Page images
PDF
EPUB

CHAPITRE XIX

Établissements consacrés à la déportation,

La déportation est une peine spéciale qui a été rarement appliquée jusqu'à ces dernières années et sur la nature de laquelle les esprits ne sont pas bien fixés. Il importe d'en bien déterminer le caractère, car c'es! le meilleur moyen de répondre à certaines critiques qui ont été dirigées contre les lois récemment votées par l'Assemblée nationale, et destinées à réglementer son application.

La déportation est une peine qui n'est applicable qu'aux infractions de l'ordre politique. L'article 7 du Code pénal de 1810 la classe au troisième rang des peines afflictives et infamantes. A cette date, la peine de mort étant encore applicable aux infractions de l'ordre politique, la déportation formait le second degré dans l'échelle des peines appliquées à ces infractions. Elle correspondait à la peine des travaux forcés à perpétuité, dans l'échelle des peines de droit commun, tandis que la détention correspondait à la peine

des travaux forcés à temps, et le bannissement, à la reclusion. Mais l'article 5 de la constitution de 1848 ayant aboli la peine de mort en matière politique, il devint nécessaire de reviser cette nomenclature. La loi du 8 juin 1850 a créé, pour remplacer la peine de mort en matière politique, la déportation dans une enceinte fortifiée, et par opposition elle a qualifié de déportation simple la déportation prévue par l'article 7 du code pénal. De sorte qu'il existe aujourd'hui deux peines de la déportation, toutes deux perpétuelles, toutes deux afflictives et infamantes, et qui ne diffèrent entre elles que par une plus grande rigueur dans le mode d'exécution. Avant d'examiner en quoi consiste aujourd'hui dans la pratique ce mode d'exécution, voyons quel doit, aux termes du Code, en être l'esprit.

La déportation répond à ce qu'était l'ancienne relegatio des Romains. C'est l'exil dans un lieu déterminé. Aux termes de l'article 17 du code pénal, cette pénalité consiste à être transporté, et à demeurer à perpétuité dans un lieu déterminé par la loi hors du territoire de l'empire. » La loi du 8 juin 1850, qui a créé la peine de la déportation dans une enceinte fortifiée, n'a modifié en rien le principe de l'exécution de la peine. Elle s'est bornée à dire que les déportés jouiraient dans l'enceinte fortifiée de toute la liberté compatible avec la garde de leur personne. Si l'on compare cette définition de la déportation avec celle qui est donnée de la peine correspondante des travaux forcés, on est frappé d'une différence bien saillante : c'est que la déportation n'emporte pas l'obligation du travail pénal, tandis que cette obligation constitue le trait distinctif de la peine des travaux forcés. Il est d'autant

plus essentiel de ne pas perdre de vue cette différence, que la loi du 30 mai 1854 ayant introduit un mode d'exécution nouveau de la peine des travaux forcés auquel on a donné le nom de transportation, et une loi toute récente ayant désigné comme lieu de déportation un territoire affecté jusqu'à présent à la transportation, la similitude des mots et l'identité du territoire. induisent fréquemment en erreur les personnes qui ne sont pas familières avec les principes du droit criminel, et les amènent à confondre la déportation, peine sui generis, avec la transportation, qui n'est qu'un mode d'exécution de la peine des travaux forcés. En droit, comme on vient de le voir, la différence est profonde. En fait, on pourrait dire que les déportés sont des transportés que le Code n'a pas astreints au travail. Ces principes ne doivent pas être perdus de vue et sont la meilleure réponse qu'on puisse adresser à certaines critiques contre les deux lois récemment votées par l'Assemblée nationale, et par lesquelles elle a réglementé à nouveau le mode d'exécution de la peine de la déportation sans astreindre les déportés au travail pénal. L'Assemblée n'aurait pu leur imposer indistinctement cette obligation sans se montrer infidèle à la lettre du Code qui n'attache pas à la peine de la déportation l'obligation du travail, sans méconnaître son esprit qui fait précisément de cette dispense du travail pénal la différence entre les peines pour crimes de droit commun et les peines pour crimes politiques; enfin sans assimiler en fait l'une à l'autre deux pénalités profondément distinctes. Telle est la réponse que nous opposons à des critiques qui ont été insérées dans certains recueils, et qui témoignent chez leurs au

teurs d'une étude incomplète de la matière dont ils ont traité.

Si les principes suivant lesquels la peine de la déportation doit être appliquée ont été arrêtés par le Code, il n'en est pas de même du lieu qui doit servir à son exécution. L'article 17 du code pénal se borne à dire que, tant qu'il n'aura pas été établi un lieu de déportation, ou lorsque les communications seront interrompues entre le lieu de la déportation et la métropole, le condamné subira à perpétuité la peine de la détention. Aussi le lieu où les individus condamnés, en très-petit nombre du reste, à la déportation depuis le commencement du siècle ont subi leur peine, a varié plusieurs fois. Une ordonnance du 2 avril 1815 avait désigné provisoirement le Mont-Saint-Michel. La loi du 8 juin 1850 fixa l'ile de Noukahiva comme lieu de déportation simple, et la vallée de Waïthau, aux îles Marquises, comme lieu de déportation dans une enceinte fortifiée. Peu après, un décret des 22 et 30 juillet 1850 affectait la citadelle de Belle-Isle en Mer aux déportés condamnés antérieurement à la loi du 8 juin 1850. Enfin la loi toute récente du 23 mars 1872 a déclaré la presqu'île Ducos, dans la Nouvelle-Calédonie, lieu de déportation dans une enceinte fortifiée; l'île des Pins, et, en cas d'insuffisance, l'ile Maré, dépendances de la Nouvelle-Calédonie, lieux de déportation simple. Nous n'avons rien à dire de la désignation de ces deux dernières localités, qui paraissent bien choisies. Quant à la presqu'île Ducos, certaines objections avaient été élevées dès le premier moment contre cette désignation, d'abord à cause du caractère infertile de cette presqu'ile, qui manque absolument d'eau, en

suite à cause de son voisinage trop proche de la ville de Nouméa, qui permettrait à une population de détenus dangereuse et remuante d'entretenir des relations avec l'élément libre. Une évasion récente semble avoir justifié ces critiques, dont une partie, nous devons le dire, avait déjà été signalée par M. le gourverneur de la Nouvelle-Calédonie, dans une lettre qui a passé sous nos yeux. Peut-être y aurait-il lieu d'étudier la possibilité de substituer à la presqu'île Ducos l'île Maré, qui avait été désignée comme lieu de déportation simple en cas d'insuffisance de l'île des Pins, et qui n'a pas été employée dans ce but.

La loi du 23 mars 1872 déterminait, en principe, le régime auquel seraient soumis les déportés. Aux termes de l'article 4, les condamnés à la déportation dans une enceinte fortifiée devaient jouir de toute la liberté compatible avec la nécessité d'assurer la garde de leurs personnes et le maintien de l'ordre. Ils devaient être soumis à un régime de police et de surveillance déterminé par un règlement d'administration publique. Les condamnés à la déportation simple devaient, aux termes de l'article 5, jouir d'une liberté n'ayant pour limites que les précautions indispensables pour empêcher les évasions et assurer la sécurité et le bon ordre. Les principes ainsi posés, bien que peutêtre un peu larges, n'étaient cependant que l'application de la théorie du code pénal. Aller plus loin, soumettre les condamnés à la déportation dans une enceinte fortifiée à une incarcération plus rigoureuse, astreindre les uns et les autres à un travail salarié ou non, c'eût été transformer la nature de la peine spéciale de la déportation et l'assimiler soit à la détention,

« PreviousContinue »