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telle sorte que le ministère en question n'avait que ce qui ne convenait pas aux autres départements.

L'honorable membre s'étonnait de la conservation du titre de grand maître de l'université, alors que tous les ministres devaient être égaux, Les chaires de langues orientales hors du collège de France lui paraissaient des superfluités coûteuses; car, selon lui, il y avait tel professeur qui ne faisait pas son cours, parce que son seul auditeur était malade.

M. de Tracy, comme aux précédentes années, réclamait encore, au nom de la Charte de 1830, la liberté de l'enseignement et une réforme sage et prudente dans le système d'instruction et d'éducation dont l'Etat faisait les frais.

Aux yeux de l'honorable député, la liberté de l'enseignement et la liberté de la presse étaient deux droits absolument parallèles :

Quoi! s'écriait-il, aujourd'hui, à l'époque où nous vivons, au 19e siècle, quand, depuis cinquante ans, surtout, tout a changé autour de nous; quand un ordre nouveau a succédé à l'ordre ancien; quand rien n'est semblable, ni en morale, ni en législation, ni dans les sciences, ni dans les arts, ni dans rien de ce qui fixe l'attention, notre jeunesse est encore élevée, instruite, éduquée comme il y a un siècle, je serais même tenté de dire comme il y a dix siècles, époque à laquelle si mal à propos, selon moi, on fait remonter les traditions de notre enseignement actuel. »

L'orateur signalait aussi l'encombrement des professions libérales par suite de notre système d'éducation purement littéraire, dans lequel les langues anciennes tenaient le premier rang, et où les sciences et l'industrie trouvaient à peine place.

M. Saint-Marc Girardin, ne s'éloignait pas entièrement des vues de M. de Tracy. Il déplorait également le nombre exagéré de ces dcmi-savants que faisaient nos écoles, qui créaient à l'instant même autant de solliciteurs ou de mécontents. Il voulait pour une classe l'éducation littéraire, pour l'autre classe une éducation industrielle; néanmoins l'étude d'une langue, soit ancienne, soit moderne lui paraissait être le meilleur moyen de développer l'intelligence, Le 4 juin, M. de Salvandy, ministre de l'instruction publique, prenant hautement la défense du corps enseignant de l'université, préférait à l'encontre de MM. de Tracy et Saint-Marc Girardin, l'enseignement littéraire à l'enseignement scientifique. Ce dernier, selon lui, n'était pas propre à développer le sentiment moral et à éclairer la conscience. Le Gouvernement ne voulait pas non plus faire des Grecs et des Romains, ni rappeler les saturnales de 93, mais il ne devait pas amener la jeunesse à croire que les idées que nous avons fait passer dans nos lois datent de 1830 ou de 89. La jeunesse devait savoir qu'elles étaient plus anciennes que nos pères, que l'on retrouvait leur généalogie dans l'histoire, et qu'il était utile et bon que les grands mots de patrie et de liberté leur fussent présentés sous la sanction des siècles. Revenant à l'enseignement scientifique, le ministre prononçait ces paroles :

« Quel est le caractère de la science? c'est d'offrir des résultats positifs, des conclusions certaines ; c'est de croire au vrai absolu de le chercher, de le vouloir, de l'imposer. Je vous demanderai si c'est ainsi qu'est faite la vie, qu'est faite le monde; si l'enfant dont l'esprit aura été renfermé dans cette condition de chercher toujours le vrai absolu et d'y croire, si cet enfant ne sera pas dépaysé dans le monde tel qu'il est fait; si cet esprit qui se verra en perpétuel démenti avec les choses qui s'accompliront autour de lui, qui cherchera le vrai absolu et ne le trouvera nulle part, car il n'est pas dans la vie positive, dans la vie réelle; si cet esprit ne se trouvera pas faussé par cette lutte incessante avec les faits. Je déclare que, dans ma conviction, un enfant élevé, voué exclusivement et primitivement à l'instruction scientifique, devrait passer sa vie en contradiction avec le monde au milieu duquel il aurait à vivre. »

Passant à l'enseignement de l'histoire, l'orateur ajoutait:

« On avait abusé de l'histoire dans des jours à jamais déplorables. Qu'a fait l'université? Elle a prodigué l'histoire dans les écoles; elle l'enseigne partout, parce qu'elle est sûre qu'une fois que l'histoire sera bien enseignée et bien comprise, elle apprendra que ce n'est pas dans les excès qu'on trouve les biens, que les biens ne sortent que des biens, et que les excès, les crimes n'engendreront jamais la liberté.

› Je disais, Messieurs, que cette partie élevée de l'humanité était agrandie par ce mouvement d'idées que l'éducation classique soulève dans l'esprit de la jeunesse. Je demande donc, si la science donnée à l'enfance peut avoir le même résultat, si elle peut aller frapper dans les profondeurs de la conscience, si elle peut aller y développer le sentiment moral? Elle ne le peut pas, elle ne le cherche pas. Et, en effet, comment le chercherait-elle ? Le propre de la science est d'aller du connu à l'inconnu; je me trompe, l'inconnu est un ennemi qu'elle combat partout, qu'elle terrasse, qu'elle dompte, qu'elle ne quitte que lorsqu'il a changé de nom, quand il est

connu.

