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d'être insensible aux misères de l'enfance, à laquelle il s'est dévoué, et nous faisons plus de cas des appréciations de son sens charitable et pratique que des affirmations superficielles de quelques philanthropes. M. l'abbé Crozes nous a déclaré que, tout en ayant souvent critiqué sur plusieurs points l'organisation de la maison de la petite Roquette, et sollicité constamment certaines réformes, il avait cependant profondément regretté les mesures qui avaient ordonné la dissolution de cette maison, et la répartition de son effectif dans les colonies agricoles. Suivant M. l'abbé Crozes, les jeunes détenus supportent l'isolement beaucoup plus facilement qu'on ne se l'imagine. Cet isolement leur est moins pénible qu'aux hommes faits. Contrairement à ce que l'on serait tenté de se figurer au premier abord, c'est à mesure qu'ils avancent en âge que la cellule leur paraît de plus en plus rude. Enfants, ils s'en accommodent volontiers, la moindre distraction leur suffit. C'est quand ils approchent de la puberté qu'ils commencent à s'agiter. Vers l'âge de seize ou dix-sept ans, ils s'en plaignent avec amertume. Mais c'est précisėment à cet age qu'intervient la liberté provisoire, qui pare à tous les inconvénients que pourrait présenter une détention trop prolongée. Ainsi s'évanouissent devant le témoignage formel d'un homme de cœur et de sens pratique toutes les exagérations auxquelles on s'est livré sur la barbarie du système cellulaire appliqué aux enfants. Ajoutons que l'abbé Crozes voit dans la solitude un moyen énergique d'action sur les âmes, à la condition, bien entendu, que cette action soit soutenue et encouragée. « Le père X... prêche bien, lui » disait un jour un enfant, mais la cellule prêche

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>> encore mieux. » L'opinion de M. l'abbé Crozes a été confirmée devant la commission par l'avis bien impartial et désintéressé de M. De Metz qui, tout en ayant pratiqué et fait réussir un autre système, croit aussi à l'action puissante de la cellule sur les enfants, à tout le moins comme moyen de commencer la régénération.

La déposition de M. le docteur Mottet sur les effets de la cellule considérée au point de vue hygiénique ne nous a pas semblé moins intéressante. M. le docteur Mottet conteste au nom de son expérience les effets fàcheux de la solitude sur la santé et sur l'esprit des enfants. Il ne croit pas que la cellule produise forcément l'étiolement du corps. Sans doute si les heures passées au promenoir ne sont pas suffisantes, si un exercice obligatoire n'est pas imposé aux enfants, si un régime suffisamment alimentaire ne leur est pas administré, leur santé pourra en souffrir. Mais ce n'est là qu'une affaire d'organisation. Un bon règlement intérieur peut y pourvoir, et il n'est pas difficile de procurer aux enfants de l'exercice ou même des jeux. Quant à l'influence de la cellule sur leur intelligence, rien n'est plus rare que les cas d'aliénation mentale chez les enfants. Ils ne sont pas sujets à ces excitations momentanées que l'angoisse ou le remords font naître chez les prévenus, et qui déterminent souvent des accidents cérébraux ou le suicide. Toutes les fois qu'un cas de folie s'est déclaré à la petite Roquette, il a toujours été possible d'en retrouver l'origine héréditaire. Quant aux cas d'atrophie des facultés, qui se présentent plus fréquemment, il ne faut pas oublier qu'un assez grand nombre de ces enfants, quand ils sont condamnés, sont déjà faibles de

corps et faibles d'esprit. Le corps se développe, mais l'esprit reste stationnaire, et il n'y a pas lieu de s'étonner que la cellule ne leur donne point l'intelligence que la Providence leur a refusée. Quant au nombre considérable des maladies qui semblent indiquer l'anémie du tempérament (phthisie, scorbut, maladies des voies digestives), les enfants en ont presque tous apporté le germe en entrant dans la prison. Beaucoup sont nés de parents malsains; quelques-uns portent la trace de vices héréditaires; la plupart ont déjà mené une vie de misère, quelques-uns même une vie de débauche. Rien d'étonnant à ce que la cellule ne les guérisse pas, bien que très-souvent leur santé s'améliore en prison. En résumé, le docteur Mottet pense que dans une maison intelligemment organisée, avec les précautions et les soins nécessaires, les enfants peuvent, aussi bien que les adultes, supporter trois ou quatre ans de cellule, terme le plus long après lequel intervient toujours la libération provisoire, et il n'hésite pas à taxer d'exagération et d'inexactitude les assertions et les contestations contraires.

