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nos relations avec les peuples alliés, à nos liaisons avec les sujets armés contre nous, l'appui d'une confiance qui n'existe plus. C'est là ce que d'Archenoltz, d'Hennings, etc., écrivent; ce que Charles Fox, Sheridan, Grey, disent de la liberté française. Tout patriote étranger est dégoûté, indigné. Il paraît que le directoire écarte des élections les jacobins; je ne crois pas, malgré les vues orléanistes que l'on prête à l'un d'eux, qu'ils veuillent des royalistes ; il se sont mal trouvés avant fructidor du système des inconnus. Pourquoi ne pas choisir ces trois cent quinze députés parmi les patriotes éprouvés qui ont donné des gages à la révolution, et que les contre-révolutionnaires détestent plus que les terroristes? pourquoi ne pas s'arranger une bonne fois pour être républicains, pour ramener à la république tout ce qui aime la liberté? pourquoi ne pas compter sur des engagements qu'on aurait intérêt à tenir et auxquels on ne pourrait pas manquer sans perdre ce que chacun, dans la bagarre, a jusqu'ici conservé d'honnêteté et de réputation? Je voudrais que, dans une purification de système que je serais si heureux de voir et d'aider, tout le monde trouvât comme moi la certitude de satisfaire et de consolider son ambition; la mienne serait de jouir de la liberté française, et du redressement du mouvement révolutionnaire de l'Europe, à treize lieues de Paris, dans la ferme de Lagrange, qui va être le partage de ma femme; mais on aimera mieux, les uns, croire qu'il n'y a rien à faire et qu'il serait trop dangereux d'attaquer les maîtres, ou trop impopulaire de s'approcher d'eux; les autres, se persuader qu'ils ont un système en fu

sillant au hasard à droite et à gauche, en comprimant les partis tour à tour, et en dérépublicanisant de fait, à mesure qu'on républicanise de nom, comme s'il était impossible de faire aimer l'égalité à des paysans et de s'attacher les peuples qu'on affranchit! Alors votre ami, désespérant le plus tard qu'il pourra, s'embarquera pour l'Amérique et prononcera avec douleur sa propre et finale expatriation.

A MADAME DE TESSÉ.

Vianen, 17 mars 1799.

Je donnerais beaucoup, ma chère cousine, pour avoir, dans les circonstances présentes, une de ces conversations à votre barre où, parmi quelques sévérités sur les défauts de mon caractère et ma disposition à l'espoir, je recevais les expressions si touchantes et si chères de votre sentiment.

Voilà la guerre déclarée officiellement par le corps législatif à l'empereur et au grand-duc de Toscane (1). Celui-ci avait pris, dit-on, la précaution d'emballer ses effets. Florence et le port de Livourne doivent

à

(1) La guerre fut officiellement déclarée le 15 mars 1799 (voy. la p. 3 de ce vol.); mais, dès les premiers jours de mars, elle avait commencé, Le général Jourdan commandait l'armée du Danube opposée à l'archiduc Charles; Masséna, l'armée d'Helvétie; et, tandis que Macdonald succédait à Championnet, dans le royaume de Naples, Schérer était nommé commandant en chef de l'armée d'Italie, qui ne tarda pas éprouver de grands revers, surtout lorsqu'aux soixante mille Autrichiens qu'elle eut d'abord à combattre se réunirent, sous le maréchal Suwarow, trente mille Russes. Antérieurement à ces premières hostilités, pendant que Championnet se trouvait encore en présence de l'armée de Naples, le grand-duc de Toscane avait laissé pénétrer à Livourne un corps napolitain, et faisait des préparatifs menaçants sur les derrières de l'armée

être sous peu de jours en état de république. Nos dernières nouvelles de Jourdan portent qu'il s'avançait avec quarante mille combattants et une artillerie fort leste. D'autres troupes sont en marche de tous côtés. On croit dans ce pays-ci que le roi de Prusse persistera dans la neutralité. Le directoire continue à destituer les commissaires et les administrateurs qu'il soupçonne de jacobinisme, de celui du moins qui s'oppose au gouvernement. Jamais nos armées n'ont été plus redoutables, j'oserai dire plus invincibles. En endossant l'uniforme, ils deviennent aussi braves que des vétérans. Cette conscription (1) va jeter dans les armées une foule de jeunes gens plus aisés et plus instruits qu'il n'y en avait eu depuis les dernières réquisitions. Nous n'avons point de détails sur les troubles de Naples; il y en a eu même dans l'intérieur de l'armée, puisque c'est à la suite d'une discussion de ce genre que Championnet a été remplacé par Macdonald (2).

