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ordre; mais personne, dans ce pays où tout arrive, n'eût pu penser qu'à cinq mois de là, du 17 au 30 Mai 1887, il serait sollicité deux fois de reprendre le pouvoir et que, moins de cinq ans après, il figurerait encore à la tête d'un Cabinet comme Président du Conseil

Cette Chambre inconsciente, qui venait de le renverser sans motifs, le jour où il défendait les véritables principes de Gouvernement, M. de Freycinet la jugeait ainsi deux mois auparavant, à Toulouse: « La Chambre nouvellement élue, oubliant les dissentiments de la première heure a su, avec un sens politique parfait, trouver en elle les éléments d'une majorité durable. » On est frappé d'un pareil manque de perspicacité chez un homme d'Etat. M. de Freycinet n'avait pas compris que la journée du 30 Mars et les élections d'Octobre 1885 avaient ouvert une crise qui devait se prolonger autant que la Législature. Dans cette crise le Ministère Brisson, le Ministère de Freycinet et ceux qui les ont suivis, les deux élections présidentielles de 1885 et de 1887, le Wilsonisme et le Boulangisme ne sont que des incidents d'importance secondaire, parce que ce ne sont que des résultats, des effets dont il faut chercher la cause dans l'Assemblée ellemême, dans ses dissentiments qui ont duré jusqu'à la dernière heure, dans son absence de sens politique, dans la succession déconcertante de ses majorités sans durée et sans consistance.

4) Le 17 mars 1890.

CHAPITRE X

LE MINISTERE GOBLET

Du 11 Décembre 1886 au 30 mai 1887.

La crise ministérielle.

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M. René Goblet.

Les collègues de M. Goblet. La Déclaration du 11 Décembre. Les deux douzièmes provisoires. La situation extérieure au 31 Décembre 1886. Le travail législatif en Janvier et en Février 1887. — L'impôt sur le revenu et les sous-préfets. Le budget de 1887 à la Chambre. Le budget de 1887 au Sénat. Le rôle du général Boulanger. Les élections au Reichstag. L'incident Schnacbelé. L'enquête et la libération. Le général Boulanger et la Commission de l'armée. L'ordre du jour du général Boulanger. Les élections législatives partielles sous le ministère Goblet. Les élections municipales. L'oeuvre législaLa politique protectionniste. La politique coloniale et la politique extéLa nouvelle Commission du budget.

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tive en Mars et en Avril.

du 30 Mars à la Chambre. rieure.

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Le budget de 1888.

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Les économies possibles. La séance du 17 Mai. L'ordre du jour A. de La Forge. Appréciation sur le Cabinet Goblet.

La crise ministérielle ouverte par la retraite de M. de Freycinet fut longue, confuse et agitée. Deux des trois groupes de Gauche et un membre du Cabinet démissionnaire y intervinrent et contribuèrent à rendre plus difficile la tâche du Président de la République, sans lui fournir aucune lumière, pendant qu'au dehors il était couramment question d'un Congrès de revision, d'une dictature militaire et d'une marche populaire sur l'Élysée. Dès le 4 Décembre le groupe parlementaire qui perdait le plus en perdant M. de Freycinet, la Gauche radicale, se réunit et ses membres décidèrent de faire une tentative auprès de l'ancien Président du Conseil on lui voterait un ordre du jour de confiance qui lui permettrait de conserver le pouvoir. Mis en minorité le seul jour où il avait tenu le langage d'un véritable chef de Gou

vernement, M. de Freycinet, par un sentiment de dignité bien entendue, se refusa au baiser Lamourette que lui offrait la Gauche radicale. L'Extrême Gauche à laquelle il avait fait des avances si mal accueillies, espérant que M. Floquet serait le successeur de M. de Freycinet, ne s'associa pas à la démarche de la Gauche radicale. Quant à l'Union des Gauches, battue avec le Gouvernement le 3 Décembre, elle n'avait aucune initiative à prendre, aucun concours à promettre et elle resta spectatrice des événements.

Ces événements étaient tristement significatifs. Un journal imprimé à Limoges, la France militaire, qui recevait les confidences et les communications du général Boulanger, l'avait nettement désigné pour la dictature. Le 9 Décembre l'Agence Havas fit connaître à toute la France une lettre que le cabinet du ministre de la Guerre adressait à M. Lavauzelle, directeur de la France militaire, lettre bizarre, de forme familière, qui traitait des choses les plus graves d'un ton presque badin et où se trouvait cette interrogation : Que faut-il répondre à ceux qui ne prétendent plus seulement que vous êtes subventionné par le ministre de la Guerre, mais que vous l'êtes par ses pires ennemis? L'Agence Havas ne porta pas à la connaissance du public la réponse que M. Lavauzelle dut faire à cette question. L'Intransigeant et la Lanterne, qui n'étaient pas devenus encore les Moniteurs officiels du ministre de la Guerre, restèrent muets et la personnalité du général Boulanger conserva son caractère dangereusement énigmatique. Il était encore possible dans un Cabinet parlementaire, au mois de Décembre 1886, si le chef de ce Cabinet ne regardait pas trop au fond des choses; mais aussi il eût pu dès lors figurer dans un Cabinet de coup d'État.

