pre

miers rangs, ce ne sera jamais leur défaillance qui aurait pu causer une chute aussi instantanée et aussi complète que l'a été momentanément celle de l'empire d'Autriche. La cause, la seule cause véritable de cette chute a été la faiblesse de son organisation. Il faut l'avoir étudiée pour la comprendre, car elle était ancienne ; et il faut en parler pour l'expliquer.

Si personne, en Autriche, ne voulait du pouvoir, c'est que l'exercice en était difficile, parce qu'il ne présentait rien de saisissable. Toute voiture a besoin d'un timon. Tout vaisseau, petit ou grand, veut un gouvernail. La volonté seule ne suffit pas pour donner la direction. Il en est de même d'un État. Il faut qu'il y ait quelque chose que la main de l'homme puisse saisir; quelque chose au moyen de quoi il puisse imprimer un même mouvement, donner une même direction. Les vaisseaux sans gouvernail ne seraient que des planches plus ou moins bien jointes et travaillées. De même, de vastes provinces peuvent n'avoir qu'un seul maître sans cependant pour cela former un empire. Le souverain le plus fort, l'homme d'État le plus consommé, resteront impuissants, ou, du moins, leurs efforts n'auront point de résultats, si la machine du gouvernement manque de ce quelque chose qui doit faire l'effet du gouvernail.

Comme cet écrit ne doit pas être de nature didactique, je veux tout de suite en venir au fait.

Les formes collégiales d'administration doivent nécessairement reposer sur le principe de la majorité des voix. Cette forme tutélaire des intérêts publics et privés devient cependant vicieuse, quand

on en fait l'application à la région gouvernementale la plus élevée ; cette région dans laquelle la raison d'État doit souvent dominer le point de vue rigoureusement administratif. Il faut alors un acte de volonté supérieure au principe de la majorité collégiale, c'est-à-dire qu'il faut un acte de souveraineté. Pour décider entre des opinions différentes, il faut, en un mot, le : Je le veux, car telle est ma conviction. Là où cette décision manque, les papiers d'affaires sortent sans cesse de l'engrenage des rouages du gouvernement, comme l'on voit sortir des machines ce papier que l'on appelle papier sans fin. Ne faut-il pas qu'il soit coupé, pour que l'on puisse s'en servir?

Il y avait désaccord dans les principaux éléments constitutifs de l'État. Ce désaccord était le produit du temps; ce qui veut dire, de l'histoire. Il devait avoir pour suite inévitable la faiblesse de l'organi

sation.

Il ne sera pas nécessaire d'entrer dans de grands détails, quand les causes principales en auront été signalées.

Le caractère de l'empire d'Autriche était celui d'un État fédératif.

Le temps avait amené la centralisation de l'administration.

Le principe de fédération politique affaiblit l'État, parce qu'il laisse trop de liberté aux parties, qui, selon leur force, la prennent dans une mesure inégale. Le sentiment de cette liberté est le seul lien de la forme politique fédérale. Est-il assez fort pour en assurer la durée ?

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