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tout, qu'un démembrement de l'administration, elle peut cesser d'exister, et sa fortune peut être transportée à une autre branche de service sans aucune injustice : ainsi la caisse d'amortissement a une personnalité; elle a un actif et un passif; elle achète et elle vend; si elle était supprimée, sa dotation devrait être versée dans le Trésor, parce qu'elle n'a d'autre but qu'un service public, et qu'ainsi sa destination principale ne serait pas changée.

Mais on ne devrait pas décider la même chose à l'égard des personnes morales dont les intérêts sont distincts des intérêts généraux. Leur personnalité ne permettrait pas que l'on pût sans injustice les supprimer, et surtout attribuer à l'Etat des biens qui ont une destination spéciale, tant que cette destination peut avoir lieu. Agir autrement, ce serait violer les intentions de ceux qui ont doté ces personnes; ce serait tarir la source des libéralités pour l'avenir. Ainsi la loi qui supprimerait un hospice et qui attribuerait ses biens à l'Etat commettrait un acte de spoliation. Si des raisons, qui devraient être bien puissantes, motivaient la suppression de cet hospice, ses biens du moins ne devraient pas être détournés de la destination charitable qui leur a été donnée. C'est ainsi que la loi du 24 mai 1825 veut que, dans le cas de suppression ou d'extinction d'une congrégation religieuse de femmes, les biens qui ne font pas retour aux donateurs, et ceux qui ont été acquis à titre onéreux, soient attribués et répartis, moitié aux établissements ecclésiastiques, moitié aux hospices des départements dans lesquels étaient situés les établissements éteints et supprimés.

Lorsque nous traiterons des différentes personnes morales, nous ferons connaître les règles qui s'appliquent à l'administration de leurs biens.

LIVRE III.

DES DROITS NATURELS.

DIVISION DE LA MATIÈRE.

Nous avons établi dans l'introduction qu'il existe deux classes de droits : les uns, que nous avons appelés droits naturels, étant le but même de la société, doivent être garantis par la loi politique à chacun de ses membres; les autres, que nous avons appelés droits politiques, n'étant pas le but mais le moyen de la société, peuvent varier suivant les formes du gouvernement, et doivent être répartis entre les gouvernés de manière à produire le plus grand bien possible.

Nous nous occuperons dans ce livre des droits naturels, et dans le livre suivant, des droits politiques. Les droits naturels sont relatifs aux personnes ou aux choses.

Un titre sera consacré aux premiers,
Un autre titre aux seconds.

TITRE PREMIER.

DES DROITS NATURELS RELATIFS AUX PERSONNES.

CHAPITRE PREMIER.

DE LA LIBERTÉ ET DE L'ÉGALITÉ.

SOMMAIRE.

218. La liberté et l'égalité sont les bases du système actuel.

219. Abolition de l'esclavage.

220. Abolition du servage.

221. Abolition du système féodal par le décret du 4 août 1789. 222. Principes posés par le droit public moderne.

223. De la noblesse et de la Légion-d'Honneur.

224. Majorats.

225. Egalité dans l'administration de la justice.

226. Admissibilité de tous les citoyens aux fonctions publiques. 227. Egale répartition des charges. - Renvoi.

228. De la liberté dans ses rapports avec la société.

229. Des conventions qui peuvent modifier la liberté.

230. Des vœux religieux et de leurs effets dans le for extérieur,

231. De l'engagement pour le service militaire. - Renvoi. 232. De l'emprisonnement prononcé par la loi.

233. Des différentes espèces de prisons.

234. Surveillance de l'administration sur les prisons. 235. Devoirs des gardiens et des guichetiers.

236. Des bagnes, Colonie pénitentiaire de la Guyane.

218. Nous avons dit dans l'introduction que le but de la société était d'assurer aux hommes l'exercice légitime de leurs facultés naturelles sous l'égale protection de la loi, de telle sorte que chaque individu, maitre de ses destinées, n'eût à lutter que contre les obstacles naturels qu'il n'appartient pas aux hommes de faire disparaître. Cette application au droit public du principe de la fraternité évangélique est une des conquêtes de notre époque. Le paganisme, qui n'était que la déification des passions humaines, avait créé l'esclavage; l'invasion des barbares avait ajouté l'inégalité des vainqueurs et des vaincus à l'inégalité des maîtres et des esclaves; la féodalité avait organisé les priviléges. Au développement du principe chrétien est due la destruction de ces deux vices dans l'organisation de notre pays. L'esclavage d'abord a succombé sous les efforts directs et puissants de l'Eglise. Le mouvement de 1789 a fait disparaître le servage et les priviléges, et proclamé la liberté et l'égalité.

