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partement, et n'ayant que trop souvent le droit de le faire, le département de son côté étant porté de plus en plus à se désintéresser d'une gestion dont il ne sent pas peser sur lui la responsabilité, et qui ne se rappelle à son souvenir que par le côté fâcheux d'une question d'argent. Aussi arrive-t-on promptement à cette conclusion, à savoir que la propriété des prisons départementales doit appartenir en principe à l'État. Nous avons été impérieusement conduit à cette conclusion par une étude attentive des faits, et nous croyons que toute réforme sérieuse des prisons départementales, dans quelque esprit qu'elle soit conçue, est subordonnée à cette condition préalable. Il n'est pas possible, en effet, que la mise à exécution de cette réforme soit à chaque instant entravée par la nécessité d'obtenir d'abord l'assentiment, ensuite le concours financier de chacun de nos départements, dont les ressources sont généralement obérées, et qui se montrent, il faut le dire, assez peu disposés à s'engager dans des dépenses de cette nature. La charge annuelle que l'entretien ordinaire des prisons départementales ferait peser annuellement sur le Trésor ne serait pas considérable. Elle ne s'élèverait pas à plus de 300 000 francs. Quant aux dépenses que leur transformation pourrait entraîner, il est impossible de les chiffrer à l'avance. Les dépenses seraient évidemment calculées d'après les ressources disponibles du budget. Mais, sans cette translation de propriété, on peut hardiment affirmer que toute réforme, même partielle, des prisons départementales est impossible..

La France n'est pas, au reste, le seul pays où l'on se trouve en présence d'une difficulté analogue, et où

l'on ait méconnu ce principe si simple, que le mode d'exécution de la sentence est une dépense de même nature que la dépense de la sentence elle-même, et que les frais d'entretien et de construction des prisons doivent être à la charge de l'État, comme les frais généraux de la justice criminelle ou correctionnelle. En Norwége, en Suède, en Russie, dans d'autres États encore, la dépense se répartit, suivant des principes différents, entre l'État et les districts ou les villes. Mais nulle part l'indépendance des prisons par rapport au pouvoir central n'est poussée aussi loin qu'en Angleterre. Ce n'est pas seulement la propriété de certaines prisons qui appartient aux comtés et aux villes, c'est encore le droit de les administrer par l'intermédiaire de leurs représentants. C'est l'assemblée des juges de paix du comté qui administre ces prisons, et bien que P'État ait un droit d'inspection, il n'a d'autre moyen d'action sur l'administration de ces prisons que de supprimer la subvention qu'il leur paye, lorsqu'il est mécontent de leur état. (Voir le rapport du major Du Cane, dans le volume consacré aux comptes rendus du congrès de Londres.) Aussi cette division des attributions et des ressources est-elle un obstacle presque insurmontable à la réforme des prisons de bourg ou de comté (borough or county gaols), où le régime suivi diffère suivant les localités. Nous sommes plus avancés en France, où nous avons déjà obtenu la centralisation de l'administration et à peu près l'unité du régime. Mais il nous reste un dernier pas à faire en ce qui concerne la propriété, et nous exprimons l'espérance qu'il sera bientôt franchi.

La dépense des prisons départementales s'est élevée,

en 1869, à 6695 626 francs, pour un nombre total de journées de détention de 7 524 149. Le mouvement des entrées a été de 214 185, en y comprenant le chiffre de la population de ces prisons au 1er janvier (22 342). Ainsi que nous l'avons déjà fait remarquer, ce chiffre des entrées ne représente pas un nombre égal d'individualités distinctes, puisqu'un nombre considérable d'individus sont condamnés plusieurs fois dans la même année. Mais il n'en résulte pas moins que le mouvement des individus qui passent chaque année au travers des prisons départementales est énorme. En opérant toutes les réductions nécessaires, il s'élève encore à plus de 150 000. Cette considération seule suffit à démontrer toute l'importance que présente l'organisation de ces prisons. On peut donc s'étonner que jusqu'à présent l'attention se soit surtout portée sur les prisons où sont subies les longues détentions, prisons où le mouvement de la population est bien inférieur à celui des prisons départementales. Il est manifeste, en effet, que si l'organisation de ces prisons où les criminels font leur première étape, nécessairement comme prévenus et souvent comme condamnés, exerce sur eux une action vicieuse et démoralisante, l'œuvre de leur régénération sera rendue par la suite bien plus difficile, quelque efficace que soit le système pénitentiaire auquel on les soumettra, s'ils ont ensuite une longue peine à expier. C'est donc un manque absolu de logique que de négliger les prisons où sont subies les courtes peines et les préventions. M. Charles Lucas a signalé ce point de vue avec beaucoup de force dans son bel ouvrage sur la Théorie de l'emprisonnement, et il s'est étonné avec raison qu'à l'étranger comme en