► Eh bien! Messieurs, est-ce ainsi qu'est faite la vie ? La vie humaine est-elle placée entre des termes qui lui soient connus ? Non; l'ordre moral n'existerait pas ce qui fait que l'ordre moral existe, c'est que précisément le point de départ et la fin nous sont ignorés, que la vie s'épuise à les chercher, que l'homme, permettez-moi cette comparaison, est comme ce lion captif, que vous voyez frapper de sa force enchaînée les barreaux de sa prison et qui s'y épuise. L'homme en fait autant. Dans sa jeunesse, c'est avec le secours de la philosophie qu'il essaie de pénétrer ce mystère qui l'enveloppe. Plus tard, d'autres besoins se révèlent en lui; une autre aide s'offre à lui: c'est la religion qui arrive auprès de lui, et qui lui dit qu'elle sait ce secret qu'il cherche, qu'il a tort de s'épouvanter de cet abîme ouvert sous ses pieds, qu'elle lui en dira le mot, que la vie ne finit pas ici, qu'elle recommence de l'autre côté, qu'elle s'offre à lui pour lui en faciliter le passage. »

M. Salvandy terminait en demandant le maintien de l'égalité de l'éducation littéraire pour le pays, et en établissant que de nombreux perfectionnements avaient été introduits dans l'enseignement public.

Nous ne suivrons pas la Chambre dans ses discussions sur les facultés littéraire et médicale.

Cependant, M. l'Herbette signalait l'abus des professeurs recevant des appointements pour un cours qu'ils ne faisaient pas, ou qu'ils faisaient faire à vil prix par des suppléants.

Une faculté de théologie protestante à Paris était réclamée par M. Dubois (de la Loire-Inférieure), qui rappelait également l'article 69 de la Charte de 1830, ainsi conçu : « Il « sera pourvu dans le plus prochain délai à des lois réglant « l'instruction publique et la liberté de l'enseignement. >>>

M. Guizot maintenait que la libre concurrence devait s'introduire dans les divers degrés de l'enseignement; qu'il l'avait essayé par la loi sur l'instruction primaire; qu'il s'agissait d'introduire ce principe dans l'instruction secondaire.

Le ministre de l'instruction publique, en admettant ce principe, contestait néanmoins la nécessité de mettre dans la loi des règles nouvelles concernant les colléges royaux, les facultés, ou le conseil royal.

M. Guizot se rangeait aussi à ce dernier avis sur l'organisation actuelle de l'université. L'intervention de la loi pour les réformes dans l'instruction supérieure était regardée comme nécessaire par M. Jouffroy.

L'allocation de 144,044 fr. pour le collége de France, celle de 472,350 fr. pour le Museum d'histoire naturelle, et de 35,400 fr. pour la Bibliothèque royale, furent adoptées.

La somme destinée par la Chambre à l'encouragement des hommes de lettres et des savants s'éleva pour cette année à 222,000 fr.

Après quelques considérations sur l'importance des travaux des comités historiques, des langues orientales et des langues cophte, berbère et syriaque, devenues si importantes par notre colonisation d'Algérie, le budget, ainsi discuté, fut arrêté à la somme de 13,181,867 francs.

La Chambre passa immédiatement au budget de la guerre. Le 23 mai, M. Legrand, dans son rapport constatait les diminutions qu'avaient subies depuis 1830 l'effectif de l'armée à mesure que le repos général se rétablissait. Le projet de 1839 et celui du 14 mai 1838 élevaient l'effectif de l'armée à 319,348 hommes et à 63,173 chevaux.

Le contingent de l'armée d'Afrique était porté à 38,000 hommes et à 8,779 chevaux. Le crédit réclamé pour l'armée de l'intérieur était de 207,869,572 fr. comparé à celui de 1838, il l'excédait de 5,007,681 fr.

Le crédit demandé pour l'armée d'Afrique, était de 31,548,573 fr. il dépassait celui de 1838 de 8,902,074 fr.

La commission, appréciant les circonstances qui doivent exercer une influence sur la fixation de l'effectif général, et obéissant aux considérations politiques, géographiques et internationales, dans cette grave question de sécurité, accordait à la demande du Gouvernement 279,826 hommes

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pour les besoins de l'intérieur; mais elle n'entendait pas régler un chiffre définitif pour le pied de paix.

Le 11 juin, après que le ministre de la guerre eût déposé sur le bureau la demande d'un crédit relatif à l'Afrique, la Chambre ouvrit la discussion sur le budget de la guerre.

Le colonel Garraube, loin de partager l'avis du ministre et de la commission, pensait que le remplacement était une plaie à laquelle il fallait porter remède. Il approuvait la résiliation du traité dispendieux fait avec le colonel Amoros, pour le Gymnase musical, créé il y avait 2 ans, subventionné par les corps, et dont le seul résultat était de fournir des musiciens pour les bals des barrières de Paris; il réclamait aussi l'essai des fusils à percussion, essai qu'il fallait entreprendre en temps de paix.

Les plaintes des populations voisines des places fortes étaient portées devant la Chambre par M. Josson, qui désirait que l'on modifiât le régime actuel et vexatoire des servitudes militaires consacré par la loi de 1791.

Le ministre de la guerre annonçait qu'une commission composée de membres des deux Chambres avait été nommée à cet effet, et qu'il en ferait connaître le résultat prochainement.

Répondant à une observation du colonel Garraube, le général Doguereau assurait que le comité d'artillerie avait distingué entre tous les fusils percutants le fusil Brunel; que des essais de tout genre avaient été faits avec ce fusil, mais qu'avant de l'adopter définitivement, il restait à s'occuper du confectionnement des nouvelles cartouches que cette arme nécessitait, et qu'alors on songerait à ce changement, qui portait sur une quantité de fusils dont la valeur n'était pas moindre de 50 millions.

MM. Dubois et Havin exprimaient le désir que l'on travaillât à améliorer la position des lieutenants et sous-lieutenants de l'armée dans le budget de 1840.

Un nouveau Code pénal militaire, dont les prescriptions seraient en harmonie avec les mœurs actuelles, était de

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