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même groupe, par son sous-secrétaire d'Etat, M. Constans, et celui-ci eut pour successeur M. Fallières au sous-secrétariat. Le Cabinet ne fut donc pas modifié dans son essence: il resta aussi peu homogène, sans communauté de vues, sans solidarité ni cohésion entre ses membres.

A peine installé M. Constans eut à soutenir la discussion d'une proposition de M. Loustalot, modificative de la loi Waddington, et d'une interpellation de M. Clémenceau. La loi Waddington accordait un conseiller général à chaque canton, quelle que fût sa population. M. Loustalot aurait. voulu que l'on proportionnât la représentation cantonale à la population, ce qui était logique. Le Gouvernement consentit seulement à ce que les cantons comptant plus de 20 000 habitants eussent un conseiller général de plus, ce qui était bien arbitraire. Un ordre du jour de confiance, qui réunit 299 voix contre 38, clôtura l'interpellation de M. Clémenceau sur la manifestation du Père-Lachaise, commémorative du 23 mai 1871.

Entre temps la Chambre continuait la discussion du tarif général et le Gouvernement, qui semblait décidément ne pas avoir de doctrine économique, faisait majorer le droit sur la soude et réduire le droit sur les vins. Dans la revision de la législation des patentes, revision attendue depuis l'établissement des impôts qui avaient été comme la rançon de la guerre, on releva de près de 5 millions les taxes de Paris, on dégreva les autres de près de 10 millions et l'on frappa les sociétés anonymes d'un droit fixe de 0 fr. 30 pour 1000 de leur capital nominal, réalisé ou non.

Nous aurons achevé de mentionner l'œuvre législative de la Chambre à la reprise de la session d'été, en rappelant le vote de la loi qui supprimait la lettre d'obédience, malgré l'opposition de trois membres de la Droite, MM. Boyer, de la Bassetière et Keller. MM. Jules Ferry et Paul Bert n'eurent

pas de peine à démontrer l'ignorance incurable des bénéficiaires de la lettre d'obédience.

Le Sénat qui venait de placer à sa tête M. Léon Say, en remplacement de M. Martel, démissionnaire pour raisons de santé, tint un engagement pris sous le précédent Ministère par M. Le Royer, en reconnaissant même valeur aux examens passés de 1875 à 1880 devant les jurys mixtes qu'aux examens passés devant les jurys d'État. Il confirma ensuite, sans résistance sérieuse de la part de la Droite, l'abrogation votée par la Chambre de la loi du 18 Novembre 1814 sur le repos du Dimanche.

L'un des plus hauts postes de l'État, la Grande Chancellerie de la Légion d'honneur, fut confié, après la mort du général Vinoy, à l'un des héros de la Défense Nationale contre l'Allemagne, au général Faidherbe.

Une véritable révolution s'accomplit dans l'art, en ce printemps de 1880: l'État, fort heureusement inspiré, abandonna la gérance du Salon annuel, pour la remettre aux artistes réunis en Société. L'influence de l'État, l'influence plus lourde encore de l'Académie cessèrent du même coup, au grand profit de l'indépendance artistique, de la spontanéité, de la libre expression des qualités natives. Les pessimistes prévoyaient, à ce propos, un changement qu'ils qualifiaient de douloureusement inévitable; ils annonçaient que les exhibitions annuelles de tableaux n'auraient plus rien à voir avec l'art; que les vrais peintres, les vrais sculpteurs se renfermeraient de plus en plus dans la solitude de l'atelier. Les pessimistes se sont trompés. L'artiste ne peut réaliser son rêve que dans l'atelier; mais le rêve, l'idéal entrevu, il voudra toujours les produire en public et les Salons, régis par l'État ou par les Sociétés libres, ne sont pas menacés de

voir décroître leur clientèle.

Dans les mois qui suivirent l'opinion, tout entière à la

DÉBITS DE BOISSONS ET COLPORTAGE

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lutte contre les congrégations non autorisées, attacha peu d'importance au vote définitif par le Sénat des lois sur le régime des débits de boissons et sur le colportage. Il était excellent d'abroger la loi du 29 Décembre 1851, qui avait permis au Gouvernement de l'ordre moral de fermer en cinq mois 2200 débits de boissons et de porter une véritable atteinte à la liberté du commerce. Il était peut-être excessif de ne donner au maire qu'un seul pouvoir, celui de déterminer, après avis du Conseil municipal, la distance à laquelle les débits de boissons doivent être des édifices religieux, des écoles et des hospices. On sait combien les débits se sont multipliés depuis 1880, et, par suite, quels développements a pris l'alcoolisme. La pleine liberté laissée aux colporteurs de livres, brochures, journaux, gravures, photographies n'a pas offert les mêmes inconvénients. La loi sur le colportage n'exigeait du colporteur que la qualité de Français; elle lui imposait une seule obligation celle de faire viser son catalogue.

