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contre les actes de l'autorité administrative. Nous allons rapidement en déterminer la nature.

L'administration agit de deux manières :

Tantôt elle est revêtue d'un pouvoir discrétionnaire ; Tantôt elle est renfermée dans les limites étroites de l'application d'une loi, d'un décret ou d'un contrat.

A ces deux modes d'action correspondent deux classes de réclamations, deux manières de les instruire et de les juger, deux sortes de décisions.

Dans le premier cas, les particuliers ne peuvent s'appuyer sur un droit, puisqu'ils critiquent une mesure à laquelle ils sont forcés de se soumettre; ils ne fondent leur réclamation que sur leur intérêt, qui se trouve en opposition avec l'intérêt public, et ils proposent un moyen de concilier l'un et l'autre. La demande est adressée soit à l'administrateur qui a pris la mesure, soit à son supérieur; elle n'est assujettie à aucune forme particulière, astreinte à aucun délai; l'administration n'est pas contrainte de prendre une décision; celle qu'elle prend n'a rien de définitif, et peut être réformée d'office ou sur une réclamation nouvelle. Il n'y a rien de contentieux, tout ici est discrétionnaire.

Dans le second cas, il ne s'agit plus d'un simple intérêt; le réclamant invoque un droit qui résulte d'une loi, d'un décret ou d'un contrat. La demande alors est assujettie à des formes, soumise à des déchéances; la question est portée devant des juges administratifs, lesquels sont tenus de prononcer; leurs décisions sont des jugements qui ne peuvent être réformés que dans les cas et suivant les formes prescrites. L'administration alors est revêtue d'une juridiction; elle est vraiment contentieuse.

167. Donnons maintenant quelques exemples de ces deux classes d'affaires.

Le pouvoir administratif a, en thèse générale, le droit de déterminer la direction d'une route, d'un chemin de fer et d'un canal. Les particuliers peuvent bien présenter des observations contre le projet ; mais l'administration, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, les admet ou les repousse, comme elle le juge convenable. Dans ce cas, quelle que soit la décision prise, il n'y a aucun droit de violé.

Les maires ont le droit de prendre des arrêtés pour ordonner des mesures locales sur les objets confiés par les lois à leur vigilance et à leur autorité (1. du 18 juillet 1837, art. 11), et notamment sur tout ce qui intéresse la sûreté et la commodité dans les rues, places, voies publiques (1. 16 et 24 août 1790, t. XI, art. 3). Les arrêtés pris sur ces différentes matières peuvent exciter des réclamations, mais ces réclamations ne sont pas fondées sur un droit, puisque les habitants sont tenus de se soumettre aux injonctions que les maires ont le drou de leur faire. Elles sont donc formées par la voie administrative pure, et sont appréciées par l'autorité discrétionnaire de l'administration supérieure.

168. Voyons maintenant des décisions d'un caractère différent. L'administration fait la répartition de l'impôt direct d'après les bases fixées par les lois. Si un particulier soutient que la loi n'a point été observée à son égard, qu'on a mis à sa charge une quote-part d'impôt plus considérable que celle qu'il doit payer, il y a là une réclamation qui est fondée sur un droit.

Lorsque les travaux d'intérêt général ont été adjugés à un entrepreneur, si, dans le cours de leur exécution, il s'élève une difficulté entre cet entrepreneur et l'administration sur le sens ou l'exécution des clauses de son marché, cette difficulté, qui repose sur les termes du contrat, ne peut être résolue d'une manière arbi

traire; c'est le contrat qu'il s'agit d'interpréter et d'appliquer. Dans ce cas, comme dans l'autre, il y a une question contentieuse qui doit être jugée par les tribunaux administratifs (ici par le conseil de préfecture), après une instruction contradictoire et sauf l'appel au Conseil d'Etat.

Par exception au principe général que l'application des lois pénales appartient à l'autorité judiciaire, les conseils de préfecture ont été chargés de réprimer par des amendes les contraventions de grande voirie. Il est bien évident qu'ici les conseils agissent comme tribunaux, et que leurs arrêtés, qui sont de véritables jugements, ne peuvent être attaqués que par la voie contentieuse de l'appel au Conseil d'Etat.