France, tous les efforts des réformateurs se soient en quelque sorte concentrés sur le régime des longues détentions. Cette observation ne s'applique ni à la Belgique, ni à la Hollande, ni à une grande partie des États de l'Allemagne, où les courtes peines sont généralement subies en cellule. Mais elle s'applique à d'autres pays où l'amélioration du système pénitentiaire a été cependant l'objet des efforts les plus sérieux, à l'Amérique, à l'Angleterre, à l'Irlande notamment, où les prisons pour les courtes peines sont si mal organisées, que l'ancien directeur des prisons irlandaises, sir Walter Crofton, a déclaré qu'il préférait ne pas en parler devant la commission d'enquête parlementaire. Vivement frappé de ce point de vue, nous avons consacré tous nos soins à nous rendre compte de l'état des prisons départementales, qui sont répandues en si grand nombre sur la surface de notre territoire. Nous avons pu réunir et consulter sur ce point des documents très-considérables. Nous allons essayer de résumer ici le résultat de ces constatations.

Nous nous sommes servi jusqu'à présent de cette expression généralement reçue : prisons départementales, parce que les prisons dont nous parlons sont, en effet, ainsi que nous venons de l'expliquer, la propriété des départements. Mais nous devons convenir que cette expression n'est ni pénitentiaire, ni légale. Elle n'est point pénitentiaire, puisqu'elle ne correspond point à une pensée et à une distinction théorique quelconque. Elle n'est point non plus légale, car le Code ne reconnaît point l'existence de prisons départementales. Le Code parle, en effet, de maisons d'arrêt où sont incarcérés les prévenus, de maisons de justice où

sont incarcérés les accusés, c'est-à-dire les inculpés placés sous le coup d'un arrêt de renvoi de la chambre des mises en accusation devant la cour d'assises, enfin de maisons de correction où sont enfermés les condamnés à des peines correctionnelles. Or, c'est précisément cette réunion des maisons d'arrêt, de justice et de correction, qui forme l'ensemble des prisons départementales. Ces prisons ne servent cependant de maisons de correction que pour les condamnés à une année d'emprisonnement et au-dessous, les condamnés à plus d'une année d'emprisonnement étant envoyés dans les maisons centrales en vertu de prescriptions dont nous examinerons plus tard la légalité. L'expression de prisons départementales ne se rapporte donc qu'à une agrégation de fait. Mais nous sommes obligé de continuer à nous en servir, parce que le fait l'emporte ici sur la théorie. Il s'en faut, en effet, que les dispositions de la loi qui prescrivent une absolue séparation, non pas seulement entre les prévenus, les accusés. et les condamnés, mais entre les maisons consacrées à ces différentes catégories de détenus, soient exactement observées. Il n'y a que quelques grandes villes qui possèdent des maisons d'arrêt ou de justice distinctes de la maison de correction. Généralement la maison d'arrêt ou de justice n'est qu'un quartier de la maison de correction. Trop souvent aucune distinction n'est faite entre les différents quartiers. Il n'est donc pas possible, dans l'exposé de fait que nous allons entreprendre, de parler séparément des maisons d'arrêt, de justice et de correction, puisque la plupart du temps cette séparation n'existe pas. Nous parlerons en bloc des prisons départementales, sauf à indiquer les quel

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