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au nombre de douze cents exemplaires, pour être distribués à tous les députés : mais il n'est rien statué à cet égard.

On met à la discussion l'art. XIV du projet de déclaration; il est conçu en ces termes:

Nul citoyen ne peut être accusé ni troublé dans l'usage de sa propriété, ni gêné dans celui de sa liberté, qu'en vertu de la loi, avec les formes qu'elle a prescrites, et dans les cas qu'elle a pré

vus. >

M. Target présente le projet suivant :

Art. Ier. Aucun citoyen ne peut être accusé, arrêté, détenu, puni, qu'au nom de la loi, et qu'avec les formes prescrites, et suivant les dispositions précises de la loi.

II. Tout ordre arbitraire contre la liberté doit être puni. Ceux qui l'ont sollicité, expédié, exécuté et fait exécuter, doivent être punis.

M. Duport parle ensuite. Il étend ses vues sur une partie trèsintéressante de notre droit criminel, et fait sentir que des lois douces et humaines contre les coupables, font la gloire des empires et l'honneur des nations. Il expose qu'il existe en France un usage barbare de punir les coupables, lors même qu'ils ne le sont pas encore déclarés ; qu'il a vu deux fois les cachots de la Bastille; qu'il a vu ceux de la prison du Châtelet, et qu'ils sont mille fois plus horribles; que cependant c'est une vérité que les précautions que l'on prend pour s'assurer des coupables ne font pas partie des peines. C'est d'après ces idées qu'il propose le projet suivant; deux principes en sont la base: l'égalité des peines pour les mêmes délits, et la douceur dans les moyens de s'assurer des coupables.

Art. Ier. La loi ne peut établir de peines que celles qui sont strictement et évidemment nécessaires; et le coupable ne peut être puni qu'en vertu d'une loi antérieurement établie et légalement appliquée.

II. Tout homme étant innocent jusqu'à ce qu'il soit condamné, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qni ne serait 21

T. H.

pas nécessaire pour s'assurer de sa personne, doit être sévère

ment réprimée.

M. de Lally-Tolendal. J'appuie fortement les deux articles proposés par M. Duport. La société a besoin de se faire pardonner le droit terrible de donner la mort à un être vivant. S'il était un pays où le despotisme judiciaire exerçât ses ravages ; s'il était un pays où de malheureuses rivalités d'État excitassent les passions, où la mort d'un homme pût être la jouissance de la vanité d'un autre; s'il était un pays où l'on eût rassasié d'opprobres un malheureux accusé par le despotisme d'un seul homme, ne serait-il pas nécessaire d'y rappeler les juges à l'humanité et à la justice? Sachons supporter la vérité; ce pays est celui que nous habitons, mais aussi celui que nous régénérons.

-Une multitude d'amendemens sont proposés. Chaque membre presque qui monte à la tribune apporte le sien, sans combattre celui qui l'a précédé. Enfin ceux de Target et Duport ainsi rédigés l'emportent.

Art. VII. Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenų que dans les cas déterminés par la loi, et selon les formes qu'elle a prescrites; ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter les ordres arbitraires, doivent être punis; mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la loi doit obéir à l'instant : il se rend coupable par la résistance.

VIII. La loi ne doit admettre que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loj établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée.

IX. Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi.

-Là discussion se porte ensuite sur les articles XVI, XVII et XVIII, relatifs à la liberté des opinions et au respect du culte public.

M. l'évêque de Clermont. La religion est la base des empires;

c'est la raison éternelle qui veille à l'ordre des choses. L'on éleverait plutôt une ville dans les airs, comme l'a dit Plutarque, que de fonder une république qui n'aurait pas pour principe le culte des dieux. Je demande donc que les principes de la constitution française reposent sur la religion comme sur une base éternelle.

M. de la Borde. La tolérance est le sentiment qui doit nous animer tous en ce moment; s'il pouvait se faire que l'on voulût commander aux opinions religieuses, ce serait porter dans le cœur de tous les citoyens le despotisme le plus cruel.

Je ne rappellerai pas ici le sang que l'intolérance a fait couler, les ravages qu'elle a faits parmi les nations. L'Europe présente encore un spectacle bien étrange dans la diversité de ses religions, et dans le despotisme que quelques-uns de ses gouvernemens em ploient pour les maintenir; mais à quoi cette rigidité a-t-elle seryi?. A rendre nécessaire la persécution, et la persécution à étendre, à encourager les sectes. J'ai été témoin dans une ville d'un exemple que je n'oublierai jamais : l'on persécutait des quakers, un qui était oublié, s'écria avec regret, pourquoi ne me persécute-t-on pas aussi?

