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réelle, en raison des effets qu'elle a produits et qui subsistent.

La loi de 1814 distinguait entre les individus qui, à l'époque de sa publication, avaient, depuis l'âge de 21 ans, résidé pendant dix ans en France,.et ceux qui à la même époque n'avaient pas encore complété ce stage. Elle considérait d'abord la réunion des pays conquis comme tenant suffisamment lieu pour les uns et les autres de la déclaration exigée par la Constitution de l'an VIII; elle imposait ensuite aux premiers, s'ils voulaient rester Français, l'obligation de déclarer, dans les trois mois de sa publication, qu'ils persistaient dans l'intention de se fixer en France; aux seconds, l'obligation de faire la même déclaration dans les trois mois à partir de l'expiration des dix années. Dans l'un et l'autre cas, le Roi statuait en accordant à l'étranger des lettres de naturalité; il pouvait même, dans le second, abréger le temps du stage.

Il y avait une distinction importante à faire, sous l'empire de cette loi, entre les leures de naturalisation et les leures de naturalité. Les premières conféraient à l'étranger qui les obtenait la qualité de citoyen français; elles étaient pour lui constitutives d'un droit nouveau; les secondes, au contraire, constataient que celui qui les recevait avait conservé la qualité de Français; elles n'étaient pour lui que déclaratives d'un droit acquis et subsistant. Fondée sur le texte même de la loi, cette distinction fut formellement admise par un avis du Conseil d'État du 17 mai 1823, au sujet des membres de la Légion-d'Honneur devenus étrangers par suite des traités de 1814 et de 1815; elle a été reconnue plus tard par un arrêt de la Cour de cassation du 4 mai 1836. Néanmoins les deux expressions sont souvent employées l'une pour l'autre, et cette confusion se retrouve jusque

dans la législation. (V. ord. 17 fév. 1815, 1, 2.) Des abus ne tardèrent pas à sé glisser dans le droit exceptionnel créé par la loi de 1814. On considéra bientôt comme purement comminatoire le délai de trois mois qu'elle imposait à l'étranger pour faire sa déclaration; le garde des sceaux le proclama lui-même à la Chambre des Députés en 1835 (Moniteur, 14 janv. 1835); la Cour de cassation inclina à son tour vers cette tolérance (C. C, req., 4 mai 1836. Barré). Il importait donc de mettre un terme à l'extension arbitraire qu'avait ainsi reçue une loi purement transitoire; aussi l'art. 4 de la loi du 3 décembre 1849 a-t-il abrogé pour l'avenir les dispositions de la loi de 1814 dont nous venons de parler. (V. le rapport de M. de Montigny.)

CHAPITRE II.

COMMENT LES QUALITÉS DE FRANÇAIS ET DE CITOYEN SONT PERDUES ET RECOUVREES.

SOMMAIRE.

195. Perte de la qualité de Français par la naturalisation en pays étranger.

196. Effets de la naturalisation.

197. Quand y a-t-il naturalisation?

Décret du 26 août 1811.

198. Perte de la qualité de Français par l'acceptation de fonctions pu bliques à l'étranger.

199. Idem par l'établissement en pays étranger sans esprit de retour. 200. Devoirs des Français établis dans un pays avec lequel la guerre éclate.

201. Législation antérieure à 1848 sur la perte de la qualité de citoyen 202. Droit actuel sur la perte de la qualité de citoyen. - Renvoi. 203. Comment se recouvrent les qualités de Français et de citoyen.

195. L'état de société n'étant point un état fictif et

conventionnel hors duquel il soit possible à l'homme d'exister, il en résulte que tout individu se trouve assujetti aux lois de la nation au milieu de laquelle il a pris naissance, ou bien à laquelle il s'est volontairement agrégé. La liberté veut sans doute qu'il puisse quitter son pays, échapper à une législation qui ne lui convient pas; pas; mais il ne peut perdre son caractère de membre d'une nation qu'autant qu'il s'associe à une autre, excepté quand cette perte lui est infligée comme une peine. S'il en était autrement, il serait facile de se soustraire aux charges qu'impose la société, tout en continuant à jouir des avantages qu'elle procure; aussi est-il admis en principe que la qualité de Français ne peut se perdre par une simple abdication, il faut en outre l'acquisition expresse ou tacite de la naturalisation dans un pays étranger.

