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le nombre des femmes transportées est infiniment petit, et que l'écart entre la population masculine et la population féminine va en s'accroissant chaque année. Cet état de choses, qui déjà n'est pas sans péril, s'aggraverait encore si la transportation se recrutait également dans l'élément récidiviste. Il y a là non-seulement une question de moralité, mais une question d'avenir pour la colonic, qui ne saurait prospérer sans un développement rapide de la population. C'est là encore un des problèmes les plus délicats que soulève la transportation et dont la solution n'est pas facile à trouver. D'un côté, il est assez douteux que l'opinion publique vît avec faveur la transportation appliquée sans distinction à toutes les femmes condamnées aux travaux forcés, par exemple aux filles condamnées pour infanticide; et de l'autre, à supposer même que la transportation fût appliquée avec cette rudesse indistincte, la difficulté subsisterait encore, car, le chiffre de la criminalité étant beaucoup plus élevé chez les hommes que chez les femmes, tant dans l'élément des grands criminels que dans celui des récidivistes, il ne serait jamais possible de combler la différence. Quant à l'émigration volontaire des femmes libres, il n'y faut pas beaucoup compter, les perspectives d'avenir qu'on peut leur offrir n'étant ni très-séduisantes ni très-assurées. La transportation, à quelque catégorie de criminels qu'on entende l'appliquer, rencontre donc encore sur ce point des obstacles qu'il était de notre devoir de signaler.

D'après le peu que nous avons dit, on voit que la transportation soulève des questions complexes dont les unes se rattachent aux principes de la science pé

nitentiaire, dont les autres ont trait à l'économie politique et à l'organisation même des sociétés. Nous ne pouvions qu'indiquer ces problèmes sans prétendre à les résoudre. Mais nous devons maintenant entrer dans quelques détails sur la manière dont la transportation a été entendue et pratiquée. Nous devons dire tout de suite que les documents que nous avons pu consulter ne sont ni très-explicites ni très-nombreux. Tandis que l'administration du ministère de l'intérieur nous donne depuis vingt ans une ample moisson annuelle de renseignements sur la condition des détenus qui lui sont confiés, l'administration du ministère de la marine s'est montrée, jusqu'à ces derniers temps, assez sobre de publications de cette nature. C'est en 1867 que, pour la première fois après seize ans d'application du système de la transportation, l'administration de la marine s'est décidée à rompre le silence et à initier le public aux résultats qu'elle avait obtenus. Jusqu'à cette date, aucun document relatif à la situation. des transportés n'avait été publié par le ministère de la marine. Ce n'était pas seulement le bagne qu'on supprimait ainsi, c'étaient les forçats. La mort civile avait été remplacée pour eux par la mort de l'oubli. La notice de 1867 a été suivie en 1869 d'une publication analogue accompagnée de tableaux statistiques, moins complets cependant que ceux de l'administrasion des prisons. Les événements des années 1870 et 1871 ont retardé la publication d'une troisième notice qui a paru récemment, et qui est, nous nous empressons de le faire remarquer, beaucoup plus complète que les précédentes, car elle contient la collection des principaux actes administratifs relatifs à la

transportation. Nos renseignements ont été encore complétés par les dépositions qu'ont faites devant la commission d'enquête M. le sous-directeur des colonies, M. le colonel Charrière, directeur de la transportation à la Nouvelle-Calédonie, et M. le général Reboul qui y avait été envoyé en mission. Toutefois, notre devoir est de dire que, sur ce point particulier du système pénitentiaire français, nos recherches n'ont pu être aussi complètes et aussi approfondies que sur les autres branches du service. Il est presque superflu d'en donner les raisons. Tandis que nous avons complété par des recherches et par des visites individuelles les renseignements qui nous étaient fournis sur les établissements dépendants du ministère de l'intérieur, nous n'avons pu recourir à aucun supplément d'enquête de ce genre en ce qui concerne les établissements situés à la Nouvelle-Calédonie ou à la Guyane, et nous avons dû nous en tenir aux informations d'origine purement officielle que nous venons de citer. Sans doute il est bien loin de notre pensée de mettre en doute la parfaite sincérité de ces informations. Mais on peut se demander si, à une pareille distance, l'administration de la marine elle-même sait toujours bien exactement ce qui se passe. Pour s'assurer de la régularité du service. dans les établissements situés en France, l'adminstration des prisons a recours aux inspections générales. Aucun moyen de contrôle de cette nature n'est à la disposition du ministère de la marine, et ce sont les agents responsables qui fournissent eux-mêmes directement les renseignements sur le fonctionnement de leurs services. Il est superflu de dire qu'il n'existe rien qui rappelle de près ou de loin les commissions

de surveillance. Quant au contrôle qui pourrait être exercé par les fonctionnaires de l'ordre judiciaire placés sur les lieux auxquels on pourrait demander des renseignements utiles, nos mœurs administratives opposent à ce contrôle un obstacle jusqu'à présent invincible. Il ne faut donc pas s'étonner si, de temps à autre, certaines rumeurs peu favorables à la direction générale donnée à nos établissements d'outre-mer sont parvenues jusqu'en France, sans qu'il ait été possible de vérifier ce qu'elles pouvaient avoir de fondé. Un recueil périodique très-répandu s'est fait, il y a quelques années, l'écho de ces critiques. Nous sommes loin de nous porter garant d'aucune de ses assertions. Mais à pareille distance, l'administration elle-même, qui sans doute s'empresserait de mettre un terme à toutes les erreurs, à tous les abus qui lui seraient signalés, demeurera toujours dans une demi-ignorance des choses tant qu'elle n'aura pas trouvé le moyen d'établir, à côté de l'autorité nécessairement trèsgrande du gouverneur général, un contrôle indépendant et permanent. Aussi ne pouvons nous nous empêcher d'insister sur la nécessité de rechercher les moyens d'établir ce contrôle auprès de nos établissements pénitentiaires d'outre-mer dans des conditions sérieuses. Ces réserves faites, non point vis-à-vis des personnes, mais vis-à-vis de l'organisation elle-mème, nous donnerons ici un exposé succinct de l'état actuel de ces établissements tel qu'il ressort des documents officiels qui ont été mis obligeamment à notre disposition.

CHAPITRE XVIII ·

Régime des établissements affectés à la transportation.

Nous ne voulons point faire ici l'histoire de la transportation depuis ses débuts sur la plage inhospitalière de Cayenne jusqu'à l'époque actuelle. On trouvera cette histoire discrètement mais fidèlement racontée, avec ses épreuves et ses déboires, dans la notice officielle. de 1867. On y lira le récit des efforts tentés par une administration tout à fait novice en matière d'administration pénitentiaire, et sur les épaules de laquelle on avait brusquement jeté ce fardeau écrasant, pour préparer aux transportés des conditions à peu près satisfaisantes dans une contrée où, suivant l'expression de la notice officielle, « rien n'était prêt pour les recevoir ». On y verra que la mortalité générale s'est élevée. pendant la première période jusqu'à 25 p. 0/0, et sur certains points de la colonie pénale jusqu'à 32 p. 0/0. Toutefois, à l'époque où elle a rompu pour la première fois le silence qui lui avait été imposé jusque-là, l'administration de la marine paraissait considérer les difficultés comme à peu près vaincues, et la notice de

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