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parti que je pris de mettre fin moi-même à ma proscription. Il me parut impossible, si on voulait la pure doctrine de 89, de ne pas m'accueillir, et lors même qu'on ne la voudrait pas, de renvoyer un vieux patriote dont les jacobins et les rois avaient marqué la place; je pensai qu'une fois rentré et ne sortant pas, l'affaire de mes compagnons deviendrait facile. J'arrivai donc à Paris; j'écrivis à Bonaparte et à Sieyes et les informai de mon intention d'aller à la campagne; j'eus une conversation avec quelques confidents du dictateur, où j'eus lieu de voir que ma rentrée avait déplu, mais que mes camarades seraient rayés. Je vins tranquillement attendre ici cette radiation des proscrits de 1792, qui a commencé par les prisonniers d'Olmütz et tous les officiers partis avec moi le 19 août. Mes réclamations pour eux sont les seuls rapports que j'ai eus avec le gouvernement. Plusieurs de mes amis intimes et un grand nombre de citoyens associés à ma vie politique, occupent les places du nouveau régime, et je ne puis mieux choisir deux exemples qu'en vous disant que Maubourg accepte le poste d'adjoint au maire de Passy, et que mon fils vient d'obtenir une sous-lieutenance dans le 11 régiment de hussards; mais quoique je jouisse plus que personne de la respiration qui vient d'être rendue à la France, de la réunion des exilés, de l'emploi des meilleurs citoyens, des réparations de tant d'injustices, du ton plus national et plus moral, qui a succédé au détestable esprit conventionnel et à la tyrannie directoriale et jacobine; quoique je fasse des voeux sincères nonseulement pour nos succès extérieurs, ce qui est

bien simple, puisque je crois que les étrangers ne nous veulent et ne nous feraient que du mal, mais pour la conservation personnelle de Bonaparte, je ne trouve pas dans le système actuel assez de liberté pour moi, et je me confirme tous les jours dans la détermination de ne point participer aux affaires publiques.

L'habitation où j'ai réuni ma famille est un héritage de ma malheureuse belle-mère, à quatorze lieues de Paris. J'y suis entouré de l'attachement de mes amis; je ne me mêle pas plus des oppositions que de l'administration, et je profite complètement des droits que j'ai acquis à un honorable repos.

La négociation américaine va bien; mon illustre ami, si le ciel nous l'eût conservé, aurait été content (1).

Il y a dans le nouveau gouvernement, ou plutôt dans la tête de Bonaparte, un caractère de grandeur qui n'a rien de commun avec la politique directoriale. Vous regretterez peut-être que la révolution de brumaire n'ait pas été faite par un pur amant de la liberté ; on peut douter qu'il y eût été aussi propre que notre premier consul. Celui-ci, après avoir détruit le jacobinisme, battu la coalition et pacifié l'Europe, trouvera, j'espère, son intérêt et sa gloire à réaliser les principes dont un patriote plus rigoriste aurait craint de s'écarter. En attendant la France sera brillante au dehors, tranquille au dedans, préservée de la fureur des deux partis extrêmes, et votre ami se

(1) Nous ne possédons point les lettres écrites par le général Lafayette à la famille du général Washington, et nous n'avons retrouvé que les touchantes réponses de celle-ci en envoyant des pistolets légués le testament du général Washington à son ami. (Voy. la note a de la p. 36 de ce vol.)

par

trouve dans la retraite la plus convenable à tous égards qu'il pût aujourd'hui choisir.

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Voilà, mon cher Abema, les confidences que j'avais à vous faire sur la situation politique et sur la

mienne.

Je vous embrasse, etc. »

A M. MASCLET.

Chavaniac, 18 août 1800.

Toute ma famille est en ce moment rassemblée dans ce lieu, où ma tante avait, pendant plusieurs années, désespéré de jamais nous voir. Il m'a été bien doux également de lui présenter ma belle-fille chérie..

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Ce qui hâtera mon retour, c'est la nouvelle du voyage projeté qui doit bientôt réunir à Paris le général FitzPatrick et Charles Fox. Lord Holland, que j'avais eu le plaisir de voir avant mon arrivée ici, m'a parlé de l'aimable accueil que vous lui avez fait à Boulogne. Maintenant je vois une nouvelle organisation sociale dont il est inutile dans cette lettre de discuter le mérite eu égard à la liberté publique, d'autant plus que mes principes vous sont connus, et puisque les psaumes sont devenus à la mode, j'ai le droit de m'appliquer le sicut erat in principio et nunc et semper.

Je suis de tout mon cœur et pour toujours, mon cher Masclet, etc.

A M. MASCLET.

Lagrange, 22 novembre 1800.

J'étais bien sûr, mon cher ami, que votre cœur participerait à la fête de réconciliation, et que vous seriez bien aise d'apprendre que j'y avais assisté (1). Vous savez que M. et madame de Tessé ont été rayés à cette époque; c'est une obligation que j'ai à Bonaparte et qui m'a fait un vif plaisir.

Je n'irai point en Amérique, mon cher Masclet, du moins avec un caractère diplomatique; je suis loin de renoncer à des visites particulières et patriotiques aux États-Unis et à mes concitoyens du Nouveau-Monde; mais à présent je suis beaucoup plus occupé de fermes que d'ambassades; il me semble que si j'arrivais là autrement habillé qu'en uniforme américain je me trouverais aussi embarrassé de ma contenance qu'un sauvage en culotte. Au reste le premier consul ne m'en a point parlé. Je vous félicite d'avoir vu lord Holland; il lui aurait suffi pour m'attacher à lui de la manière dont en 90 il prononçait le nom of his uncle Charles (2); il a mérité depuis que le sien fût prononcé par tous les amis de la liberté avec un vif intérêt, et par moi avec une profonde reconnaissance..... Adieu, mon cher ami, etc.

(1) Le traité d'amitié et de commerce entre la France et les ÉtatsUnis, signé le 30 septembre 1800. (Voy. la p. 166 de ce vol.)

(2) M. Charles Fox était le troisieme fils de Henri Fox, premier lord Holland et secrétaire d'état au département de la guerre, sous le règne de George II.

A M. CHARLES FOX.

Paris, 26 décembre 1800.

Un voyage dans les montagnes d'Auvergne m'avait privé, monsieur, des moyens de vous écrire; j'ai le plaisir en arrivant pour quelques jours ici d'y trouver une occasion de vous exprimer ma reconnaissance et mon profond attachement. Permettezmoi d'espérer quelquefois de vos nouvelles; l'honneur de votre correspondance sera une des plus douces jouissances de ma retraite, comme votre approbation a été une des plus précieuses récompenses de ma vie politique.

Je suis aussi touché que flatté de votre sentiment sur ma situation parce qu'il témoigne à la fois l'attention que vous y avez portée, et cette sympathie de liberté et de patriotisme qui unira toujours, j'ose le dire, certaines âmes. On a tant profané chez nous les principes et les noms les plus sacrés qu'il n'est possible aujourd'hui que d'en revendiquer le culte, et de s'abstenir de ce qui les blesse; encore doit-on se prévaloir d'un privilège de vétéran, car il est utile de bons citoyens exercent une partie des emplois réparateurs sous le gouvernement d'un homme qui, par tout ce qu'il réunit et même par ce qui lui manque, s'est trouvé singulièrement approprié aux circon

que

stances.

Le régime qu'il acheva de dissoudre était tyrannique, et n'était plus représentatif; sa dictature entourée d'institutions puériles et bizarres, a néanmoins

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