Quelques jours après la fête du 14 Juillet, qui avait momentanément réconcilié tous les Français, était fondé à Paris un journal socialiste révolutionnaire, appelé à une bruyante renommée et à un prodigieux succès: l'Intransigeant. Son rédacteur en chef, M. Henri Rochefort, se déclara, dans une réunion, «< du parti des pauvres contre les riches. » Son esprit critique, son art de démolisseur, bien plus que son dogmatisme socialiste, assurèrent la fortune de la nouvelle feuille, qui créa au Gouvernement modéré les plus graves difficultés; certaine de l'impunité, elle poussa la liberté de l'attaque jusqu'à ses plus extrêmes limites, sans attendre le vote de la loi sur la presse.

Violemment combattue, impunément calomniée la République raisonnable n'en remportait pas moins de constants. succès électoraux. La journée du 1er Août 1880, consacrée

aux élections cantonales, lui valut le plus significatif triomphe. Sur 1433 conseillers à élire, 1 026 furent républicains et seulement 407 réactionnaires. Avant le scrutin les Conseils généraux comptaient 1607 républicains et 1393 réactionnaires; après le vote les républicains étaient au nombre de 1906 et les réactionnaires étaient réduits à 1 004.

La vie politique se serait ralentie après les élections cantonales si le Parlement hors session n'avait tenu quelques assises au Havre, M. Floquet, moins opportuniste en Aoûtqu'en Avril, se déclara partisan de la séparation de l'Église et de l'État, et il invita le Sénat à ne pas opposer aux «< inspirations des représentants de la nation une résistance systématique. Par ce conseil hautain M. Floquet préludait à la demande de suppression de ce Sénat qui devait lui offrir un refuge, à la fin de sa carrière politique, après une mésaventure électorale à Paris.

Le budget de 1881, bien qu'il n'ait été volé que sous le Cabinet J. Ferry, fut préparé sous le Ministère de Freycinet. OEuvre de M. Magnin, ce budget montait à 3363 millions dont près de 590 millions pour le budget extraordinaire, en augmentation de près de 64 millions sur le budget précédent. Plus de 28 millions de diminutions de recettes étaient proposés par M. Magnin, consistant en réductions de droits sur les vins et les cidres, de sorte que les recettes normales étaient inférieures aux dépenses de 586 millions, ce qui n'empêcha pas la Commission de la Chambre de proposer 119 millions de réductions nouvelles.

Dans la discussion du budget des Cultes M. Talandier tenta vainement de faire supprimer l'allocation aux Cultes. Dans celle du budget de la Guerre, M. Amédée Le Faure protesta justement contre les indisponibilités qui réduisaient l'effectif de l'infanterie de 288 000 à 200 000 hommes. La place des soldats, disait-il, est sur le champ de manœuvres et non

LE DROIT D'ACCROISSEMENT

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devant la grille de nos monuments et de nos fonctionnaires. Les crédits votés pour la Guerre et la Marine réunies atteignaient en 1881 la somme de 895 706 709 francs. Au budget de l'Instruction Publique le chapitre de l'enseignement secondaire fut augmenté de 200 000 francs pour élever d'une catégorie plusieurs lycées. Après le vote de la loi de finances l'insuffisance des recettes était de 649 612 912 francs; en réalité ce chiffre a été dépassé c'est une somme de 674 millions et demi qui dut être demandée à l'emprunt.

La caractéristique du budget de 1880, déficit à part, ce sont les modifications que M. Brisson, président de la Commission du budget, y introduisit, d'accord avec le Gouvernement. Les lois fiscales applicables au commerce, aux apports, cessions, accroissements, bénéfices et intérêts furent appliquées aux associations. Celles-ci sont tenues de déposer à l'enregistrement leur acte constitutif de société. Dans les trois premiers mois de chaque année elles doivent faire une déclaration supplémentaire indiquant les changements survenus chez elles. L'ensemble de ces dispositions avait été adopté par 350 voix contre 113, malgré l'opposition de la Droite et de Mgr Freppel.

Il nous reste à exposer l'œuvre de Jules Ferry qui fut en même temps, pour l'une au moins des deux grandes lois scolaires votées sous cette administration, l'œuvre du Cabinet tout entier. C'est le 23 Janvier 1880 que s'ouvrit devant le Sénat la discussion du projet de loi sur le Conseil supérieur et sur les Conseils académiques qui lui avait été transmis le 22 Juillet précédent. On sait dans quel esprit avaient été constitués les Conseils universitaires en 1850, quelle part importante y avait été faite au clergé, quelle place. effacée et subordonnée y avait été consentie à l'Université.

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