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insuffisantes pour cette création et cet entretien, emprunteraient à la Caisse des Écoles de 1878; ils pourraient même recevoir une subvention du Gouvernement. Dans le discours qu'il prononça le 17 mars 1879, à la Chambre, en réponse à M. Granier de Cassagnac père, prétendant que les Écoles normales d'institutrices n'étaient pas nécessaires, parce qu'il y avait plus de brevetées que de postes vacants et parce que les Écoles congréganistes fournissaient plus de brevetées que les écoles laïques, le ministre annonça son intention bien arrêtée de supprimer la lettre d'obédience. La question se trouvait dès lors posée entre l'enseignement laïque et l'enseignement congréganiste. Celui-ci fut défendu à la Chambre par M. Keller, au Sénat par M. Chesnelong, et le ministre vint à son tour, le 1er Août, présenter une chaleureuse apologie de l'enseignement laïque des jeunes filles que la Droite, ne put entendre avec calme : elle déserta en masse la salle des séances pendant le discours du ministre. La loi fut adoptée par 158 voix contre 109.

Un mois après la discussion de la loi sur les Écoles normales d'institutrices, furent présentées les deux grandes lois sur les Conseils universitaires et sur la liberté de l'enseignement supérieur. Cette dernière qui ne devait être votée qu'un an, presque jour pour jour, après sa'présentation (le 8 mars 1880), restituait à l'État, dans son article 1er, les prérogatives dont il avait été dépouillé en 1875. A l'Etat seul est réservé le droit de faire subir les examens et épreuves pratiques des grades de docteur, licencié, officier de santé, pharmacien. sage-femme et herboriste. Par l'article 2 tous les candidats, sans distinction d'origine, sont soumis aux mêmes règles en matière de programmes, de conditions d'âge, de grade, d'inscriptions, de travaux pratiques, de stage dans les hôpitaux et les officines, délais obligatoires entre chaque examen et paiement de droits. Dans les Facultés de l'Etat les inscrip

LE DISCOURS D'ÉPINAL

29 tions sont gratuites. Le titre d'université est refusé aux établissements libres d'enseignement supérieur. Les appellations de baccalauréat, licence et doctorat sont réservées aux diplômes conférés par les établissements de l'Etat. Pour ouvrir un cours isolé, il suffit d'en faire la déclaration aux autorités universitaires. Le reconnaissance d'utilité publique ne peut être conférée que par une loi aux établissements libres et aux associations formées dans un but d'enseignement. Nul n'est admis, disait l'article 7, de bruyante mémoire, à diriger un établissement d'enseignement public ou privé, de quelque ordre qu'il soit, ni à y donner l'enseignement, s'il appartient à une congrégation non autorisée. »

L'article 7 visait plus spécialement la Compagnie de Jésus, qui avait déjà pris la haute main dans l'enseignement supérieur libre, et il s'appliquait aussi bien à cet enseignement qu'aux deux autres. Quel était le but de cet article? M. Ferry, avant de s'en expliquer devant la Chambre et le Sénat, eut l'occasion de mettre ses projets en relief dans le discours qu'il prononça, le 23 Avril 1879, à un banquet offert par le conseil général des Vosges, et à dater de ce moment, jusqu'à sa mort, dans toute circonstance un peu importante, M. Ferry se représentera devant ses commettants pour leur indiquer les progrès réalisés, pour leur signaler les dangers à éviter, pour définir sa politique au pouvoir ou dans l'opposition. Ces discours, plus soignés de forme que ceux de la Chambre ou du Sénat, même ceux qu'il improvisait, sont ou des actes de courage, ou des monuments de bon sens, ou des preuves de prévoyance. Dans celui du 23 Avril, M. Ferry rappela que les précautions prises par le Gouvernement. républicain l'avaient été par tous les Gouvernements monarchiques précédents. Il répondit à l'objection de ceux qui prétendaient que l'on attentait à la liberté de conscience et

à la liberté des pères de famille. Cette dernière n'est pas transmissible, disait Jules Ferry: dès que le père la délégue, l'État a le droit et le devoir d'intervenir. Ce droit de l'État est si évident que la loi de 1850 elle-même le lui a reconnu il peut surveiller ce qui se passe dans les établissements libres. Quant à la liberté de conscience, est-elle violée parce que l'on écarte de l'enseignement public les congrégations non autorisées, en respectant toutes les autres, parce que l'on veut arracher à la Compagnie de Jésus « l'âme de la jeunesse française ? »

