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plus désastreux, c'est l'égoïste et servile apathie. Dans toutes les suppositions, je puis être à portée de remplir la condition dont nous parlions dans un certain billet d'Olmütz, celle de rendre à la liberté et à ma patrie des services qui soient particuliers à ma situation. «Il faut, mandez-vous, que vous agis«< siez seul par vous-même, et alors vos amis vous « entoureront... » Avant tout, ne faut-il pas qu'ils fassent naître les occasions? S'il en paraît une seule, grande ou petite, qui puisse conduire à la restauration de la liberté, soyez sûr que je ne dormirai pas.

Mais si tout dort ou rampe, si d'ici au premier juillet il n'y a pas d'espoir prochain, je ne puis me dispenser d'aller en Amérique. C'est un devoir envers les États-Unis, c'en est un envers ma famille. J'ai voulu, mon cher ami, vous donner, pour vous seul, mon état de situation.

Salut et amitié.

AU GÉNÉRAL WASHINGTON.

MON CHER GÉNÉRAL,

Vianen, 19 avril 1799.

M. Murray (1), que j'ai eu le plaisir de voir, et dont je suis particulièrement heureux d'apprendre la mission de plénipotentiaire en France, vous donne sans doute en détail les nouvelles de la politique européenne. La coalition profite des avantages que lui donne malheureusement la conduite du gouvernement français. Il est sûr qu'au lieu d'avoir acquis à la cause populaire la majorité du peuple dans les nations alliées ou en guerre, comme cela fût arrivé si l'on eût suivi un bon système, les actes de tyrannie et de brigandage, à l'intérieur ou au dehors, ont dégoûté beaucoup de monde soit en France, soit à l'étranger. Le retour aux principes de liberté pourrait seul, et encore avec difficulté, réconcilier les esprits au nouvel ordre de choses. Cependant les institutions populaires et l'égalité légale ont de si grands avan

(1) Le président des États-Unis, M. John Adams, avait annoncé, le 25 février 1799, par un message au sénat, que MM. William-Murray, ministre américain à la Haye, Ellsworth, grand-juge des États-Unis et Patrick Henry, dernier gouverneur de Virginie, étaient nommés ministres plénipotentiaires pour discuter et terminer par un traité tous les différends entre la république française et la république américaine. — Voyez les notes de la p. 377 et de la p. 443 du 4o vol.

tages sur les diverses aristocraties que nous avons renversées, les conseils des rois et des empereurs sont, à l'exception de M. Pitt, si absurdes, les chefs contre-révolutionnaires si fous, et l'armée française si substantielle, si disciplinée et si brave, que je suis convaincu que la lutte qui se renouvelle dans ce moment se terminera encore d'une manière favorable à la France, pourvu cependant qu'elle revienne à ces principes de liberté et de justice sur lesquels la révolution a été fondée. Quelque haine que le gouvernement porte à cette classe d'hommes appelés constitutionnels, il s'est dernièrement si effrayé des anarchistes, que son influence dans les élections a été anti-jacobine, d'où il est résulté une assez grande proportion de bons représentants, si, avec la méthode connue de déporter et d'annuler, les conseils français peuvent s'appeler une représentation (1).

(1) Le 3 brumaire an III (24 octobre 1795) quelques jours après l'insurrection du 13 vendémiaire, on avait fait une loi qui, jusqu'à la paix, excluait des fonctions publiques les parents des émigrés et tous ceux qui, dans les assemblées primaires ou électorales, auraient signé des arrêtés liberticides. Les premières élections furent faites sous l'empire de cette loi, et le 27 octobre 1795, on mit en vigueur la nouvelle constitution directoriale par la réunion du premier tiers de nouveaux députés aux deux tiers conservés des membres de la convention qui se partagea avec eux en deux conseils. Le coup d'État du 18 fructidor eut lieu quatre mois après l'élection du second tiers; une des premières mesures de cette journée, dans la nuit même du 4 au 5 septembre 1797, après qu'on eût annulé les opérations électorales de quarante-huit départements, fut de rétablir, en l'aggravant, la loi du 3 brumaire que la majorité décimée du conseil des Cinq-Cents avait un moment éludée; on décida que, pendant les quatre années qui suivraient la paix générale, aucun parent d'émigré, sauf quelques exceptions arbitraires, ne pourrait être admis à voter ni être nommé électeur; le 9 frimaire an vI ( 29 novembre 1797) les ci-devant nobles ou anoblis furent également privés de leurs droits politiques. Au mois d'avril 1798, à l'occasion du troisième renouvellement par tiers des conseils, la plupart des assem

