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comber entièrement. Des voisins, plus habiles et mieux gouvernés qu'elle, s'étaient partagé tout son territoire; elle avait perdu jusqu'à son nom. Les bienfaits, peut-être ambitieux, peut-être irréfléchis de l'empereur Alexandre, lui avaient rendu ce nom que Napoléon n'avait pas voulu prononcer. Le grand-duché de Varsovie était devenu royaume de Pologne. Les vastes provinces russes polonaises avaient été soumises à une administration centrale, établie à Varsovie. La Samogitie, la Lithuanie, la Volhynie, la Podolie, reprenaient l'habitude d'obéir à leur ancienne capitale. De larges concessions commerciales avaient été faites à ce royaume, au détriment des intérêts russes. Un système militaire polonais avait été rétabli. Le corps de Lithuanie portait les mêmes couleurs que l'armée du royaume. L'administration, favorisée de toutes les manières, faisait prospérer le pays dans une mesure qui ne lui avait jamais été connue, car sa longue existence politique n'avait été qu'une suite également longue de dissensions intestines et de toutes les misères qui en sont la conséquence inévitable. Il n'y avait jamais eu, en Pologne, ni science gouvernementale, ni science administrative. On n'y avait donc jamais vu aucun développement de civilisation ni d'industrie. L'éducation des hautes classes n'avait rien de national et restait sans profit pour le peuple. L'empereur Alexandre venait de rappeler à la vie des éléments éteints. La Pologne venait de retrouver, avec son nom, de l'espoir pour l'avenir. Ses destinées dépendaient encore une fois d'elle-même. Mais il fallait pour

cela savoir profiter des leçons d'une longue expérience et des malheurs qu'avaient amenés ses fautes. Que devaient faire les Polonais, dans la nouvelle situation où les avait placés l'empereur Alexandre? Leur rôle était facile. Il fallait s'enrichir. Tous les moyens leur en étaient offerts. Le développement rapide de l'industrie en était la preuve. Il fallait se servir de ses richesses et de sa supériorité d'intelligence pour civiliser davantage le peuple. Il fallait, en augmentant le bien-être du paysan et en lui donnant plus d'instruction, l'émanciper de la honteuse servitude dans laquelle l'usure des juifs, depuis si longtemps, le retenait captif. Il fallait être fidèle, pour mériter de la confiance, et savoir attendre du temps ce que le temps ne manque jamais de donner au peuple qui sait être sage et maîtriser ses passions. Il fallait que les grands de la Pologne, au lieu de se livrer à une haine impuissante et d'aller chercher les dangereuses sympathies de flatteurs étrangers, vinssent s'établir au centre de la puissance qui maîtrisait ses destinées. C'est là que les hommes distingués, qui se plaignent que leurs provinces soient livrées à l'impéritie ou à la vénalité d'agents subalternes russes, devaient venir se préparer à la carrière de l'administration et devenir ainsi les administrateurs de leurs propres provinces. Qui peut douter que douze à quinze millions d'hommes, parlant la même langue, professant le même culte, unis de pensées et d'intérêts, agissant avec sagesse et persévérance, marchant ensemble vers le même but, n'eussent fini l'atteindre? Est-ce à Paris ou à Londres que les Polo

par

nais devaient aller chercher des remèdes à leurs souffrances? L'exemple de Napoléon n'avait-il donc pas suffi pour les instruire qu'un peuple qui forme la prétention d'avoir une existence indépendante ne doit compter que sur lui-même ? Mais quelles étaient les souffrances dont se plaignaient les Polonais de Varsovie, au moment de leur révolte? Le prince qui résidait à Varsovie était violent de caractère, capricieux, arbitraire, inquisitorial. Beaucoup d'individus avaient à souffrir de ses défauts. Mais enfin, il ne gouvernait pas, il n'administrait pas le pays selon l'arbitraire de son caractère. L'administration était, au contraire, parfaitement réglée, et les finances étaient florissantes. Le mal dont on se plaignait ne pouvait donc être que passager; on pouvait en mesurer la durée, tandis que le bien reposait déjà sur des bases permanentes. Dans une pareille situation, des mécontentements individuels et passagers s'adressèrent à ce sentiment de haine que tous les Polonais portaient à la Russie. De perfides provocations étrangères vinrent le stimuler davantage; et ce peuple, se livrant à cette joie que donne l'espoir de se venger, prit les armes sans calcul et sans mesurer l'inégalité des forces. Cette résolution du désespoir, qui pourrait être admirée dans un individu, peut-elle l'être chez un peuple? Les résultats sont là pour répondre à cette question. Les Polonais se sont laissé emporter par un sentiment de haine. Ils auront longtemps à gémir sur la dernière de leurs fautes. Ils regretteront longtemps les efforts d'un courage inutile.

