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miné; elles étaient le résultat des différentes révolutions politiques qui ont changé la face de la société moderne, successivement modifiée par la conquête des Romains, l'invasion des barbares, la propagation du christianisme et l'établissement du système féodal. Les rois de France avaient travaillé pendant plusieurs siècles à faire de la France une vaste monarchie, et pour y parvenir ils avaient été obligés de soutenir contre le système féodal une lutte dont le succès longtemps disputé leur fut définitivement assuré sous Louis XIV; mais tout en travaillant pour arriver à cette unité de pouvoir, tout en réunissant à la France, par des traités ou par des conquêtes, les pays qui composent aujourd'hui son territoire, il était d'une bonne politique de conserver aux habitants de ces contrées leurs franchises, leurs coutumes, leurs lois de droit public et de droit privé. De là cette division irrégulière en provinces; de là cette diversité de législations, tout aussi grande dans le droit public que dans le droit privé.

En vain s'était-on plusieurs fois efforcé de ramener ces différents pays à l'uniformité administrative, tous les efforts avaient échoué contre les résistances sans nombre resultant d'un vieil esprit de nationalité. Cependant les peuples qui composaient le royaume de France s'habituèrent insensiblement à cette idée de l'unité, leur caractère perdit de son individualité, et il arriva un moment où cette vaste entreprise, contre laquelle avaient échoué les efforts de plusieurs rois, s'exécuta presque d'elle-même par les députés de ces mêmes populations, dans lesquelles on avait trouvé jusque-là tant de résistance. Ce fut l'Assemblée constituante qui traça le plan de l'organisation administrative par laquelle nous sommes régis aujourd'hui. Mais, comme il arrive presque toujours après un premier

essai, ce plan a plusieurs fois été remanié: modifié d'abord dans l'intérêt de la démocratie par la Convention, il a reçu de la loi du 28 pluviôse an VIII l'empreinte du gouvernement monarchique; enfin il a été mis en harmonie avec les principes d'un gouvernement constitutionnel par les lois des 22 juin 1833 et 10 mai 1838, et modifié encore par le décret du 3 juillet 1848 et la loi du 7 juillet 1852 (v. n° 574), le décret du 25 mars 1852 sur la décentralisation (v. plus bas). 1495. Comme beaucoup de lois aujourd'hui en vigueur se réfèrent aux institutions créées par l'Assemblée nationale et par la Convention, il est nécessaire de tracer un historique de cette législation, afin qu'on puisse savoir quelles sont, dans le système actuel, les institutions qui remplacent celles dont il est question dans ces lois. Il faut se rappeler, pour pouvoir bien comprendre la différence de ce qui existait avec ce qui est, que tous les actes de l'administration peuvent se résumer dans ces trois mots : délibérer, agir, juger. Dans l'état actuel de la législation, la délibération appartient au conseil général et au conseil d'arrondissement, l'action au préfet et au sous-préfet, le jugement du contentieux, en général, au conseil de préfecture.

Voici maintenant quelle était l'organisation résultant de la loi du 22 décembre 1789 et de la constitution du 3 septembre 1791 :

Le territoire fut divisé en départements, districts, cantons et communes (1), A la tête de chaque département on plaça une administration collective composée de trente-six personnes ; à la tête de chaque district, une assemblée de même nature, composée de douze person

(1) Loi du 22 déc. 1789, art. 1, 2 et 3; Const. du 3 sept. 1791, t. 1, art. 8 et 9, et t. 3, ch. 4, sect. 2. La division fut exécutée par la loi des 16 fév. et 4 mars 1790.

nes. Les membres de ces assemblées étaient nommés par les électeurs qui nommaient les représentants à l'Assemblée nationale, et choisis parmi les citoyens payant une contribution égale au moins à la valeur de dix journées de travail. (L. 22 décemb. 1789, sect. 2, art. 1 à 12.) Ces administrations étaient permanentes ; les membres en étaient renouvelés par moitié, de deux ans en deux ans, et restaient ainsi quatre ans en exercice. (Id., art. 13.)

1496. Les assemblées, ainsi organisées, nommaient au scrutin un président et un secrétaire; ensuite elles se subdivisaient en deux sections; l'une avait le titre de conseil et l'autre de directoire.

