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car l'inférieur ne prêtait le serment que dans la supposition que celui envers lequel il se liait, était lié lui-même à un supérieur, et cela qu'il s'agit d'un centenier, d'un comte, d'un duc ou d'un roi. Or, dans l'armée, quel était le supérieur? c'était le Roi. Nul subordonné ne pouvait donc s'élever contre lui. Le roi n'avait qu'un supérieur, c'était l'Église. Tel était le terme de cette hiérarchie toute morale. Le roi, donc, ne pouvait quitter la couronne que par sa volonté, ou par le jugement de l'assemblée des Évêques.

La société civile était si complétement séparée de la société militaire, qu'elle ne lui prêtait point de serment. Elle ne lui était unie que par la communauté de croyance et par le devoir du tribut. D'ailleurs, l'armée imitait les habitans des villes dans tout ce qui était religieux, dans tout ce qui était sacrement, dans le baptême, le mariage, etc.; ce qu'elle possédait hors des bénéfices militaires était soumis à la loi civile de l'héritage et de l'impôt, etc. Les cités ne commencèrent à être ramenées sous la domination royale que sous la deuxième race. Sous la première, on trouve, au contraire, de très-nombreuses preuves de leur indépendance. Ainsi, Paris a été plusieurs fois le théâtre d'événemens qui montrent que le commandement militaire de la cité n'était pas en la possession du Roi, mais dans celle de ses habitans; on vit des cités se faire la guerre, etc.

La foi, qui servait de sanction et de lien à tous les devoirs, était d'ailleurs universelle et toute puissante, plus développée peutêtre chez les grands que chez les petits. Et ce n'était point seulement une grossière superstition; elle était éclairée et féconde. Nous devons juger des motifs qui portèrent les Rois de nos premières races, et les seigneurs militaires et civils, à créer tant de Couvens et d'Églises, par ceux qui leur dictèrent plusieurs actes où l'humanité était seule intéressée. Ainsi, parce que plusieurs fois ils sacrifièrent à Dieu leurs revenus, en supprimant les impôts qui pesaient sur le pauvre, ou en affranchissant des esclaves, nous devons dire qu'ils fondèrent des Couvens pour ouvrir des asiles à la science, et des Églises pour constituer des centres

d'enseignement et de population; au moins nous ne devons pas croire que ces pensées leur fussent absolument étrangères. Enfin, grâce à la croyance religieuse, les Évêques furent appelés jusque dans les plaids militaires; ils purent intervenir dans la politique, tantôt pour mettre fin à des discussions de famille, et tantôt pour déterminer des invasions sur le territoire étranger.

C'est par ces causes que la France resta pendant quatre siècles un centre militaire qui fit rayonner la conquête sur toute sa circonférence, et qui porta sur tous ses rayons le système qu'elle avait adopté elle-même; et ce système était complétement romain, c'est-à-dire tel que l'avait fait l'empereur Constantin, ainsi que nous l'avons vu. Aussi arriva-t-il que la France engendra en Allemagne un Empire qui prétendit imiter les usages de la cour de Ravenne. En effet, notre nation n'étendit pas seulement autour d'elle une organisation militaire et civile d'origine romaine; elle répandit aussi un esprit qui était resté aussi romain que l'avait permis le Catholicisme. Elle propagea l'usage de la langue et de la littérature latine. Dans les arts, nous fùmes pendant quatre siècles imitateurs des artistes de Rome chrétienne, et l'Europe les imita avec nous. Toutes nos églises furent bâties dans ce qu'on appelle aujourd'hui le style Bizantin, c'est-à-dire dans le premier style chrétien. Le style catholique, proprement dit, ne fut créé en France que dans le onzième siècle; enfin nous reçûmes des Romains, nos arts, nos sciences, nos armes, nos lois, et nous donnâmes aux autres ce que nous avions reçu.

Telle est l'idée générale de la société française du cinquième au dixième siècle; tel est le germe des révolutions de toute espèce qui se préparèrent et s'achevèrent plus tard; et c'est en liant ainsi cet avenir, du dixième au dix-huitième siècle, aux années qui les ont précédées, que l'on aperçoit clairement comment c'est en France que se trouve le lien qui unit la civilisation moderne à la civilisation antique. Pour achever l'objet spécial de ce chapitre, il nous reste à donner les différences principales qui signalèrent le règne de la première et de la seconde race.

Au point de vue catholique, l'avènement de la première race

répondit à la nécessité de combattre l'Àrianisme, et elle s'éteignit presque en même temps que lui. La seconde race vint pour combattre le Mahométisme, et pour mettre fin au paganisme du Nord. Si elle ne parvint pas à opérer leur destruction, au moins est-il vrai de dire qu'elle brisa leurs forces et qu'elle leur créa des ennemis qui furent plus tard suffisans pour les anéantir.

Au point de vue de la vie intérieure, la première race différa de la seconde en ce que, sous son règne, l'organisation sociale, bien qu'étendue sur une plus grande surface, 'resta la même que nous l'avons vue au cinquième siècle. Sous la seconde, les plaids militaires furent convertis en conciles généraux, où les Evêques venaient représenter leurs diocèses, et les généraux leurs armées. Ainsi le droit de légiférer au civil fut réuni au droit de réglementer pour la milice. L'Eglise acquit, non pas une prépondérance plus considérable, mais une influence plus grande. Ainsi presque tous ces missi dominici, ces envoyés qui allaient dans les provinces pour réformer et l'administration et la justice, furent des membres du clergé les listes que nous possédons en font foi. Il dut résulter de là que l'esprit chrétien pénétra plus profondément, non pas les consciences, mais les lois, les habitudes, et fit naître les devoirs et le sentiment de l'égalité; que les différences qui séparaient le gouvernement des villes de celui des camps furent diminuées; etc.