Ces actes de souveraineté du peuple, comme on les appelle, où conduisent-ils donc les nations? Mais on cherche à couvrir ce désordre d'expressions destinées à fasciner l'imagination. On dit : << Nous sommes arrivés à une époque de transition et de transformation sociale; c'est à la jeunesse à s'emparer de l'avenir et à travailler. Arrivez, France nouvelle ! » Et la jeune France arrive: on lui dit : « Vos pères étaient des barbares, adoucis plus tard par de nobles sentiments, mais encore barbares et plongés dans l'ignorance. Vous êtes les hommes de la nouvelle science, les hommes de la véritable civilisation. C'est par vous et vos lumières que le genre humain doit acquérir le sentiment de sa dignité et marcher à sa véritable destinée; marchez donc en avant et renversez tout ce qui voudrait s'opposer à votre passage. » Mais que veut donc dire cette expression de jeune France à laquelle on promet l'avenir? Quel doit donc être son avenir, à elle? A peine les enfants auront-ils le menton garni d'une barbe qu'ils dessineront sous toutes les formes; à peine seront-ils, en vertu de ces poils, entrés au pouvoir, que cette barbe sera déjà grise; car la vie de l'homme est courte; et cette barbe, dès qu'elle paraît, doit-elle, comme les cheveux de Samson, donner la force? Et quand elle la donnerait, les Dalilas ne sont-elles pas nombreuses aujourd'hui ? Ce n'est pas pour la couper qu'elles endorment et séduisent; elles font bien autre chose : elles flétrissent, elles énervent le caractère. Voyez plutôt la Confession d'un enfant du siècle, ouvrage d'Alfred de Musset. Lui resterait-il, à cet enfant,

la force d'ébranler de ses derniers efforts, les colonnes du temple et d'écraser les Philistins?

En vertu de quel titre appelez-vous donc la jeune France à la vie, avant que son époque soit arrivée? Et, quand elle en sera mise en possession, doit-elle le conserver, cet avenir? L'autre jeune France, qui grandit derrière elle, ne viendra-t-elle pas la pousser, la presser, et lui crier de lui faire place? n'aura-t-elle pas le même droit? Ainsi, par ce mouvement hâtif que vous imprimez à la jeunesse, vous ferez toujours sortir de la vie la génération qui la précède avant qu'elle ait cessé de vivre. Vous ressemblez à ces sauvages qui assomment leurs pères à coups de massue, dès qu'ils trouvent leur existence inutile. Certes, celui qui le premier a dit cette parole a fait l'œuvre de Satan sur la montagne. Il a montré les lointains de l'avenir, riches de toutes les illusions que produisent le désir de la possession et le mirage de l'ambition; il a dit aux jeunes hommes : « Tout cela doit vous appartenir un jour; mais pourquoi pas dès aujourd'hui? Allez, marchez plus vite, et prenez ce qui doit être à vous. » C'est ainsi que ce nouveau Satan a voulu séduire et conduire à mal. Aurait-il pu croire sérieusement que la jeune génération à laquelle il s'adressait fût tellement riche de facultés et de génie, que tout ce qui la précédait dût à l'instant même lui faire place, et que tout ce qui la suivrait attendrait le moment naturel de la remplacer dans l'immobilité de l'admiration? Il n'a pas pu le penser, il n'existe en faveur de la jeunesse actuelle aucune raison pour lui donner un droit aussi excep

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