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Mais la centralisation administrative, quand elle est trop tendue, doit nécessairement enlever cette liberté et détruire le lien fédéral. La fédération doit donc se rompre, si un lien politique de souveraineté plus forte ne vient pas rendre l'unité à des parties qui tendent à se dissoudre.

Peu de mots suffiront pour montrer que telle fut l'histoire des derniers temps de l'empire d'Autriche. Tout le monde y sentait, depuis longtemps, le côté faible de sa position politique. Charles VI fut le premier de ses souverains, qui, inspiré par le danger dont pouvait être menacée la succession au trône, posa, par sa pragmatique sanction, le principe de l'unité. Les soins et la prévoyance de l'empereur assurèrent à sa fille Marie-Thérèse la possession de tout son héritage. Attaqué, elle sut le défendre par son courage; elle sut le gouverner par ses vertus autant que par ses lumières. L'héritière de la maison de Habsbourg sut donner encore plus d'éclat à cette position déjà si élevée. Son ascendant mit la couronne de l'empereur d'Allemagne sur la tête du prince qu'elle avait choisi pour époux. Elle sut conserver à la nouvelle souche qui devait sortir d'elle la puissance qui, depuis des siècles, était l'apanage de sa maison. Son fils devint, pour ainsi dire, l'héritier d'une couronne élective, comme il l'était des États autrichiens héréditaires.

L'avénement de Marie-Thérèse au trône signala le commencement d'une nouvelle époque pour l'Autriche. Tout ce qui existe dans les différents pays qui composent l'ensemble de cette monarchie

date de son règne et de celui de l'empereur Joseph lois, administration, tous les établissements d'éducation, commerce, industrie, etc., etc. C'est Marie-Thérèse qui posa les bases sur lesquelles se sont développés les principes, les mœurs, et les intérêts matériels qui, depuis lors, ont fait le mouvement social de l'empire. Les formes sévères, dures et souvent arbitraires des anciennes lois criminelles firent place à l'esprit de justice et d'humanité que demandait la civilisation moderne. MarieThérèse avait aboli le servage; elle avait réglé par des lois et par l'urbarium en Hongrie les rapports entre les paysans et les seigneurs. C'est en 1776 que Marie-Thérèse, devançant la plupart des États européens, abolit la torture. Son règne et celui de l'empereur Joseph donnaient le droit d'espérer que le passage, si difficile, des formes, des doctrines et des principes du moyen âge aux législations des États modernes, se ferait progressivement et sans secousses. En effet, Marie-Thérèse avait songé à régler tous les rapports de son empire dans l'esprit de cette pensée que toutes les lois des temps anciens devaient cesser, puisque les mœurs de ces temps n'existaient plus.

Une des questions les plus épineuses pour les souverains était, depuis longtemps, le règlement des rapports de l'État avec l'Église. Le conflit d'autorité entre les deux pouvoirs avait souvent troublé la paix des peuples. Marie-Thérèse, souveraine pieuse et fille soumise de l'Église, sut néanmoins mettre tous les droits de sa souveraineté à l'abri de toute atteinte.

L'empereur Joseph dépassa, sous ce rapport, les limites que s'était posées Marie-Thérèse. Mais toutes les principales dispositions qui ont réglé, depuis son époque, les relations de la cour de Vienne avec celle de Rome, sont émanées d'elle.

L'empereur François, pendant son long règne, les a toujours conservées, en les prenant toujours pour règle de sa conduite.

L'histoire blâme Joseph II du mouvement trop rapide qu'il voulut donner au développement de son empire. Son impatience le conduisit à sortir des voies de la prudence et quelquefois même de celles de la justice. Il en fit l'aveu par une rétractation trop tardive. Elle fut pourtant utile, car elle facilita à l'empereur Léopold le moyen de rentrer dans les limites des voies qu'avait ouvertes MarieThérèse.

Les événements qui se sont passés en Autriche depuis l'année 1848, et la forme qu'y a prise la révolution, sont venus toutefois témoigner que, si l'empereur Joseph avait manqué de prudence, la juste appréciation de ce que demandait l'avenir de l'empire d'Autriche ne lui avait pas échappé.

Le dernier siècle de l'histoire d'Allemagne prouvait, en effet, que le souverain de l'Autriche ne pouvait trouver les moyens de conserver son trône et sa haute position politique que par l'unité de son empire. Les événements de la Gallicie, et, bien plus encore, ceux de la Hongrie, sont la plus éloquente apologie des vues politiques de l'empereur Joseph.

Les nouvelles lois que l'impératrice Marie Thérèse avait promulguées dans la Gallicie, au

moment où elle prit possession de cette province, et l'application que fit l'empereur Joseph de ces lois par l'administration qu'il y introduisit, ont donné la reconnaissance unanime des populations pour base à la fidélité qu'elles ont montrée dans ces derniers temps de crise.

Les événements de la Hongrie ont prouvé que, si l'empereur s'était trompé sur le choix des moyens qu'il employait, il ne s'était certes pas trompé ni sur l'importance ni sur la nécessité de resserrer les liens par lesquels il fallait attacher ce royaume au corps de la monarchie.

Cette mesure était l'affaire la plus importante. Elle était inévitable. Personne n'ayant su ni la régler ni la diriger dans des voies de sagesse et de modération, des passions aveugles sont venues accomplir ce que l'esprit seul aurait dû faire.

La rébellion de la Hongrie, la guerre qui en fut la suite, et la nouvelle position qui lui est faite, ne sont que des formes accidentelles. C'est le fond de la question qu'il faut traiter.

Au commencement des guerres de la révolution de France, la bannière de la république française était celle de la démocratie la plus absolue. Un pays aussi exclusivement aristocratique que la Hongrie devait lui être hostile. Aussi malgré tout ce que les innovations qu'avait voulu introduire l'empereur Joseph avaient fait naître d'éloignement et d'inquiétude dans l'esprit de la nation hongroise, se rallia-t-elle cependant franchement à l'empereur et lui resta-t-elle fidèle pendant tout le temps de la lutte que la cour de Vienne soutint contre la

France. Cette époque était tellement agitée, qu'il était impossible d'y trouver le temps et le calme nécessaires pour régler, dans les formes constitutionnelles de la Hongrie, les questions que les dernières diètes avaient laissées ouvertes. Les Hongrois attendaient le rétablissement de la paix pour les remettre en délibération et pour se défendre contre ce qui aurait pu encore rester des projets de l'empereur Joseph dans l'esprit du gouvernement de Vienne.

Aucune des diètes, rassemblées depuis 1791, n'avait été appelée à mettre en délibération un seul des griefs du pays ni aucune question organique, soit d'administration, soit de législation. Si l'empereur François eût choisi l'époque de son retour de Paris pour convoquer la diète à ce sujet, l'ascendant moral que lui donnaient les grands succès qu'il avait obtenus et l'honneur que lui faisait l'Europe de se rassembler à Vienne en congrès, étaient de nature à donner la certitude que nul esprit de résistance factieuse n'aurait trouvé moyen de s'organiser dans le pays, et encore moins de se montrer dans les délibérations de la diète. L'empereur François animé, comme il l'avait toujours été, d'un véritable esprit de justice, serait donc parvenu à faire disparaître du pays jusqu'au moindre germe de défiance. Mais, soit que les grandes affaires de l'empire absorbassent tous ses soins, ou que l'empereur ne voulût pas troubler la satisfaction intérieure qu'il éprouvait d'avoir non-seulement rétabli l'intégrité de son ancien empire, mais encore de lui avoir donné augmentation de force et de

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