Les révolutions intérieures restèrent cependant encore principalement militaires. En effet, sous la dynastie de Pepin, comme sous celle de Clovis, l'œuvre française fut surtout l'extension et la défense des doctrines de l'Eglise romaine.

Mais, dira-t-on, l'activité militaire des Français pendant ces cinq siècles fut-elle utile et civilisatrice? Pour résoudre la question, il suffit d'examiner les doctrines contre lesquelles elle s'exerça.

Nous avons déjà fait connaître l'Arianisme. Il nous reste à dire quelques mots des deux autres ennemis contre lesquels nous verrons les Français lutter avec un acharnement qui leur valut enfin la victoire. Nous pouvons reconnaitre aujourd'hui si ce fut un

heur pour l'humanité, nous pouvons voir quels fruits a portés

le Mahométisme, là même où son developpement a été complétement libre, en Perse, en Arabie, à Maroc et à Fez. Quant aux Barbares du Nord, il suffit de posséder quelques généralités sur leur doctrine sociale, pour que l'on reconnaisse que leur destruction fut un bienfait. Toutes ces religions du Nord, quel que fùt leur nom, admettaient qu'il existait deux races d'hommes, l'une venue du bien, l'autre du mal; la première d'origine divine, ayant une ame immortelle; la seconde n'ayant, ainsi que les animaux, qu'une ame mortelle comme leurs corps. Les prêtres et les guerriers étaient de la première, c'étaient des Dieux mortels; les esclaves, et presque toujours les ennemis, étaient de la seconde. Aussi, tout ce qui venait de la naissance était juste: le pouvoir et le bien pour les uns; la misère et le mal pour les autres. Or, comme il y a toujours lutte entre le bien et le mal, de même la guerre était continuelle. C'était aux guerriers qu'appartenait particulièrement cette fonction du combat. Pour avoir droit aux récompenses éternelles, ils devaient périr les armes à la main; celui qui mourait en lâche, autrement que par le glaive, était puni dans l'autre vie. La sévérité du culte répondait à la férocité des doctrines, car c'était par des sacrifices humains qu'on attirait la protection des Dieux. Plus le sang de la victime était précieux, plus le sacrifice avait de puissance. D'ailleurs, rien qui ressemblât à ce que dans la société romaine on appelait arts, sciences, industrie. Leur art, c'était ce culte barbare, et tous ces mystères sombres et redoutables dont on pourra lire le détail dans l'histoire des Celtes; leur science, c'était la magie; leur industrie, la guerre. C'est comme un reste, comme une émanation de ces doctrines, que nous sont venues toutes ces superstitions contre lesquelles l'Église n'a cessé de lutter dans les premiers siècles, c'est-à-dire tant qu'elle a été éclairée: ces croyances aux sorciers, aux présages, aux magiciens, etc.

Le Mahométisme, né en 622, époque où commencé l'Hégire, était moins redoutable pour la civilisation; seulement, il eût ouvert au progrès une voie plus lente et plus difficile que celle qu'ont tracée les Français. A vrai dire, le Coran est l'Évangile de l'Orient,

Évangile bien affaibli, tout imbu des passions charnelles et ambitieuses de son auteur; cependant, en beaucoup de choses, c'est une imitation du Saint Livre. Le Mahométisme en effet est fils de l'Arianisme. Parce que Arius avait enseigné que Jésus n'était qu'un prophète, Mahomet vint dire qu'il était, lui, le dernier prophète, et il fut cru des populations où l'Arianisme avait séjourné, et où il l'avait en quelque sorte annoncé.

Le vice capital qui rendit le Mahométisme anti-progressif, fut d'avoir confondu dans les mêmes mains les deux pouvoirs, le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel, et par suite d'avoir établi en principe que la justice et la raison étaient là où résidait la force. Chez les Chrétiens, au contraire, on enseignait que la justice et la raison résidaient là où était le dévouement. Le Mahométisme professait une doctrine sur la Providence, telle, qu'il en résultait que les choses sociales étaient gouvernées par un fatalisme absolu. Chez les Chrétiens, au contraire, on disait qu'on acquérait, par la foi, la grâce, c'est-à-dire, la liberté de choisir entre le bien et le mal. Aussi les destinées des deux sociétés furent bien différentes. Les Musulmans ne purent avancer dans la carrière de la civilisation que par la volonté du pouvoir; les Chrétiens, au contraire, n'ont cessé de marcher, même malgré le pouvoir.

Or, de ces trois doctrines sociales que la nationalité française rencontra, elle en anéantit deux, et elle battit et repoussa l'autre. L'Arianisme et le Paganisme furent conduits à leur destruction; le Mahométisme fut chassé et vaincu.

CHAPITRE DEUXIÈME.

HISTOIRE DES FRANÇAIS SOUS LA PREMIÈRE RACE.

La ligne politique des rois français était écrite dans cette prière qui termine le prologue de la loi salique! « Vive Christ! il aime

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