Page images
PDF
EPUB

vinces et des communes qui restaient à la couronne. Alors tout le monde dut espérer que le pays allait jouir d'un système de liberté et de droits encore inconnus en Europe. Mais, dès 1359, le Dauphin obtint des Etats la cassation de tous les arrêtés antérieurs; et, dès ce jour, les assemblées annuelles cessèrent d'être autre chose que des parlemens ou des Cours plénières, selon l'ancienne coutume.

Jean mourut en 1364, laissant la couronne au Dauphin, son fils, qui fut appelé Charles V ou le Sage. La guerre avec l'Anglais, qui avait été interrompue par le traité désavantageux de Bretigny, recommença sous ce Prince, et se termina par le recouvrement de presque toutes les provinces que le Roi Jean avait perdues. Pendant ce règne, le pays fut moins agité que sous le règne précédent, mais non tranquille, car il renfermait en lui les mêmes causes de troubles, ces mêmes ambitions seigneuriales, qui avaient ouvert aux Anglais les routes de la France. Charles ne chercha point à les combattre, ou peut-être ne le putil pas. Aussi, après sa mort, elles éclatèrent avec une violence qui manqua de perdre la nationalité française.

En 1580, Charles V mourut, laissant le trône à un enfant mineur, qui fut appelé Charles VI. Le règne de ce Prince ne fut qu'une longue minorité. Enfant d'abord, puis en proie à une alienation mentale qui ne lui laissait que quelques instans lucides; Roi sans l'être, il devint successivement l'instrument et le prétexte des diverses factions aristocratiques qui parvinrent à se saisir de sa personne. On se disputait sa possession ou sa garde, comme on se fût disputé celle même du pouvoir royal, si le trône fùt venu à manquer de successeurs légitimes. La France ne fut plus gouvernée dans son intérêt, ni dans celui de la famille royale qui avait attaché sa fortune à la sienne, mais dans les fins individuelles des partis qui, par intrigue ou par ruse, s'emparaient de la régence. D'abord, on se servit du nom de Charles, enfant, pour faire solder à la France les frais d'une entreprise sans but général, et toute personnelle. On chargea les 'communes d'impôts. Elles protestèrent à la manière du peuple, c'est-à-dire par l'é

meute. On sut les déterminer à demander pardon de leur juste rébellion; on leur arracha leurs chefs; à Paris, on s'empara par ruse des principaux citoyens, et on les mit à mort. Puis, on ôta à la capitale les priviléges dont elle était fière, ces priviléges qui étaient plus anciens que la monarchie même. La haine des nobles contre les communes se manifestait dans toute sa violence. On insulta les Parisiens, en leur faisant jouer une ignoble comédie. On les fit venir, hommes et femmes, demander pardon à genoux, devant l'enfant Roi, qui, placé sur un trône, daigna leur annoncer qu'il les excusait, et qu'il leur permettait de se racheter. A Roucn, on joua la comédie d'une prise d'assaut. Charles V entra par la brèche dans la place, etc. Enfin, toutes ces infamies furent comblées par des exactions odieuses; et le prix du vol fut dissipé par cette noblesse en d'ignobles et scandaleuses profusions. Le Roi paya cher ces fautes qu'on fit commettre à son enfance; et plus tard, Louis XI les fit cruellement expier à la noblesse.

On dut se demander alors si le fruit d'efforts poursuivis pendant une si longue suite de temps par le peuple et les Rois, devait être dévoré par une Cour sans vertu et sans honneur. Ne pouvant, par soi-même, renverser un pouvoir injuste, on dut chercher un appui à ses libertés, à ses droits. A l'exemple du pouvoir, chacun pensait à son intérêt propre. Le seigneur, comme la commune, n'agirent plus que pour leur propre conservation. Alors mille partis s'acharnèrent à ruiner la France. L'Anglais vint faire valoir ses prétentions: il trouva le pays hésitant entre deux partis: celui des Armagnacs et celui des Bourguignons; il traita avec le dernier. Enfin, en 1420, il se trouva en France deux Régens: l'un était Henri d'Angleterre; l'autre, Charles, Dauphin de France. Henri avait avec lui Charles VI, le fou, et le Duc de Bourgogne. Tous deux avaient les mêmes prétentions à la couronne. Le premier avait été déclaré, par ordonnance royale, héritier du trône; c'était son legs le second l'était par droit de naissance. Le premier avait été reçu à Paris, et accueilli par la confédération des villes qu'on avait le plus maltraitées dans les jeunes années de Charles VI; le second était réduit à la pos

session de la Champagne, de l'Orléanais, de la Touraine, du Poitou, du Berri, et de quelques provinces du Midi. Il semblait que la France allait être réunie à l'Angleterre sous un même Prince. En effet, en 1422, à la mort de Charles VI, les deux Régens furent proclamés Rois: Charles VII à Poitiers; Henri d'Angleterre à Paris.