219. L'esclavage, cet abus de la force, avait obtenu chez les peuples de l'antiquité la sanction de la loi, l'approbation des philosophes et des publicistes. Les lois des Grecs et des Romains contiennent, relativement aux droits des maîtres sur les esclaves, des règles d'une barbarie révoltante; les mœurs ne le cédaient point aux lois en cruauté (1). Le paganisme encourageait l'esclavage, et Aristote, le plus illustre représentant de la philosophie ancienne, y voyait une condition nécessaire de toute société, parfaite (2); il reconnaissait deux natures dans les hommes, l'une libre et l'autre esclave, Un concile du x° siècle a le premier proclamé le principe que tous les hommes sont égaux, et c'est l'influence du christianisme sur les masses qui a produit l'abolition graduelle de l'esclavage en Europe. Mais cette cruelle institution existe encore dans toute sa force chez la plupart des peuples que n'ont point éclairés les lumières du christianisme, et, ce qui est plus étonnant, il se retrouve dans une partie de l'Amérique, au milieu d'un peuple qui se dit chrétien et qui a posé la souveraineté de tous comme principe de son droit public. Enfin quelques nations européennes le tolèrent encore dans leurs colonies. Depuis plus d'un quart de siècle, l'horrible trafic connu sous le nom de traite des nègres a été proscrit par le droit public et international européen. Mais la France a précédé tous les autres peuples par sa généreuse initiative. Depuis longtemps le droit public de la France continentale a proscrit l'esclavage non-seulement à l'égard des nationaux, mais encore à l'égard des étrangers qui se trouvent sur le sol français. Une ordonnance de Louis le Hutin de 1315 déclare que

(1) V. Denis d'Halicarnasse, liv. VII, § LXXIII. (2) Polit., liv. 1, ch. IV, v et VI.

tout le monde en France doit être franc. « Toutes personnes sont franches en ce royaume, dit Loisel, Institutes coutumières, t. 1, no 6, et sitôt qu'un esclave a atteint les marches d'icelui, il est affranchi.- Aujourd'hui que l'esclavage est entièrement aboli parmi nous, ajoute Laurière, son commentateur, tout esclave est libre dès le moment qu'il a mis le pied dans le royaume. »> Enfin un décret du 28 septembre 1791 porte : « Tout individu est libre aussitôt qu'il est entré en France. »

En ce qui concerne les colonies françaises, des tentatives d'affranchissement avaient été faites sur la fin du dernier siècle. On sait ce qu'avait amené l'imprudente loi du 4 février 1794; on connaît les horribles.catastrophes des colonies et la perte de St-Domingue. Le décret du 30 mai 1802 rétablit le régime antérieur à 1789; néanmoins, depuis cette époque, le gouvernement s'est occupé d'amener l'amélioration du sort des esclaves et de procurer leur affranchissement progressif. (. les ord. des 12 juillet 1832, 29 avril 1836.) L'abolition définitive de l'esclavage a été prononcée par le décret du gouvernement provisoire du 27 avril 1848. L'indemnité attribuée aux anciens possesseurs d'esclaves a été réglée par la loi du 30 avril 1849: elle se compose d'une rente de 6 millions 5 p. 010, inscrite au grand-livre, et dont les inscriptions ont été délivrées aux indemnitaires au fur et à mesure que leurs droits ont été liquidés définitivement. (L 30 juill. 1850) (1).

Le principe que le sol de la France affranchit l'esclave qui le touche est appliqué aux colonies et aux

(1) V. le décret du 24 novembre 1849, qui détermine les formes des demandes en indemnité, crée des commissions de liquidation, fixe les bases de la sous-répartition, établit des moyens de recours contre les décisions des commissions, etc.

TOME 1.

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