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occasion tous les intérêts auxquels il s'agit d'en faire l'application; de même que l'homme met tout son être moral en question, chaque fois que le mouvement de sa vie l'appelle à choisir entre le bien et le mal.

Un système d'élection qui s'applique à toute l'échelle de l'état social, sans aucune exception, le soumet donc à tous les dangers, à toutes les incertitudes, à toutes les fragilités de la nature humaine; de cette nature qui n'a jamais cessé et ne cessera jamais de flotter entre le bien et le mal.

L'État se trouvera donc, à chaque fois, toujours aussi près de sa chute que de son triomphe.

A l'aide de quoi l'homme triomphe-t-il du principe du mal qui est inné en lui?

A l'aide de principes qui sont hors de lui, qui sont au-dessus de lui, qui sont offerts à sa faiblesse comme appui, à sa raison comme guide, à son esprit comme lumière.

Mais hors de lui sont aussi placés les vices de ceux qui veulent le séduire, les fausses lumières que lui présentent les esprits pervertis, moins dangereux que les esprits égarés. Il y a de plus en lui ses propres passions qui ne le quittent pas, suffisantes à elles seules pour l'entraîner, quand il n'a pas la force de leur résister.

On voit combien sont nombreuses les difficultés qui circonviennent l'homme, chaque fois qu'il est appelé à faire usage de son libre arbitre.

Toutes ces difficultés existent pour lui au moment où l'organisation sociale de son pays lui impose le devoir d'une élection. Elles sont augmentées

par toutes les complications que produisent les intérêts privés et les partis politiques. Il y a donc toujours, pour l'électeur, un double danger: se mettre au service d'une intrigue ou en être la dupe.

Si la preuve d'une corruption matérielle frappe le vote de nullité, la corruption ou la faiblesse morale n'est-elle pas toujours hors d'atteinte?

Quand Montesquieu, qui a souvent caché le manque de profondeur sous le brillant de l'antithèse, a dit que la vertu était le principe du gouvernement républicain, il ne faut pas comprendre cette phrase comme la comprennent ceux qui l'ont prise pour devise de leur bannière politique. La république ne donne pas la vertu, mais elle l'exige comme condition première de son existence. La nature du principe d'élection, qui forme la base du gouvernement républicain, explique cette pensée.

Quand le suffrage universel appelle tout un peuple à prendre part aux affaires, il est naturel qu'elles ne soient bien faites que s'il possède les lumières et les qualités qu'elles exigent. Il en est du pouvoir comme de l'argent. L'un et l'autre prennent le caractère de celui qui les possède. L'argent de l'avare n'est de secours à personne, de même que le pouvoir du républicain peut être tyrannique. C'est dans les mœurs que s'élabore la destinée des nations. On ne la cherche dans les formes que pour s'affranchir du frein des mœurs.

Regardez, comparez et jugez.

Les pays où se fait sentir le manque d'une force morale qui leur soit propre sont entraînés dans des directions opposées, sans qu'aucune opinion puisse

y gagner assez d'empire pour y faire loi. De tels pays se voient constamment déchirés par des guerres civiles qui ne décident rien, et les révolutions s'y succèdent sans amener de solution. On en comprend facilement la raison.

Les deux grandes nations qui, en qualité de peuples libres, se sont mises à la tête du mouvement du monde, et qui se sont réciproquement donné et reconnu cette mission, paraissent poursuivre un même but, quoique chacune d'elles donne chaque jour des preuves du peu d'accord qu'il y a entre elles sur plusieurs des questions capitales de l'époque.

Résumons celles de ces différences dont l'évidence est prouvée par les faits.

La France poursuit du même pas la liberté et l'égalité, tandis qu'en Angleterre il est de principe que l'égalité rend la liberté impossible.

La théorie de la souveraineté du peuple a conduit la France au suffrage universel. Elle n'y laisse aucune valeur politique au principe de l'hérédité; tandis qu'en Angleterre cette même théorie, qui n'admet qu'un mode d'élection restreint, laisse une grande importance politique au principe de l'hérédité.