Dans le reste de son discours le ministre de l'Instruction Publique perd un peu de vue l'enseignement supérieur : les méfaits qu'il reproche très justement aux Jésuites sont commis plutôt dans l'enseignement secondaire. La guerre civile, qu'il montre comme une conséquence possible « du beau système des libertés d'enseignement », ne sera jamais une conséquence prochaine ou lointaine de la liberté de l'enseignement supérieur. Dès ce moment on voit percer la confusion qui pèsera sur tout le débat : c'est dans une loi sur la liberté de l'enseignement supérieur que sont édictées des prohibitions qui s'appliquent en même temps à l'enseignement secondaire; or, si la liberté absolue est dangereuse en matière d'enseignement secondaire, il ne semble pas qu'elle le soit au même degré en matière d'enseignement supérieur. On voit poindre aussi le commencement d'une lutte âpre, sans merci, non point seulement entre l'enseignement de l'État et l'enseignement libre, mais entre la démocratie et le cléricalisme; or, dix-huit ans après le commencement de cette lutte, les deux parties ayant conservé toutes leurs positions, n'ayant rien conquis l'une sur l'autre, on peut se demander s'il a été bien habile de provoquer ce long conflit et toute cette agitation en pure perte. Les membres des congrégations non autorisées ont pu continuer

LES JESUITES ET L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE

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à enseigner dans les établissements d'enseignement supérieur libre depuis 1875, et après une expérience de près d'un quart de siècle, l'enseignement supérieur libre est en face de l'enseignement supérieur de l'Etat dans une situation d'infériorité dérisoire. Les membres des congrégations non autorisées, un peu émus au premier abord par les décrets de 1880, n'ont pas tardé à se remettre d'une alarme si chaude, à revenir en France, à reprendre les positions abandonnées, à en saisir de nouvelles, à grossir leurs effectifs d'élèves et aujourd'hui plus que jamais la France est coupée en deux à l'une des Frances on enseigne à abhorrer tout ce que l'autre révère; on lui apprend à détester et à maudire les hommes qui nous ont faits ce que nous sommes, les idées qui sont l'honneur et la raison d'être de la France moderne; on lui prèche la contre-révolution pendant qu'à l'autre France l'État propose la déclaration des Droits de l'homme comme un credo et 1789 comme un idéal. Les deux camps rivaux, que les hommes clairvoyants apercevaient il y a dix-huit ans dans l'armée, dans la magistrature, dans l'industrie, dans toute la vie civile, dans tous les ordres de l'activité se sontils rapprochés? L'unité s'est-elle faite dans les esprits et dans les cœurs? La suite de cette histoire fournira la réponse à ces graves et inquiétantes questions et démontrera l'inanité des mesures substituées à l'article 7 après son rejet par le Sénat.

Du 15 Mars au 16 Juin, date d'ouverture de la discussion devant la Chambre du projet relatif à l'enseignement supérieur, le clergé et le parti catholique menèrent une violente campagne contre les lois Ferry qui n'atteignaient pourtant, l'une que les membres des congrégations d'hommes non autorisées, l'autre que quelques prélats écartés du Conseil supérieur de l'Instruction Publique. Des pétitions furent mises en circulation pour protester contre les projets du

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ministre. Ces projets y étaient qualifiés d'attentat contre la liberté et la justice. Les ordres enseignants, visés par l'article 7, étaient, au dire des pétitionnaires, un organe vital pour l'Église catholique. L'article 7, en assimilant une classe respectable de citoyens aux individus rendus incapables d'enseigner par une condamnation infamante, les outrageait indignement. Les pétitionnaires, on le voit, remplaçaient les raisons par des récriminations et des injures. Les évêques, faisant cause commune avec les pétitionnaires, adressaient aux membres du clergé des lettres qui étaient livrées à la publicité par la presse religieuse et où, contrairement au Concordat, ils critiquaient avec la plus grande vivacité les projets déposés par le Gouvernement. Faisant allusion à l'exposé des motifs qui précédait la loi sur l'enseignement supérieur, ils disaient : « l'on croit rêver en lisant de telles pages. » Ils ajoutaient que le fait, pour certaines congrégations, de n'être pas autorisées avait purement et simplement pour résultat de les ranger sous le droit commun. L'évêque de Grenoble dépassa tous ses collègues en insinuations injurieuses « Ils (les Ministres et le Parlement) disent qu'ils laisseront en paix le clergé séculier, qu'ils n'en veulent pas à la religion : ne les croyez pas. » A la date du 25 Mars, le ministre des Cultes, M. Lepère, écrivit au prélat pour rétablir les faits, pour protester contre la théorie insurrectionnelle que l'Église ne saurait être obligée par des lois qu'elle n'aurait ni discutées, ni consenties, ni signées, pour déclarer avec la plus grande fermeté que les droits qui appartiennent au Gouvernement sur les questions d'ordre public, sur le régime de l'enseignement et sur celui des congrégations religieuses ne peuvent être subordonnés à l'agrément de l'Église.

L'archevêque d'Aix, ni plus ni moins violent que l'évêque de Grenoble, avait ordonné la lecture en chaire de sa lettre.

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