La qualité de Français se perd: 1o par la naturalisation acquise en pays étranger;

2o Par l'acceptation, non autorisée par l'Empereur, de fonctions publiques conférées par un gouvernement étranger;

3o Par le service militaire chez l'étranger, ou par l'affiliation à une corporation militaire étrangère, sans autorisation de l'Empereur;

4° Par tout établissement fait en pays étranger sans esprit de retour: on ne considère pas comme tels, indépendamment de toutes autres circonstances, les établissements de commerce;

5° De la part des femmes, par leur mariage avec un étranger. (C. Nap., 17, 19, 21.)

196. La naturalisation acquise en pays étranger, donnant au Français une nouvelle patrie, lui imposant de nouveaux devoirs, est incompatible avec la conservation des droits dont il jouissait comme Français. Ge

pendant la rupture des liens qui l'attachaient à son pays a des effets plus ou moins étendus, suivant que sa naturalisation a été ou non autorisée par le chef de l'Etat. Dans le premier cas, le décret du 26 août 1811 fui conserve en France le droit de posséder et de transmettre des propriétés et celui de recueillir des successions. L'autorisation de se faire naturaliser en pays étranger est accordée par un décret impérial, visé. par le ministre de la justice, inséré au Bulletin des Lois, et enregistré dans la Cour impériale du dernier domicile de celui qu'il concerne. (Décr. du 26 août 1811, 1, 2, 3.)

Le même décret frappe le Français qui s'est fait naturaliser sans autorisation d'une pénalité qui a été successivement modérée par les principes de notre droit pénal. Ainsi la confiscation qu'il prononçait a été abolie par la Charte de 1814; l'ouverture de sa succession au profit de ses héritiers légitimes, qui était la conséquence d'une sorte de mort civile, n'a plus lieu aujourd'hui, que la loi du 31 mai 1854 a aboli la mort civile et lui a substitué une interdiction légale. Nous n'avons à nous occuper des conséquences de ce décret que sous le point de vue du droit public. Celui qu'il frappe est déchu de tout titre institué par les lois et décrets de l'empire, soit qu'il l'ait eu primitivement ou par transmission; ce titre et les biens y attachés sont dévolus à la personne restée française, qui y est appelée selon les lois. S'il avait reçu l'un des ordres français, il est biffé des registres et états, et défense lui est faite d'en porter la décoration. S'il est trouvé sur le territoire français, il est pour la première fois arrêté et reconduit au delà des frontières; en cas de récidive, il est traduit devant les tribunaux français, et condamné à être détenu pendant un an au moins et dix ans au

plus. Il ne peut être relevé des peines et déchéances ci-dessus que par des lettres de relief accordées par l'Empereur dans la même forme que les lettres de grâce. (Id., art. 6 à 12.)

Les individus qui étaient naturalisés en pays étranger, sans autorisation, au moment où ce décret a été publié, ont pu obtenir l'autorisation dans un délai déterminé, suivant la distance des lieux où ils se trouvaient. S'ils ne l'ont pas fait, ils sont devenus passibles des dispositions pénales dont nous venons de parler, comme ceux naturalisés sans autorisation, et ils ne peuvent être relevés du retard que par des lettres de relief de déchéance accordées par l'Empereur et délivrées par le ministre de la justice (1).

Une controverse ardente s'est élevée, dans la doctrine et dans la jurisprudence, au sujet de ce décret et au sujet de celui du 7 avril 1809, dont nous parlerons plus tard. On s'est demandé si, les circonstances exceptionnelles qui l'avaient motivé ayant disparu, il n'avait point été par là même abrogé. Ce n'est point ici le lieu d'entrer dans cette discussion, qui appartient surtout au droit privé. La Cour de cassation maintient l'application rigoureuse des décrets; ce respect salutaire des principes sur l'abrogation légale est tempéré, dans les résultats excessifs qu'il entraînerait pour la pénalité, par l'institution des lettres de relief.

197. La question de savoir quand un Français est naturalisé en pays étranger dépend de la législation particulière de chaque nation. Elle ne présente pas de difficultés lorsqu'il est prouvé que le Français a rempli sciemment les conditions requises pour obtenir la natu

(1) Décr. du 26 août 1811, 14, 15 et 16. D'après un avis du Conseil d'Etat du 2 mai 1812, le décr. du 26 août 1811 n'est point applicable aux femmes.

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