La neutralité est sans doute le parti le plus sage; les chefs n'ont d'autre occupation que de maintenir la paix, et la seule manière de ne pas la troubler, c'est de respecter les cultes. J'avoue que je suis affligé de voir des chrétiens invoquer l'autorité civile pour une religion qui ne doit se maintenir que par la pureté de sa doctrine. Comment, en effet, veut-on la préserver des révolutions avec le secours de la force, cette doctrine qui nous commande d'aimer Dieu de tout notre cœur, d'aimer notre prochain comme nous-mêmes?

Certainement les puissances de la terre n'ont rien de commun avec la religion'; le pouvoir légitime peut empêcher que l'on ne porte atteinte aux cultes, mais il ne peut déterminer la liberté des consciences. La liberté de la religion est un bien sacré qui appartient à tout citoyen. On ne peut employer l'autorité pour l'enlever, puisque Jésus-Christ et les apôtres ont recommandé la douceur. Respectons les cultes étrangers, pour que l'on res

pecte le nôtre. Nous ne pouvons pas professer d'autres sentimens; notre culte ne doit porter aucun empêchement à l'exercice des religions.

M. le comte de Mirabeau. Je ne viens pas prêcher la tolérance. La liberté la plus illimitée de religion est à mes yeux un droit si sacré, que le mot tolérance, qui essaie de l'exprimer, me paraît en quelque sorte tyrannique lui-même, puisque l'existence de l'autorité, qui a le pouvoir de tolérer, attente à la liberté de penser, par cela même qu'elle tolère, et qu'ainsi elle pourrait ne pas tolérer.

Mais je ne sais pourquoi l'on traite le fond d'une question dont le jour n'est point arrivé.

Nous faisons une déclaration des droits : il est donc absolument nécessaire que la chose qu'on propose soit un droit, autrement on y ferait entrer tous les principes qu'on voudrait, et alors ce serait un recueil de principes.

Il faut donc examiner si les articles proposés sont un droit.

Certainement, dans leur exposition, ils n'en expriment pas; il faut donc les poser autrement. Mais il faut les insérer en forme de déclaration des droits, et alors il faut dire : le droit des hommes est de respecter la religion et de la maintenir.

Mais il est évident que c'est un devoir et non pas un droit. Les hommes n'apportent pas le culte en société, il ne naît qu'en commun. C'est donc une institution purement sociale et conventionnelle.

C'est donc un devoir. Mais ce devoir fait naître un droit, savoir que nul ne peut être troublé dans sa religion.

:

En effet, il y a toujours eu diverses religions. Pourquoi? Parce qu'il y a toujours eu diverses opinions religieuses.

Mais la diversité des opinions résulte nécessairement de la diversité des esprits, et l'on ne peut empêcher cette diversité : donc cette diversité ne peut être attaquée.

Mais alors le libre exercice d'un culte quelconque est un droit de chacun; donc on doit respecter son droit; donc on doit respecter son culte.

Voilà le seul article qu'il soit nécessaire d'insérer dans la déclaration des droits sur cet objet.

Et il doit y être inséré, car les facultés ne sont pas des droits. Mais l'homme a le droit de les exercer; et l'on peut et l'on doit distinguer l'un de l'autre.

Mais si le droit est le résultat d'une convention, la convention consiste à exercer librement ses facultés; donc on peut et on doit rappeler dans une déclaration de droit l'exercice des facultés.

Sans entrer en aucune manière dans le fond de la question, je supplie ceux qui anticipent par leurs craintes sur les désordres qui ravageront le royaume, si on y introduit la liberté des cultes, de penser que la tolérance, pour me servir du mot consacré, n'a pas produit chez nos voisins des fruits empoisonnés, et que les protestans, inévitablement damnés dans l'autre monde, comme chacun sait, se sont très-passablement arrangés dans celui-ci, sans doute par une compensation due à la bonté de l'Étre suprême.

Nous qui n'avons le droit de nous mêler que des choses de ce monde, nous pouvons donc permettre la liberté des cultes, et dormir en paix.

M. le curé de.... Je crois devoir réfuter M. de Mirabeau.

La religion est un devoir pour l'homme; mais c'est un droit qu'il a dé l'exercer paisiblement. Je vous citerais l'histoire sacrée ; mais on la récuserait : il faut donc délibérer, il faut en faire mention dans la déclaration des droits. L'homme entre en société avec tous ses droits. Et, sans contredit, il avait celui-ci. L'on dira qu'il n'avait aucun culte, puisqu'il était seul; mais il était au moins avec une compagne, et d'ailleurs je nie qu'il fût seul. En Angleterre, l'on ne reconnaît de culte public que la religion protestante. Je ne demande pas la proscription de toutes les religions; moimême j'ai prêché la tolérance plus d'une fois. Je demande qu'on divise les articles XVI et XVIII et qu'on délibère.

M. Camus appuie les raisons de M. le cure; mais le trouble empêche la continuation de la délibération.

L'assemblée, par deux arrêtés consécutifs, la remet à demain

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