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à lui confier le soin de rédiger le rapport annuel que la commission serait dans l'obligation d'adresser au ministre. Mais ce rapport ne ferait que résumer les opinions et reproduire les tendances de la commission. En tout cas, il passerait directement sous les yeux du ministre, qui y puiserait des renseignements et des appréciations en dehors de tout esprit systématique. Cette solution d'une difficulté déjà ancienne nous a été suggérée par une étude attentive et impartiale. On peut lui reprocher de n'être qu'imparfaite comme toutes les transactions qu'on cherche à introduire entre des prétentions distinctes et de part et d'autre fondées. Nous croyons cependant qu'on pourrait y recourir pour trancher une de ces questions délicates où la part qu'il faut faire aux traditions et aux personnes ne doit cependant pas faire oublier l'intérêt des services publics.

CHAPITRE VIII

Maisons centrales.

Nous avons dit que nous nous efforcerions de suivre l'histoire du détenu à travers les différentes transformations de son existence. La prison départementale est en quelque sorte le point de départ de cette existence. C'est la porte d'entrée par laquelle passent presque tous les hôtes des établissements pénitentiaires de France et des colonies. Le nombre des sorties des prisons départementales s'est élevé en 1869 à 193 618. Sur ce nombre, 114501 sont sortis après expiration de leur peine de ceux-là nous avons déjà dit ce que nous avions à dire; 27 739 sont sortis après acquittement, ordonnance de non-lieu ou ordre administratif. C'est une question qui a été souvent examinée, de savoir si la société était exempte de toute responsabilité à l'égard des individus qui, par une erreur judiciaire, même momentanée, s'étaient vus atteints dans leur considération et dans leurs intérêts. Nous n'avons pas à nous occuper ici de ce problème social. Il nous suffira de dire qu'à Paris il existe une œuvre spéciale con

nue sous le nom d'oeuvre des prévenus acquittés, et qu'en Amérique les sociétés de patronage pour les détenus libérés s'occupent parfois aussi du sort des prévenus reconnus innocents.

Enfin, 116915 ont été transférés, suivant la nature de leur condamnation, dans les maisons centrales, dans les établissements d'éducation correctionnelle publics et privés, ou au bagne, pour de là être soumis à la transportation. Nous examinerons successivement, et dans ce même ordre, ce qui concerne ces trois natures d'établissements.

QUESTIONS GENÉRALES RELATIVES A L'ORGANISATION
DES MAISONS CENTRALES.

L'origine et la dénomination des maisons centrales remontent à un décret du 16 juin 1810. Mais leur organisation a été successivement modifiée par deux ordonnances, l'une du 2 avril 1817, l'autre du 6 juin 1830, qui les ont constituées: 1° maisons centrales de force pour renfermer les individus des deux sexes condamnés à la reclusion, et les femmes condamnées à la peine des travaux forcés; 2o maisons centrales de correction pour renfermer les condamnés à un emprisonnement d'abord d'un an et au-dessus, d'après l'ordonnance de 1817, ensuite de plus d'un an seulement, d'après l'ordonnance du 6 juin 1830. Čes différentes catégories de condamnés devaient être détenues dans des locaux distincts et séparés. Mais nulle part cette dernière disposition n'a été observée, et l'intérêt de l'organisation du travail a amené dans les ateliers la

confusion entre les différentes catégories de détenus, confusion qui s'est bientôt étendue jusqu'aux dortoirs. Il en est résulté cette singulière conséquence, que des mesures administratives ont en réalité fait disparaître l'échelle des peines si savamment organisée par notre Code, et établi l'uniformité la plus complète entre l'emprisonnement et la reclusion pour les hommes, entre l'emprisonnement, la reclusion et les travaux forcés pour les femmes. En effet, à part quelques trèslégères différences que nous aurons occasion de signaler, qu'un homme soit condamné à cinq ans d'emprisonnement ou à cinq ans de reclusion, qu'une femme soit condamnée à cinq ans d'emprisonnement, à cinq ans de reclusion ou à cinq ans de travaux forcés, en réalité ils subiront identiquement la même peine, étant détenus côte à côte et soumis au même traitement. Il y a là une méconnaissance absolue des intentions de la loi qui doit attirer l'attention de l'administration. Nous devons dire, au reste, que cette attention est déjà en éveil, et que l'administration a entrepris un travail que nous l'engageons vivement à poursuivre: celui de créer des maisons centrales de force et des maisons centrales de correction distinctes; de consacrer les premières aux reclusionnaires, les secondes aux correctionnels. C'est ainsi que la maison centrale de Melun n'est plus aujourd'hui que maison de force, et la maison centrale de Poissy n'est plus que maison de correction. La même transformation est projetée dans les maisons de femmes, sur le principe de la réunion des femmes condamnées aux travaux forcés avec les reclusionnaires et de la séparation de ces deux catégories d'avec les correctionnelles. Toutefois cette transforma

tion ne s'opère que lentement et au fur et à mesure de l'expiration des cahiers des charges qui lient l'administration aux entrepreneurs. L'administration craignait, en effet, que ceux-ci n'élevassent quelques réclamations si l'on modifiait, au cours de l'exécution des traités, la composition du personnel des maisons centrales, les correctionnels, qui subissent des peines mains longues que les reclusionnaires, ne devenant jamais d'aussi bons ouvriers. A nos yeux ces réclamations ne seraient nullement fondées, et l'on pourrait en droit leur opposer une réponse victorieuse. Il est à désirer, toutefois, que des arrangements amiables permettent de modifier cette situation le plus rapidement possible, et que, sous ce rapport, l'exécution matérielle de la loi soit conforme à son esprit.

Toutefois, si, par respect pour les prescriptions du Code, cette transformation doit être poursuivie avec persévérance, il ne faudrait pas se faire d'illusions sur son efficacité au point de vue pénitentiaire. Il ne faudrait pas non plus attribuer à ce mélange des criminels et des correctionnels une influence fâcheuse sur la moralité des prisons, ni redouter l'action corruptrice des premiers sur les seconds. Nous devons en effet renouveler ici une observation que nous avons déjà faite bien des fois, mais qu'il ne faut jamais perdre de vue : c'est qu'il n'y a aucune relation entre la perversité morale des détenus et leur criminalité légale. Ce serait une grande erreur de croire qu'un criminel est nécessairement plus corrompu qu'un correctionnel. Nous ne serons contredit en effet par aucun de ceux qui ont la connaissance et l'habitude de la population pénitentiaire, si nous disons que dans les

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