Henri avait la supériorité des forces, mais Charles VII avait la supériorité des souvenirs. En effet, il était toujours resté séparé et ennemi de cette cour infame, qui était morte en quelque sorte avec le dernier Roi; il était resté fidèle à la cause nationale, et si le sentiment public ne se tourna point vers lui, au moins dut-il cesser de lui être hostile. Enfin, un événement qui, dans ce sièele, dut être regardé comme miraculeux, parce qu'il était inexplicable, lui rendit la ferveur populaire. Une femme, Jeanne d'Arc, mue par la religion de la patrie; imbue, avec une foi profonde, de cet enseignement qui apprenait au peuple à regarder la France, et la race de ses Rois comme les fils aînés de l'Église, entraîna les masses, en fit une armée. Ce fut une guerre sainte, une nouvelle croisade qu'elle conduisit : tout céda devant cette fureur religieuse. Jeanne d'Arc fut prise, et périt par la main des Anglais, martyr de sa foi patriotique. Mais le fanatisme de la nationalité était rentré dans le cœur des Français, et, en 1451, il ne restait plus aux Anglais, sur le sol de l'ancienne France, que la ville de Calais. Une telle suite de succès, après tant de revers, parut aussi miraculeuse que l'avait été leur origine.

Le Roi ordonna que l'on revît le procès de Jeanne d'Arc et l'on cassa le jugement inique qui l'avait condamnée : en sorte que le nom de la vierge française ouvrit et ferma cette époque glorieuse.

Le nom de cette vierge est le seul qui soit sorti pur des troubles dont nous venons de parler. Une effroyable démoralisation avait avili les hautes classes de la société. Le principe du mal, l'égoïsme avec son sale vêtement de vanités, de profusions et de débauches, et avec ses affreux serviteurs, le vol, l'assassinat, l'empoisonnement, l'adultère, régnait au sommet. Comment l'être social n'eût

il pas souffert, et ne se fût-il pas agité au contact de tant d'agens destructeurs qui le menaçaient de mort? Tout ce qui ne fut pas victime fut souillé.

Ce mal fut pour la France une souffrance sans fruit, fatal pour tout le monde. Ainsi, depuis saint Louis, les plaids annuels tendaient à se changer en assemblécs parlementaires semblables à celles d'Angleterre. Cette tendance fut rompue par le règne de Charles VI. Les réunions en cour plénière cessèrent d'avoir lieu d'une manière régulière, et on ne convoqua plus les États-généraux qu'à titre d'assemblée exceptionnelle, pour résoudre une difficulté exceptionnelle. Ils se réunirent pour la dernière fois, selon leur coutume régulière, dans l'année même qui vit monter Charles VI, mineur, sur le trône. Voyant un Roi enfant, possédé par une cour de seigneurs pillards, ils ordonnèrent la suppression des aides, et voulurent réduire la liste civile au revenu des biens de la couronne. Leur résolution fut accueillie, publiée; mais lorsqu'ils se furent séparés, leurs ordonnances furent mises à néant, et leur intervention fut pour toujours écartée : ce fut même une des causes des émeutes populaires qui affaiblirent les premières années de la minorité de Charles VI, et dont il triompha si insolemment avec l'aide de sa noblesse.

Toutes les fois que l'histoire nous montre une grande et générale démoralisation, on trouve toujours que son caractère est la subalternisation du devoir social à l'intérêt privé. Tel fut aussi le cachet de l'époque dont nous venons de nous occuper. Mais si l'on voulait en indiquer la cause première, il faudrait recourir à l'histoire même de l'Église. En effet, cette période de décadence de la France correspond à une période semblable dans l'Église de Rome. Ce fut elle qui donna, la première, l'exemple de l'égoïsme. La papauté avait cessé d'être un devoir, une fonction catholique; elle était devenue une fortune que les familles ambitionnaient comme un emploi fructueux. Il arriva de là que les papes ne furent plus choisis que parmi des nobles de sang, et qu'ils portèrent sur le trône apostolique les passions des familles et des races dont ils sortaient. Bientôt on vit plusieurs Papes se disputer

la couronne, ainsi qu'on avait vu des successeurs de rois. Ce schisme était en pleine vigueur sous Charles V. Ainsi il arriva que ces prétendus successeurs des Apôtres devinrent serviteurs non-seulement des rois, dont ils se disputaient la protection, mais même des Évêques, dont ils sollicitaient l'approbation: ceux-ci à leur tour dépendirent des Seigneurs, etc. La discipline de l'Église fut renversée, le pouvoir de l'excommunication fut éteint, et comme parmi ces Papes nul n'avait le droit pour lui, les uns et les autres ne comptèrent que sur leur complaisance pour trouver des appuis. L'Université de Paris, quelques ordres de moines mendians et le clergé inférieur résistèrent seuls à la démoralisation qui résulta du schisme; l'Université, entre autres, se distingua par son énergie à demander un concile général pour la réformation de l'Église et du Clergé.

CHAPITRE III.

HISTOIRE DE FRANCE DU QUINZIÈME AU DIX-SEPTIÈME SIÈCLE.

L'HISTOIRE des deux siècles suivans est celle d'une bataille entre le fédéralisme aristocratique et l'unité monarchique. -Aussi, quant à l'organisation sociale, toutes choses restèrent dans le provisoire, et, à la fin de cette époque, sous Louis XIV, nous trouverons que l'unité en France n'est que morale, n'ayant d'autre représentant que l'absolu pouvoir du monarque, mais d'ailleurs embarrassée des mille obstacles que lui opposait la variété des coutumes qui tenaient lieu de Codes, divisée en provinces, et par systèmes d'impôts et de priviléges, coupée par des lignes de douanes, et présentant sur le sol qui lui appartenait, sous la domination du même esprit et de la même langue, toutes les différences qu'offre aujourd'hui l'Europe,

9

« PreviousContinue »