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dent des représentans du peuple est de venir à son secours. L'arrêté du clergé les autorise à croire que cet ordre partage leur impatience à cet égard, et qu'il ne se refusera pas plus longtemps à une réunion, sans laquelle les malheurs publics ne peuvent qu'augmenter.>

Cependant toutes ces résistances irritaient et alarmaient la cour. L'espérance que l'on avait fondée sur l'intervention du Tiers-état pour forcer à capitulation les ordres privilégiés, s'évanouissait devant la crainte de troubles à venir, et de prétentions plus redoutables. Les promesses de M. Necker se trouvaient déçues, ses prévoyances faussées. Il devait être accusé de tous les maux qu'on craignait. Ses derniers calculs même pour ramener l'assemblée dans la ligne qui convenait au pouvoir, se trouvaient déçus. Le ministre avait perdu son crédit.

Déjà la cour se préparait à la possibilité d'une lutte, qui devenait de jour en jour plus probable: au moins elle voulait en imposer. Elle massait des forces aux environs de Paris. Successivement on avait vu arriver un nouveau régiment suisse, et trois régimens de cavalerie (19 mai); de nombreux bataillons devaient les suivre pour compléter une armée.

Personne n'ignorait ces faits, soit à l'assemblée, soit à Paris. Mais l'impulsion était plus forte que la prudence. L'opinion de la capitale était, d'ailleurs, arrivée à un état d'exaltation, dont le retentissement suffisait pour soutenir tous les courages qui auraient pu chanceler à Versailles. Les provinces étaient unanimes: plusieurs déjà, poussées par divers-motifs, avaient pris les armes.

La disette, qui allait croissant au fur et à mesure qu'on approchait de la nouvelle moisson, et que les travaux de fabriques surtout diminuaient, avait forcé au vagabondage une multitude de malheureux, soit des villes, soit des campagnes, qui, dans d'autres temps, auraient, trouvé à vivre. Ces hommes, en beaucoup de lieux, se réunissaient tout d'un coup en troupe, et la tête exaltée, autant par l'excès de la faim, que par le contraste de l'aisance des riches, essayaient de ravir par la force ce que le travail ne pouvait leur procurer. Plusieurs de ces bandes se for

mèrent jusque dans les environs de Paris: en Brie, en Lorraine, en Normandie, en Bretagne, en Languedoc, en Provence, elles parcouraient les campagnes, mettant à contribution les châteaux et les fermes. On les accusait même d'incendies et de meurtres. La terreur en multipliait et en augmentait le nombre au-delà de toute réalité. Partout le peuple était tenu éveillé par la crainte de ces brigands. Cependant, aussitôt qu'ils paraissaient, ou qu'on les annonçait quelque part, si on dirigeait des troupes contre eux, si des volontaires marchaient à leur rencontre, les bandes se dispersaient ou fuyaient, pour se reformer brusquement dans un autre lieu.

Tous ces désastres, si faciles à expliquer dans ce temps d'horrible disette, fournissaient de nouveaux prétextes aux partis pour s'accuser. Le Tiers-état croyait que ces bandes étaient organisées et soldées par les aristocrates. L'opposition, au contraire, y dénonçait un effet de la conjuration, qu'elle prétendait formée contre le trône par l'ambition du duc d'Orléans, par Mirabeau ou d'autres. Mais ces troubles occupaient et fatiguaient l'armée; on était forcé de la disperser par petits corps; et, comme elle ne suffisait pas pour mettre en sécurité tous les points du territoire, et qu'on craignait cependant également dans tous, il arriva que successivement dans plusieurs villes, et dans la plupart des villages, toute la bourgeoisie prit les armes, et s'organisa militairement.

Marseille donna le signal au commencement de mai. Des rassemblemens de misérables affamés, qu'on ne manqua pas de dire composés de sept à huit mille brigands étrangers, envoyés tout exprès d'Italie et d'Espagne, après avoir crié inutilement contre le haut prix du pain, menacèrent de piller le lazaret et les magasins. La bourgeoisie effrayée se réunit, du consentement de ses magistrats municipaux eux-mêmes, s'arma, et com→ mença à faire militairement la police de la ville. On baissa le prix des denrées; on arrêta les vagabonds; l'ordre parut renaître. On nomma des juges pour prononcer sur le sort des malheureux qui avaient été arrêtés dans les rassemblemens. Alors le parlement

d'Aix, traitant de rébellion tout ce qui s'était passé, évoqua l'affaire à son tribunal, et menaça la ville de la colère du gouvernement. En effet, le gouverneur de la province dirigeait des troupes sur Marseille. La chambre du commerce et le corps de ville adressèrent au roi une réclamation contre le parlement, où ils expliquaient et justifiaient la conduite des habitans. Cette altercation entre la ville et les autorités de la province ne fit autre chose que dessiner davantage l'insurrection. Toute la jeunesse se forma régulièrement en bataillons. On tira des canons des vaisseaux qui étaient dans le port; on les braqua aux portes de la ville, et l'on se prépara hautement enfin à se défendre contre toute attaque, de quelque lieu qu'elle vînt. La garnison du fort Saint-Nicolas ne prit aucune part à ces mouvemens; elle en resta tranquille spectatrice. Nous verrons plus tard les suites de cette affaire, qui ne fut terminée que l'année suivante. Il suffit de remarquer qu'il en résulta que la population fut organisée militairement, que depuis ce moment elle ne quittà pas les armes, et qu'en juin elle tenait occupés en Provence plusieurs régimens.