Le conseil de département tenait annuellement une session, pour fixer les règles de chaque partie de l'administration, ordonner les travaux et les dépenses générales du département, recevoir les comptes du directoire : c'était la partie délibérante.

Le directoire du département, composé de huit membres, nommés, pour deux années, par l'assemblée départementale, était en permanence pour l'expédition des affaires, et rendait compte de sa gestion tous les ans au conseil du département: c'était la partie active. Après avoir rendu leurs comptes, les membres du directoire prenaient séance et avaient voix délibérative avec ceux du conseil.

;

1497. L'administration de district se subdivisait de même en un conseil et en un directoire ; ce dernier était composé de quatre membres. Les administrations et les directoires de district étaient entièrement subordonnés aux administrations et aux directoires de dépar tement (1). Voici comment s'exprimait à cet égard

(1) Loi du 22 déc. 1789, sect. 3, art. 19 à 31, et Constitution du 3

l'instruction jointe à la loi du 22 décembre 1789: « Un des points essentiels de la constitution, en cette » partie, est l'entière et absolue subordination des admi>>nistrations et des directoires de district aux adminis>>trations et aux directoires de département, établis par » l'art. 28 de la 2o section du décret. Sans l'observation >> exacte et rigoureuse de cette subordination, l'adminis>>tration cesserait d'être régulière et uniforme dans » chaque département. Les efforts des différentes parties pourraient bien ne plus concourir au plus grand bien de tous; les districts, au lieu d'être des >> sections d'une administration commune, devien » draient des administrations en chef, indépendantes et >> rivales, et l'autorité administrative dans le départe» ment n'appartiendrait plus au corps supérieur à qui » la constitution l'a conférée pour tout le départe

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1498. Cette organisation, qui était fort bonne pour la délibération, ne l'était pas autant pour l'action. Le directoire de département, composé de huit personnes, devait manquer nécessairement de cette unité de vue, de cette promptitude d'exécution, nécessaires à l'administration; d'un autre côté, ceux qui en étaient membres, choisis au milieu d'une foule de citoyens dont on n'exigeait d'autres garantics que celle du payement d'une certaine contribution, pouvaient ne pas avoir les connaissances et les qualités nécessaires à des administrateurs actifs s'il ne faut qu'une intelligence ordinaire pour donner un avis sur les questions d'intérêt départemental qui sont débattues dans une assemblée,

sept. 1791, tit. 3, ch. 4, sect. 2, art. 3. Pour connaître avec plus de détail les fonctions de ces assemblées, voir même loi, sect. 3, et aussi l'instruction de l'Assemblée nationale des 12 et 20 août, sur les fonctions des assemblées administratives.

il faut pour diriger les affaires d'un département, pour prendre un parti sur toutes les difficultés qui se présentent, pour prononcer avec sagesse sur un grand nombre de questions, une capacité et une instruction moins communes qu'on ne le croit ordinairement.

1499. Les rédacteurs de la loi avaient bien senti ce défaut; et pour y remédier et donner à leurs assemblées la force et l'unité qui leur manquaient, ils ajoutèrent à ces machines, déjà bien compliquées, un nouveau rouage, en établissant un procureur général syndic de département et des procureurs syndics de district, lesquels étaient nommés au scrutin individuel et à la pluralité absolue des suffrages, en même temps que les membres de chaque administration, et par les mêmes électeurs. Ces fonctionnaires restaient quatre ans en place, et pouvaient être continués, par une nouvelle élection, pour quatre autres années; mais ils ne pouvaient être réélus une troisième fois qu'après un intervalle de quatre ans. Ils avaient séance aux assemblées générales des administrations sans voix délibérative; mais il ne pouvait être fait aucun rapport sans qu'on leur en eût donné communication, ni être pris aucune délibération sur un rapport sans qu'ils eussent été entendus. Ils avaient également séance dans les directoires, et étaient chargés de la suite de toutes les affaires. (L. 22 déc. 1789, sect. 2, art. 14 à 18.)

L'institution des procureurs syndics ne pouvait remédier complétement au vice de cette organisation, car eux-mêmes, nommés pour peu de temps, sans influence réelle sur les directoires, pouvaient voir toutes leurs bonnes intentions paralysées; et en supposant qu'ils eussent pu donner un peu d'unité et de vie à ces corps multiples, de nouvelles élections, amenant de nou

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