Le Président de la République avait commencé ses recherches le 6 Décembre seulement, après avoir laissé deux jours pleins aux délibérations des groupes parlementaires.

M. GOBLET AVANT 1886

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Inaugurant une habitude qui fera règle désormais, il s'était adressé en premier lieu aux Présidents du Sénat et de la Chambre, M. Le Royer et M. Floquet. Puis il avait fait appeler successivement M. de Freycinet, pour lequel les sympathies et les préférences de l'Élysée étaient connues, M. Brisson que l'on aimait moins, M. Jules Ferry que l'on n'aimait pas, et le bruit s'était répandu que M. Floquet avait été définitivement chargé de constituer le Cabinet. Peu après, un autre bruit, bientôt confirmé par l'événement, prenait consistance c'était le ministre de l'Instruction Publique des deux précédents Cabinets, M. René Goblet, qui cédait aux instances de M. Grévy, de M. Floquet lui-même et qui acceptait, sans enthousiasme mais sans défaillance, la succession peu enviée de M. de Freycinet.

M. René Goblet, comme tous les hommes d'une réelle valeur, avait grandi au pouvoir, surtout par son passage au ministère de l'Instruction Publique, où il avait remplacé M. Fallières, le 6 Avril 1885, dans le Cabinet Brisson. Son opposition, comme celle de M. Thiers, était un peu taquine, ses adversaires ont dit hargneuse; son administration fut toujours éclairée, libérale, hautement impartiale. Une éloquence nerveuse, sans ornements superflus, servait bien ses connaissances de jurisconsulte. Il ne semblait pas qu'il dut rencontrer dans aucun des groupes républicains une insurmontable opposition. L'Extrême Gauche ne pousserait pas la passion pour M. Floquet jusqu'à faire trop grise mine à son remplaçant. La Gauche radicale devait considérer M. Goblet comme l'un des siens. L'Union des Gauches devait oublier l'inimitié du nouveau Président du Conseil contre M. Jules Ferry et voter, par discipline, pour le représentant du Gouvernement. La Droite elle-même, malgré les violentes attaques de ses journaux contre l'homme de Châteauvillain, » contre l'éloquent avocat de la loi du 30 Octobre,

devait accorder quelque répit au ministre qui allait laisser de côté un ou deux articles de son programme.

Avec la fermeté et la décision de son caractère, M. Goblet eut vite fait de choisir ses collaborateurs. Conservant presque tous les membres du Cabinet précédent, il prit l'Intérieur et les Cultes avec la Présidence du Conseil et fit passer M. Sarrien à la Justice. Sa succession à l'Instruction Publique échut à un savant de réputation européenne, à l'un des premiers chimistes français avec Pasteur, à M. Berthelot. Celle de M. Carnot aux Finances fut donnée à un sénateur, magistrat éminent, qui avait joué un rôle remarqué, comme rapporteur du projet de revision constitutionnelle au Luxembourg et à Versailles, M. Dauphin. Celle de M. de Freycinet aux Affaires Étrangères ne fut acquise que le 13 Décembre à M. Flourens, ancien directeur des Cultes, président de la section de législation, justice et affaires étrangères au Conseil d'État. Ce choix surprit. Il n'était pas mauvais, puisqu'il fut confirmé par les deux successeurs de M. Goblet à la Présidence du Conseil. Un seul des quatre sous-secrétaires d'Etat était conservé M. de La Porte aux Colonies, toujours rattachées à la Marine.

L'administration du 11 Décembre avec ses compétences éprouvées, avec ses éléments plutôt modérés, avec le caractère de son chef, si éloigné de tout charlatanisme, aurait pu fournir une longue carrière elle dura cinq mois, parce qu'elle renfermait le dissolvant par excellence qu'était le général Boulanger.

M. Goblet débuta fort bien, par une Déclaration brève et modeste. Sa politique à l'extérieur serait prudente et ferme. A l'intérieur, la situation parlementaire créée par les élections de 1885 défendant les grandes ambitions, il se contenterait de bien gouverner et de bien administrer pour ramener à la République les populations que l'on a cherché

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