Les événements civils et militaires seront probablement, cet été, fort importants (1). .

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Vous aurez été comme nous bien affligés des échecs français et des succès coalitionnaires, car le plaisir ou la peine sont doubles (2). Il est facile de réparer ces désavantages avec des généraux qui aient la confiance des troupes et qu'on ne dégoûte pas; mais ce qui est moins passager, c'est la haine que l'oppression et le brigandage ont excitée parmi ces peuples dont on pouvait s'assurer l'affection, lors

blées électorales s'étant séparées en deux sections, avaient fait ainsi des doubles choix; les conseils, sans avoir égard à la constitution ni à la majorité des suffrages, admirent, par le coup d'état du 22 floréal an vi (11 mai 1798), comme représentants tous ceux dont les 'opinions paraissaient plus favorables au gouvernement, annulèrent plusieurs élections d'assemblées qui n'avaient pas été divisées et choisirent les élus de la minorité. Ces scissions et doubles choix des assemblées électorales ne se renouvelèrent pas en 1799, pour la quatrième et dernière élection; mais les lois du 3 brumaire an 111, du 19 fructidor an v, et du g frimaire an vi, n'étant pas abrogées, repoussaient un nombre immense d'électeurs et d'éligibles. - D'après la constitution, les députés devaient être élus du 9 au 19 avril; ainsi les dernières élections étaient à peine terminées quand cette lettre au général Washington fut écrite. (1) Nous n'avons point retrouvé la fin de cette lettre; elle est probablement perdue.

(2) Après plusieurs combats malheureux, l'armée française d'Italie, sous les ordres du général Schérer, fut battue le 27 avril, à Cassano, par l'armée austro-russe très supérieure en nombre, que commandait Suwarow.

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qu'on les délivra du despotisme, du vizirat, et de toutes les aristocraties.

Ma situation est toujours la même : la visite aux États-Unis, matériellement difficile, paraît au général Washington lui-même, dans l'état actuel de la querelle avec la France, et des deux partis américains, avoir pour moi des inconvénients (1), et si je pouvais contribuer à la réconciliation, ce serait plutôt en Europe où l'on va traiter. L'injonction de ne pas me trouver sur terrain germanique, le crédit de nos ennemis à Hambourg, les bruits d'une visite russe en Holstein, ne me permettent guère, depuis la reprise des hostilités, de passer la barrière, et de ce côté-ci, en attendant que la liberté revienne en France à l'ordre du jour, je ne vois rien qui me convienne autant que la Hollande. L'intrigue de Brune à Paris lui a fait grand tort ici (2). Ce n'est pas à moi que le gouvernement français en ferait par une persécution, et comme il ne me soupçonne pas d'attachement pour M. Pitt et la maison d'Orange, mon influence, si j'étais à portée de l'exercer, ne pourrait qu'être utile à sa politique; d'ailleurs, pour peu qu'il lui soit indifférent que je me promène dans mon jardin et que je lise des ouvrages d'agriculture, je ne puis lui donner aucun ombrage.

(1) Voyez, p. 438 du 4* vol., la lettre du général Washington. (2) Le général Brune se plaignait aux gouvernements de France et de Hollande du séjour du général Lafayette dans la république batave

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