Paris est parfaitement tranquille. La gaîté française se permet toujours quelques plaisanteries, et par

française. Le général Gauthier occupa bientôt la Toscane; il fallut l'évacuer à la fin de mai, lorsque Macdonald abandonna Naples et les États Romains pour faire sa jonction avec l'armée de la Haute-Italie

contre les Austro-Russes.

(1) La loi sur la conscription fut rendue le 5 septembre 1798, sur un rapport du général Jourdan, alors député au conseil des Cinq-Cents. Elle déclarait chaque Français soldat de droit, de vingt à vingt-cinq ans ; elle divisait en cinq classes ceux de cet âge qui étaient appelés, en commençant par les plus jeunes, au fur et à mesure des besoins. La durée du service, fixée à cinq ans au plus, en temps de paix, varíait selon que le conscrit avait été pris de vingt-cinq à vingt ans. En temps de guerre, la durée du service était illimitée.

(2) M. Faypoult avait été envoyé à Naples pour y diriger l'adminis ́tration financière, qui était entre les mains du général Championnet.

exemple, d'après l'ordre d'écrire dans les lieux publics : « Ici on s'honore du titre de citoyen, » le maître d'une tabagie a ajouté ces mots : « et on fume. » Cela divertit les rieurs, mais la soumission est complète. Les préparatifs de l'Angleterre font craindre ses tentatives sur les Pays-Bas ; il est probable qu'elle y serà battue. Un grenadier à qui l'on parlait l'autre jour de l'immobilité des Russes, répondit : «Tant mieux, nous n'aurons plus tant à courir. » Ce propos est réellement le fond de l'esprit de nos troupes. Mille tendresses à tous les chers habitants de Wittmold.

A M***

Vianen, 4 avril 1799.

Vous me parlez, mon cher ami, des reproches populaciers qu'on me fait encore... La peine qu'on se donnerait pour prouver que je n'ai pas volé la caisse de mon armée en 92 (1) ajouterait-elle un grain de plus à l'estime des Français pour moi? Si j'étais au moment de rendre quelque service à mon pays, il y aurait de l'intérêt pour mes concitoyens à discuter ce que j'ai fait, et chaque détail vaudrait un instant de leur attention; à présent peu leur importe ce que j'ai Celui-ci enjoignit à M. Faypoult et à ses collègues de quitter Naples; mais le directoire destitua le général Championnet et le traduisit devant une commission militaire. Ce fut à la même époque que le général Joubert, mécontent du directoire, se démit de son commandement, et que Bernadotte, ayant refusé de le remplacer par les mêmes motifs, le commandement de l'armée d'Italie fut confié à Schérer.

(1) Voyez, p. 411 du 3o vol. de cet ouvrage, la réponse du général Lafayette aux agents de la coalition qui donnèrent l'ordre de s'emparer de cette caisse.

été, et ce que je suis; le sentiment de confiance et de bienveillance est au fond des cœurs, il n'en sortira pas avant que l'apathie se dégourdisse un peu. Au premier réveil on prendra le livre du bien et du mal; on y verra ma place. En attendant, on a peur de montrer ce qu'on sent, et d'avoir l'air de prendre un parti qui puisse un jour devenir l'engagement de quelque chose d'énergique; mais je ne crois pas que des erreurs grossières soient conservées de bonne foi. Les reproches qui embarrassent mes amis ont quelque chose de moins crapuleux, ils ne sont pourtant pas forts en raisonnements. Cette réputation, cette influence qu'on veut bien m'accorder, ont contenu pendant trois ans la révolution dans des principes qu'aucune révolution en Europe n'avait encore eus; et en arrêtant le torrent de crimes et de malheurs dont notre proscription a été le signal, nous avions donné le temps d'établir toutes les institutions sociales et toutes les garanties de la liberté et de l'ordre légal.

Vous avez assez connu les affaires de Favras, de Monsieur, de la procédure du 6 octobre, pour démontrer aux critiques qu'ils ne savent pas un mot des faits. Il n'y eut point de concert de Lafayette avec Mirabeau pour sauver Monsieur. Je fus fâché que le châtelet fit avec étalage deux dénonciations non prouvées, et je prévis qu'il allait rendre un service à M. d'Orléans; mais vous savez bien que je n'avais à cette époque aucune influence sur les partis qui furent pris (1).

(1) Voyez sur l'affaire de Favras, les p. 390, 391 et suiv, du 2o vol.

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