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plus rationnel que le précédent offre cependant peu de garanties. Un essai de classification des détenus a été tenté à la prison de la Santé. Les condamnés pour des affaires de mœurs y sont maintenus en cellule. Les autres y sont répartis en trois catégories, d'après la nature de l'infraction qu'ils ont commise et d'après la situation légale qu'ils occupent. Cette organisation vaut mieux sans doute que la promiscuité pure et simple. Mais le directeur consciencieux et intelligent sous la surveillance duquel fonctionne ce système, ne se fait aucune illusion sur son efficacité et ne le considère que comme un pis-aller. Nous sommes donc en droit de dire que la division par quartiers, préconisée par la circulaire de 1853, ne correspond à aucune des exigences d'un bon système pénitentiaire, et que, d'ailleurs, aucune tentative sérieuse et suivie n'a été faite pour en poursuivre l'application dans les prisons départementales.

Mais si cette circulaire fameuse n'a pas eu la vertu d'introniser dans nos prisons départementales un système nouveau, elle a eu en revanche pour résultat d'y faire cesser l'application du régime cellulaire, qui, dans les prisons disposées à cet effet, y était expérimenté avec succès depuis plus de dix ans. La circulaire de 1853 ne contenait, à vrai dire, à ce sujet, aucune prescription formelle. Mais on comprend parfaitement que les fonctionnaires chargés de l'application de ce système se soient découragés d'une tentative qui exigeait de leur part beaucoup de zèle et de dévouement, en voyant que son efficacité était contestée par le ministre dont ils dépendaient. Aussi, dans les prisons cellulaires construites à grands frais par les départements,

la discipline s'est-elle relâchée peu à peu. Au travail solitaire a succédé le travail en commun dans les ateliers formés par la réunion de plusieurs cellules. L'isolement nocturne n'a même pas toujours été maintenu, et nous avons acquis la certitude que, dans des moments d'encombrement, les cellules ont été transformées en dortoirs à trois ou même à deux. Il y a même certaines prisons où cette pratique déplorable est devenue d'un usage constant. A l'heure actuelle, le régime de l'isolement n'est plus appliqué, en France, que dans certaines prisons du département de la Seine: à Mazas, pour les prévenus hommes; à la Conciergerie, pour les accusés; à la Santé, pour certaines catégories de condamnés arbitrairement choisis; enfin, à Tours, dans le quartier de la prison réservé aux femmes. Partout ailleurs, et même dans les prisons qui sont portées dans les tableaux statistiques comme cellulaires ou partiellement cellulaires, le système de la séparation individuelle a cessé d'être mis en pratique pour être remplacé par le système du travail en commun avec isolement, ou parfois, malheureusement, avec tête-à-tête de nuit.

Il en résulte ce fait singulier: un homme arrêté à Paris pour une infraction quelconque passera le temps de sa prévention en cellule. Puis il subira ensuite sa peine en commun, quelle que soit la sentence prononcée contre lui; à moins qu'il ne soit envoyé, par exception, dans le quartier cellulaire de la Santé. Si ce même homme est arrêté en province, son sort dépendra de l'arrondissement où il aura commis sa faute. Si dans cet arrondissement se trouve une prison cellulaire, il sera peut-être isolé de nuit pendant la durée

de sa prévention et pendant la durée de sa peine, mais il sera réuni à ses codétenus pendant le jour. Si la prison est séparée par quartiers, il passera, après le jugement, du quartier des prévenus dans le quartier des condamnés. Enfin, si aucun quartier distinct n'existe dans la prison, il rentrera, au sortir de l'audience du tribunal, dans la salle même et dans le dortoir où il était la veille, sans autre changement dans sa condition que d'avoir perdu le bénéfice assez indifférent de la présomption d'innocence. On voit que nous n'avions pas tort de dire que le système pénitentiaire était en France affaire de clocher.

En présence d'un état de choses aussi incohérent, nous n'avons qu'une marche à suivre : décrire les caractères généraux que les prisons départementales présentent, et fournir quelques renseignements rapides sur le régime hygiénique, disciplinaire, économique et moral de ces prisons. Entrer dans de plus longs détails serait impossible sans nous trouver entraîné à faire en quelque sorte la description topographique des établissements que renferme chaque département. Ce serait là une besogne triste et monotone, toutes ces prisons n'étant malheureusement que trop semblables les unes aux autres. Nous avons pu consulter sur chacune d'elles des renseignements complets, émanant des magistrats qui les ont visitées, des préfets qui les surveillent, des directeurs départementaux qui en ont la responsabilité. On en trouvera une partie dans les rapports et dans les procès-verbaux de la commission d'enquête parlementaire. Nous ne ferons ici que résumer les indications générales que ces documents contiennent.

CHAPITRE VI

Régime hygiénique, disciplinaire, économique, moral, des prisons

départementales.

RÉGIME HYGIÉNIQUE.

S'il n'y a point d'uniformité dans le système pénitentiaire suivi dans nos prisons départementales, en revanche, les plus louables efforts sont faits depuis longtemps par l'administration pour assurer un traitement égal à tous les prisonniers qu'elles contiennent. Un règlement très-minutieux a été édicté par le ministre de l'intérieur, M. Duchâtel, au mois d'octobre 1841, et depuis cette époque, ce règlement, sauf quelques légères modifications, a toujours été suivi dans ses dispositions principales. Néanmoins, et malgré les prescriptions formelles et uniformes de ce règlement, une assez grande variété a subsisté dans le régime des prisons départementales, jusqu'à ce que les dépenses ordinaires de ces établissements aient été mises à la charge de l'État par la loi des finances de 1855. Ce n'est que depuis cette époque que le régime appliqué aux détenus dans toutes les prisons est véritablement uni

forme, sans qu'il y ait d'autre inégalité dans l'application des peines que celle résultant forcément de la diversité des locaux dans lesquels elles sont subies. Il ne faut pas toutefois se dissimuler que cette inégalité est encore assez grande pour que certaines prisons soient mieux famées que d'autres dans le monde des malfaiteurs. Notons aussi en passant, et sauf à y revenir dans un chapitre spécial, que certaines dispositions du règlement de 1841 ne sont pas appliquées dans les prisons de la Seine, où le régime est moins sévère que dans les autres prisons des départements. Ces inégalités existent, au reste, à un degré bien plus grand chez les peuples voisins. C'est ainsi qu'un directeur de prisons anglaises a dit devant la commission d'enquête parlementaire qu'il y avait un district de la ville de Londres où les malfaiteurs venaient plus volontiers commettre leurs délits, parce que le régime de la prison de ce district passait pour être plus agréable que celui des autres prisons.

Dans le régime hygiénique des prisons, il y a deux choses à distinguer : l'hygiène des bâtiments et l'hygiène des détenus. L'hygiène des bâtiments est loin d'être partout satisfaisante. On comprend en effet que toutes les exigences de la salubrité soient loin de se trouver satisfaites dans d'anciens locaux qui primitivement avaient été affectés à une tout autre destination. Ici les prisons sont humides; là les dortoirs ou les salles communes ne sont pas suffisamment aérés; ailleurs les préaux font totalement défaut. Il faudrait passer successivement en revue chaque prison pour signaler son côté défectueux, et il en est bien peu qui échapperaient à toute critique. En effet, les prisons de con

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