Successivement, les événemens du même genre se multipliaient dans les petites villes, et surtout dans les campagnes, mais sans prendre cette forme d'insurrection déclarée, que les prétentions des parlemens lui avaient donnée à Marseille. A Toulon, les troupes refusèrent de marcher dans une émeute causée encore par la cherté du pain. Il fallut recourir à la bourgeoisie. En Bretagne, une fédération se forma sous l'influence des mêmes craintes de pillage. Quarante mille jeunes gens s'inscrivirent. Ils adoptèrent un signe de ralliement. Chacun d'eux portait à la boutonnière un double ruban: l'un vert, sur lequel était empreint le signe 1/3; l'autre, herminé, sur lequel était empreinte une fleur de lis. A ces deux rubans, ils ajoutèrent une branche de lierre et une de laurier. Le but avoué de leur association fut de préserver les propriétés du pillage, et de soutenir les délibérations des Etats-Généraux. Plus tard, et successivement, Reims, Caen, Orleans, Lyon, Nancy, Rouen, se soulevèrent pour les

grains, etc. Il faudrait citer toutes les provinces, s'arrêter dans toutes, pour donner les détails de cette terreur qui, en quelques mois, mit sous les armes la France presque entière.

Des nouvelles de cet armement arrivaient chaque jour à Paris. Mais c'était dans d'autres voies que s'épanchaient l'exaltation et la colère qui en résultaient. Malgré les arrêts du roi, les écrits se multipliaient les assemblées irrégulières des districts ne suffisaient point à l'ardeur politique de la population. On avait établi un forum dans le Palais-Royal: dans le centre du jardin on avait formé une sorte de tente en planches. Là se réunissait une association de jeunes gens, qui délibérait devant tous sur les affaires de l'État. Chaque café était un club. Le jardin était habituellement rempli d'une foule immense, dont chaque point, en quelque sorte, devenait, à tout moment, un nouvel auditoire pour un nouvel orateur. C'était là qu'on distribuait les nouvelles, qu'on discutait le mérite des hommes, qu'on exagérait ses craintes comme ses ressources. Dans tous les groupes, il n'y avait qu'une seule opinion, une seule même osait se montrer; c'était celle qui accusait déjà la cour de conspiration, et les communes de lenteur.

SÉANCE DU MERCREDI 10 JUIN.
Communes.

le

M. le doyen a annoncé que la veille, à dix heures du soir, procès-verbal des conférences a été clos et signé par les huit commissaires du clergé, ceux des communes et par le secrétaire, avec mention de la déclaration de MM. de la noblesse qui n'ont point voulu signer; que ce procès-verbal est exact dans toutes ses parties.

Un membre demande l'impression du procès-verbal de toutes les conférences.

Elle est ordonnée par acclamation.

M. le doyen. J'observe que, par l'arrêté du vendredi précédent, il a été sursis à délibérer sur l'ouverture de conciliation présentée par les commissaires du roi jusqu'après la fin des conférences et la clôture du procès-verbal.

A la vérité, les conférences sont terminées, et le procès-verbal clos; sous ce rapport, il semble naturel d'ouvrir, dès ce moment, la discussion sur le plan conciliatoire; mais le procès-verbal de la conférence de la veille n'a point encore été mis sous les yeux de l'assemblée; il doit préalablement être rapporté; et, par cette raison, l'examen du projet des commissaires paraît devoir être rens voyé au lendemain.

M. le comte de Mirabeau. Les communes ne peuvent, sans s'exposer au plus grand danger, différer plus long-temps de prendre un parti décisif, et je suis informé qu'un membre de la députation de Paris a à proposer une motion de la plus grande importance.

D'après le désir que l'assemblée témoigne de l'entendre, il der mande la parole: elle lui est accordée.

M. l'abbé Sieyes. Depuis l'ouverture des États-Généraux, les communes ont tenu une conduite franche et impassible, elles ont eu tous les procédés que leur permettait leur caractère à l'égard du clergé et de la noblesse, tandis que ces deux ordres privilégiés ne les ont payées que d'hypocrisie et de subterfuge. L'assemblée ne peut rester plus long-temps dans l'inertie, sans trahir ses devoirs et les intérêts de ses commettans.

→ Il faut donc sortir enfin d'une trop longue inaction.

Le peut-on, sans vérification des pouvoirs? N'est-il pas évident, au contraire, qu'il est impossible de se former en assemblée active, sans reconnaître préalablement ceux qui doivent la composer?

Comment doit être faite la vérification des pouvoirs? L'assemblée a prouvé qu'ils ne peuvent être soumis à un autre jugement qu'à celui de la collection des représentans de la nation. Ce principe, dont la vérité est démontrée à chaque page du procèsverbal des conférences, ne peut être abandonné.

Dans cette position, la noblesse refuse l'ouverture de conciliation; par cet acte, elle dispense les communes de l'examiner'; car il suffit qu'une partie rejette un moyen conciliatoire, pour qu'il doive être regardé comme annulé. L'assemblée n'a donc

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