Si nous avons insisté sur ces deux témoignages intéressants et autorisés, ce n'est pas pour conclure indirectement à une tentative nouvelle de l'application du régime cellulaire aux enfants; mais c'est pour montrer combien il faut se méfier, en matière si délicate, des résolutions précipitées. La charité, la philanthropie, la sensibilité même, sont sans doute choses excellentes; mais il faut se méfier de leurs conclusions quand elles n'ont pas été soumises au contrôle d'hommes expérimentés. Nous croyons que celle méfiance n'a pas suffisamment inspiré la commission qui s'est prononcée

en 1865 pour la suppression de la petite Roquette, et que même après cette suppression la question théorique reste entière. Nous ne voulons point tirer d'autre conclusion des témoignages que nous venons d'invoquer.

Nous avons appelé éducation agricole le traitement appliqué aux jeunes détenus dans les colonies des Douaires, de Saint-Bernard, de Saint-Hilaire et de la Motte-Beuvron; cette dernière, de création récente, sur les résultats de laquelle la statistique ne nous fournit pas de renseignements. Ces colonies ont été fondées en effet à l'imitation de celle de Mettray, sur le principe de l'emploi des enfants aux travaux de l'agriculture. C'est le principe qu'a consacré la loi du 5 août 1850. Toutefois, deux de ces colonies avaient une existence de fait antérieure à la loi celle des Douaires et celle de Saint-Bernard. Dans la maison centrale de Gaillon et dans celle de Loos, les jeunes détenus étaient renfermés dans un quartier de correction spécial. Peu à peu ils avaient été employés par escouades à des travaux du dehors. Ce sont ces quartiers correctionnels, transformés et séparés de la maison centrale, qui sont devenus les colonies des Douaires et de Saint-Bernard. Le voisinage immédiat d'une maison centrale et d'une colonie agricole (comme à Loos) n'est pas sans inconvénients. Il est superflu de dire que toute communication entre les détenus des deux maisons est sévèrement interdite. Mais dans l'esprit des habitants du pays, qui ne sont pas bien au courant de l'organisation distincte des deux maisons, elles se confondent trop souvent sous une même dénomination. Dans le département du Nord, par exemple,

on dit communément d'un enfant qui a été élevé dans la colonie agricole de Saint-Bernard : « Il a été à Loos. » Et comme la maison centrale de Loos est à juste titre assez mal famée, cette confusion exerce une influence nuisible sur le placement et sur l'avenir des jeunes détenus. De plus, ce voisinage accoutume trop facilement les yeux et l'imagination, des jeunes détenus à l'aspect de la maison centrale. Tandis que la seule pensée d'une maison de cette nature devrait être pour eux un objet d'effroi, leurs regards se familiarisent trop tôt avec les murailles d'une prison dont le régime ne leur apparaît peut-être pas comme très-différent de celui auquel ils sont soumis. Aussi ne faut-il pas s'étonner qu'un trop grand nombre d'entre eux deviennent plus tard les hôtes de cette triste demeure, auprès de laquelle les jours de leur enfance se sont écoulés. Nous croyons donc qu'au point de vue de l'intimidation, ce voisinage exerce une influence fàcheuse, et qu'à l'avenir il devra autant que possible être évité.

Nous avons dù tout à l'heure signaler quels étaient, aux yeux de beaucoup de bons esprits, les inconvénients de l'éducation solitaire. L'impartialité nous fait un devoir d'exposer maintenant les inconvénients de . l'éducation en commun. Ces inconvénients sont ceux que nous avons déjà signalés à mainte reprise comme inhérents à la promiscuité: corruption des enfants les moins pervertis par les plus mauvais; propagation des mauvaises mœurs, etc. Mais du moins ces inconvénients, qui ne sont pas contestables, sont-ils combattus, dans les colonies publiques, avec toute l'énergie nécessaire et à l'aide des moyens disciplinaires et moraux dont la science pénitentiaire conseille l'em

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