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loppement naturel dépassera souvent le but rapproché que la loi voulait atteindre. Non-seulement il le dépassera, mais même il agira souvent dans un sens tout opposé. On en trouve des exemples dans l'histoire de tous les peuples. Nous en trouverions donc aussi dans celle de la Hongrie. La Hongrie, toujours si jalouse de ses droits, toujours si occupée à barricader toutes les avenues de sa législation et de son administration contre des influences étrangères, ne doit son histoire intérieure qu'à elle-même. Elle a le triste avantage d'avoir imprimé à son ordre social un cachet qui lui est particulier. Au milieu d'un mouvement politique déterminé par des circonstances générales, supérieures à sa volonté, elle ne s'est pourtant donné que les lois qu'elle a voulu se donner. Ce qui prouve plus que toute autre chose l'empire qu'elle a exercé sur elle-même, c'est la puissance de ses us et coutumes. Cette puissance a toujours été plus grande en Hongrie qu'elle ne l'a jamais été dans aucun autre pays, et elle prouve en même temps combien était grande la force de répulsion que la Hongrie opposait à tout ce qui ne venait pas d'elle-même.

Les derniers temps de l'histoire de Hongrie ont mis dans la plus grande évidence que le trouble et l'anarchie qui ont régné si longtemps provenaient de l'organisation des comitats. Ils ont été proclamés par les Hongrois eux-mêmes, pendant le cours de leur dernière révolution, comme étant tous et chacun pour soi des républiques indépendantes.

Comment la Hongrie était-elle arrivée à cet état

de choses? C'est ici le lieu d'appliquer l'observation que nous avons faite plus haut, que les orages politiques les plus violents arrivent souvent de points desquels on n'attendait que du calme.

Le roi qui a le plus organisé en Hongrie, c'est Sigismond. Il a régné cinquante et un ans et n'a réuni à la couronne royale de Hongrie la couronne impériale d'Allemagne que pendant les quatre dernières années de sa vie. Il avait eu, depuis le commencement de son règne, beaucoup plus à souffrir des factions turbulentes des magnats, qu'aucun autre souverain du pays. Obligé de reconquérir sa couronne, les armes à la main, à la tête de ses partisans, il comprit qu'il fallait d'autres moyens que les armes pour conserver l'autorité royale. Il chercha donc dans les lois la force qui lui manquait. Pour diminuer la puissance des magnats, il créa dans les comtés (comitals) une noblesse nombreuse. La plupart de ces nouveaux nobles n'avaient qu'un écusson, des titres, et très-peu de biens. Il affranchit les paysans du servage, voulant qu'ils relevassent uniquement de la couronne. Dans la vue de neutraliser ou au moins de diminuer la haute et presque exclusive influence de l'aristocratie, il autorisa la correspondance directe de la chancellerie royale avec les autorités des comitats.

Il y avait dans ces institutions des germes de liberté pour le pays, et des garanties pour la couronne. Ce qui a amené la Hongrie à la crise de sa dernière révolution, n'est que le développement de ces germes de liberté que les siècles avaient grandis, sans leur opposer de contre-poids.

Les résultats politiques les plus immédiats de cette nouvelle organisation furent :

1° D'amener à la diète du royaume une seconde chambre, composée de cette petite noblesse, démocratie nobiliaire, qui ne tarda pas à devenir rivale de la première, qui était composée des magnats;

2o L'indépendance absolue des autorités des comitats, qui devinrent des républiques, parce que la base de leur organisation reposait exclusivement sur le principe républicain de l'élection, Cet esprit républicain ne tarda pas à se faire jour dans la sphère politique la plus élevée. Les comitats avaient à nommer leurs représentants à la diète. Ils avaient le droit de les munir d'instructions que chaque comitat rédigeait pour soi; mais ils usurpèrent celui de changer ces instructions, pendant le cours des sessions, selon la nature des débats. Le temps leur donna un droit encore plus considérable, celui de rappeler leurs députés, pendant la durée des sessions, et de les remplacer par d'autres, à leur fantaisie.

Il est clair qu'en face d'une diète constituée de cette manière, les comitats s'attribuaient un degré d'indépendance qui ne trouvait de contre-poids nulle part; ni dans la chambre haute, stationnaire comme le principe de l'hérédité qui lui servait de base, ni dans la couronne, dont l'administration intérieure des comitats se trouvait entièrement affranchie.

Quant à l'ordre des paysans, auxquels le roi Sigismond avait voulu donner une existence, sinon politique, au moins légale, il l'avait perdue depuis

longtemps. Cette existence n'était pas encore devenue assez forte pour résister au choc des guerres civiles et de l'invasion des Turcs. Les paysans retombèrent tous dans le servage le plus complet. Sous ce rapport, la nouvelle petite noblesse se mit d'accord avec l'ancienne. Il ne fut plus question d'eux que pour mesurer les charges qu'ils pouvaient supporter.

La maison de Habsbourg était entièrement étrangère à la Hongrie, au moment où cette organisation prit naissance. Quand la Hongrie, écrasée par ses propres discordes et par la domination turque, se vit redevable de sa délivrance à un prince de cette maison, et qu'elle lui décerna la couronne héréditaire du pays, comme un témoignage de reconnaissance pour les services qu'il venait de lui rendre, l'organisation intérieure, donnée plus de deux siècles auparavant, avait déjà pris tous les développements qui viennent d'être indiqués.

Sigismond était mort l'année 1437; et ce fut l'année 1687 que la succession au trône fut rendue héréditaire, et assurée à la maison d'Autriche, par délibération de la diète.

C'est dans l'indépendance des comitats que l'empereur et roi trouva toujours, depuis, le plus grand obstacle aux améliorations administratives dont le pays avait si impérieusement besoin. Les magnats, secrètement satisfaits, sans doute, de retrouver cette nouvelle barrière contre l'autorité de la couronne, pour remplacer celle qu'ils n'avaient plus la puissance de lui opposer, ne vinrent que rarement et que faiblement au secours de l'au

torité royale. Il faut bien leur prêter cette vue; car, s'ils ne l'avaient pas eue, il ne resterait plus qu'à les accuser d'une bien coupable imprévoyance; coupable envers eux-mêmes, autant qu'elle l'était envers le trône.

Pendant le cours du xvIIe siècle, deux écoles politiques s'étaient naturellement fondées en Hongrie. L'une, qui était celle de la haute aristocratie, était issue de l'école anglaise; l'autre, qui était celle de la petite noblesse et des autres classes inférieures, appartenait à l'école révolutionnaire de France: toutes deux opposées au trône, quoique dans une mesure différente; la première voulant seulement limiter l'autorité royale dans ses intérêts à elle; la seconde voulant, sinon la détruire, au moins lui donner la base nouvelle de la souveraineté du peuple. On a vu ces deux écoles aux prises dans les tout derniers événements de la Hongrie. Elles pensaient à se disputer le pouvoir; mais aucune des deux n'a pensé à la part d'autorité qui devait appartenir au roi.

Cependant des hommes éminents, par leur caractère, leurs talents et leur position, avaient depuis longtemps reconnu la nécessité de rendre au roi quelque autorité sur l'administration. Le moyen d'y parvenir ne pouvait se trouver que dans une profonde modification de l'organisation des comitats. La prérogative du roi se bornait à la nomination du comte suprême, Obergespan, dans les comtés où cette place n'était pas devenue l'apanage héréditaire de puissantes familles. Il n'était pas tenu à résidence parce qu'il n'avait pas la gestion

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