La majorité du peuple français est catholique, tandis qu'en Angleterre elle est protestante. (Il faut excepter l'Irlande, qui n'est pas libre, puisqu'elle est soumise à des lois contre lesquelles elle ne cesse de protester.)

En France, l'église catholique, en sa qualité d'église universelle, travaille sans cesse à se rendre

indépendante de l'État. En Angleterre, l'église protestante est nationale; elle y constitue une partie éminente de l'institution politique.

Il est impossible qu'avec de pareilles différences le principe de la liberté puisse être le même1.

Comme on veut, cependant, que ce principe soit la base du gouvernement des deux pays, il en résulte nécessairement que les corps représentatifs

1 Dans la séance du parlement du 18 mars 1851, lors de la discussion sur le bill des titres ecclésiastiques, lord Palmerston, dans un discours en faveur de ce bill, a pris soin lui-même de définir le caractère de l'église anglicane en opposition à celui de l'église catholique.

Il a dit les paroles suivantes :

<< Le caractère de l'église catholique n'est pas seulement différent de celui des autres églises, mais il les surpasse toutes dans leurs empiétements sur le pouvoir temporel. Les églises sont des corporations, et toute corporation est naturellement portée à empiéter; mais il y a entre l'église catholique et l'église d'Angleterre la différence suivante: la dernière est une église britannique qui a son commencement et sa fin (his beginning and end) dans ce royaume. L'église romaine tire son origine d'un centre étranger; elle s'efforce d'étendre son autorité sur tous les lieux du monde chrétien; mais de quelle nature est l'action de cette église? Quelle est son action temporelle et politique? »

Ces deux définitions sont assez caractéristiques pour en tirer la conséquence que l'apostolat est nécessairement la mission d'une église qui est universelle, parce qu'elle n'appartient à aucun pays, tandis que l'église anglicane attachée au sol britannique par des liens temporels et politiques, ayant son commencement et sa fin dans cé royaume, ne peut d'aucune manière travailler avec succès à la propagation du christianisme, comme lord Palmerston veut lui en attribuer la mission. Le premier signe de cette mission ne doit-il ́ pas être avant tout le caractère d'universalité ?

Le différend qui s'est élevé entre les deux gouvernements de France et d'Angleterre à Taïti à l'occasion du missionnaire Pritchard, en donne la preuve. Cette longue contestation qui a occupé les deux tribunes parlementaires de France et d'Angleterre, n'a rien eu de religieux, et c'est après de longs débats que la mission évangélique du révérend Pritchard fut estimée à vingt mille francs, qui lui furent payés par la France comme indemnité.

qui doivent être l'expression de cette liberté, ne peuvent pas être animés du même esprit. Le croire, ce serait être dans l'erreur. Le dire, sans le croire, ce serait vouloir induire les autres en erreur.

En face de pareilles divergences, non-seulement la discussion doit être permise, mais elle est même inévitable. Il faut appartenir à l'une ou à l'autre de ces deux écoles; ou bien il faut rester étranger à toutes les deux. Mais il faut alors savoir par quoi les remplacer. Or, puisque cette recherche doit devenir l'objet d'une étude à laquelle il est impossible de se soustraire, personne ne peut en contester le droit.

Si aucun homme ne peut reconnaître à aucun autre homme le droit de lui imposer sa croyance, ses opinions, ses principes, ses convictions, sur quelque sujet que ce soit, moins encore pourrait-on reconnaître ce droit à un peuple envers un autre peuple.

L'Anglais, si fier comme homme, si indépendant, si volontaire, consentirait-il à soumettre sa pensée à la pensée d'un autre homme? Voudrait-il renoncer à ce sentiment de patriotisme donnant à tout son être moral une force d'attraction qui l'unità tout autre Anglais ? Voudrait-il renoncer à ce principe d'unité qui fait sa force et son orgueil ? Voudrait-il être, pour ainsi dire, transfuge et passer à d'autres convictions que les convictions anglaises? s'il en est ainsi, et s'il a le droit d'en agir ainsi, qu'il ne trouve donc mauvais que, pas que, faisant usage de mon droit comme il fait usage du sien, je déclare ne pas vouloir accepter une loi que voudrait me faire un autre homme ou un autre peuple, et que je ne céderai à aucune injonction morale qui

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