169. Jusqu'ici c'est la nature de l'acte qui détermine la nature du recours. Si l'acte statue sur une matière réservée au pouvoir discrétionnaire, le recours a lieu par la voie administrative et est soumis à l'autorité discrétionnaire de l'administration supérieure. Si l'acte fait l'application d'une loi, d'un décret, d'un contrat, le recours est contentieux ; il est porté devant l'autorité supérieure statuant comme juge. Il peut arriver aussi que ce soit la nature du moyen employé et non la nature de l'acte attaqué qui rende le recours contentieux. Les organes de l'administration reçoivent leurs pouvoirs de la loi; ils ne peuvent en excéder les limites, ni à plus forte raison empiéter sur les attributions d'autres fonctionnaires. L'Empereur ou le Conseil d'Etat réprime l'excès de pouvoir, l'incompétence, la violation. de la loi. Chacun peut donc, en thèse générale, lui déférer pour un de ces motifs les actes émanés de tous les organes de l'autorité administrative (1). Le recours

(1) Les questions d'incompétence, excès de pouvoir, violation de la

alors est contentieux, car il est fondé sur un droit résultant d'une loi. Tel serait le cas où on attaquerait un arrêté rendu par un maire qui, sous prétexte de réglementer l'industrie, limiterait le nombre des personnes qui peuvent exercer une profession. Un tel arrêté contiendrait un excès de pouvoir.

170. Il en est de même lorsque des formalités d'instruction qui doivent, aux termes d'une loi, d'un décret ou même de règlements ministériels, précéder un acte de l'autorité discrétionnaire, n'ont pas été observées. Les particuliers, dans l'intérêt desquels ces formalités étaient établies, peuvent attaquer l'acte discrétionnaire par la voie contentieuse, par le motif que leur droit á été méconnu. Ainsi la concession des mines est dans les attributions du pouvoir discrétionnaire de l'administration, aux termes de l'art. 16 de la loi du 21 avril 1810; mais cette concession doit être précédée d'une procédure administrative qui consiste dans la publication et l'affiche des demandes dans certains lieux et pendant un certain temps (art. 72 et suiv. de la même loi), afin de provoquer les oppositions et les demandes en concurrence. Si cette procédure n'a point été observée, les particuliers, qui n'ont point été avertis, peuvent se pourvoir par la voie contentieuse, et demander l'annulation du décret de concession, non par des motifs du fond, mais pour un vice de forme; car l'administration était obligée, par la loi à observer cette formalité protectrice des intérêts privés; en ne le faisant pas, elle a violé un droit, et c'est ce droit qui réclame. (Arrêt du Conseil du 13 mai 1818. Liotard.) La même chose a lieu en matière d'autorisation d'usine sur

loi en matière judiciaire sont jugées par la Cour de cessation, qui a succédé au Conseil des parties, lequel était une portion de l'ancien conseil du Roi.

des cours d'eau. (C. d'Etat, 3 mars 1844. De la Marzelle.) Dans ce cas, le Conseil d'Etat annule le décret irrégulièrement rendu, sauf aux parties à se pourvoir de nouveau plus régulièrement. (V. arrêt Liotard.)

171. Telles sont les règles générales qui distinguent les deux modes d'action de l'administration. Il est quelquefois dérogé à ces règles par des dispositions de lois qui établissent le recours par la voie contentieuse, dans des circonstances où l'administration devrait avoir un pouvoir discrétionnaire, et réciproquement; ce sont là des exceptions que nous aurons soin de signaler dans le cours de cet ouvrage, et de résumer dans la troisième partie, où nous traiterons avec plus de développement du contentieux administratif.

CHAPITRE VI.

GARANTIE DES FONCTIONNAIRES PUBLICS.

SOMMAIRE.

172. Nécessité d'une autorisation du Conseil d'Etat pour poursuivre les fonctionnaires publics.

173. Règles spéciales aux ministres, aux membres du Sénat, du Corps législatif, du Conseil d'Etat.

174. Règles spéciales aux membres des cours et tribunaux et aux officiers chargés du ministère public.

175. Fonctionnaires auxquels s'applique la garantie.

176. A l'occasion de quels actes et de quelles poursuites elle peut être invoquée.

177. Les maires et les conseillers municipaux peuvent-ils invoquer les garanties?

178. Explication des art. 60 et 61 de la loi du 4 décembre 1789. 179. Les ecclésiastiques peuvent-ils invoquer la garantie?

180. Fonctionnaires qui peuvent être poursuivis avec l'autorisation des directeurs généraux et des préfets.

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