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tant d'effet sur le gouvernement, vous observerez que mon fils n'était pas revenu à temps pour suivre Bonaparte, à moins que je ne me fusse excessivement pressé de le lui envoyer; et lorsque mon libérateur craignait de se compromettre en répondant à mes lettres, lorsqu'il était lui-même menacé, disait-on, d'un acte d'accusation (1), il eût été indiscret de lui adresser brusquement le fils d'un homme dont le directoire et le président du conseil des cinq-cents avaient récemment rappelé les trahisons (2). Depuis ce temps, vous n'avez pas regretté pour lui les guerres de Suisse; s'il avait été attaché à Championnet, il serait vraisemblablement associé à un procès criminel; s'il eût servi avec Joubert, il eût été disgracié, et aurait peut-être participé au dégoût extrême que ce général ne peut s'empêcher d'exprimer; au lieu qu'à présent il est libre, plein d'ardeur, et nous pouvons examiner la question de son entrée au service, bien plus tentante, pour me servir de son expression, depuis que nous avons eu des revers. Le fait est que George, patriote républicain comme j'en ai peu rencontré dans ma vie, a de plus la passion du métier militaire, et je l'y crois propre.

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Je l'aime avec trop de tendresse pour distinguer mes désirs des siens; je hais trop toute oppression pour comprimer les voeux d'un fils chéri qui a près de vingt

(1) Les préliminaires de Leoben ne furent point approuvés par le directoire. A cette époque, Bonaparte offrit sa démission; elle ne fut pas acceptée, et il traita à Campo-Formio avec la crainte d'être désavoué par le gouvernement français.

(3) Le 18 fructidor. Voy. la p. 365 du 4o vol.

ans; je le verrais avec joie couvert d'honorables blessures, et par-delà cette supposition je n'ai pas la force d'envisager la vie; mais d'autres objections se présentent à moi ; je ne dis pas qu'elles soient péremptoires, car je conviens que l'opinion contraire est très plausible; c'est seulement parce qu'elle vous paraît indubitable que je cherche à la réduire à sa juste valeur.

Ecartons d'abord votre comparaison avec mon passage en Amérique, où j'allai combattre le despotisme d'un gouvernement qui avait violé moins de droits naturels et sociaux, depuis la fondation des colonies jusqu'à la déclaration d'indépendance, que le directoire n'en viole chaque jour sur les peuples qu'il s'est

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Sans doute il est doux de servir par soi-même ou par son fils une patrie ingrate; mais ici il n'y a point d'ingratitude, puisque la bienveillance reparaîtrait avec la liberté. C'est une proscription, par la faction oppressive de la patrie, qui à présent est prolongée, jusqu'au retour de la liberté, par un gouvernement arbitraire; mais, pour l'ennemi constant du despotisme, il n'est pas indispensable de servir la pentarchie despotique de la France.

Il y a pour mon fils des inconvénients particuliers: vous savez que, dans des pays organisés, en Angleterre, par exemple, l'activité de service semble annoncer une approbation du parti gouvernant. Sans admettre cette difficulté, vous représentez-vous George à la table d'un chef, buvant, dans trois mois, à l'heureuse journée du 10 août qui fut le signal de

l'assassinat de nos amis, ou faisant fusiller un de mes complices?

Si du moins il se manifestait quelque retour aux idées libérales, quelques avant-coureurs d'un gouvernement national et légal, le besoin inexprimable que j'en ai me ferait recueillir avec avidité la moindre goutte de liberté qui tomberait du ciel. Je hais cordialement les puissances antiques; je souhaite avec passion que la nouvelle doctrine s'établisse sur de bonnes bases. Cette coalition est composée de mes implacables ennemis; je n'ai personnellement aucun fiel contre les gouvernants; je suis obligé à quelquesuns d'entre eux, et ce que j'éprouve de persécution m'est trop honorable par ses motifs avoués, pour que je puisse en être choqué. J'aime ma patrie, comme vous savez, et le bien qui lui serait fait, de quelque part qu'il vînt, me comblerait de joie. Il ne peut donc y avoir aucune aigreur dans la sévérité de mes objections; elles tomberaient à l'instant si la liberté, si seulement l'aurore de la liberté se remontrait en France; mais j'ai voulu vous indiquer ce qui, jusqu'à présent, ne m'a pas permis de me livrer à l'ardeur si naturelle de mon fils, et ce qui l'a frappé lui-même en m'entendant parler. Je conviens pourtant que l'opinion contraire, même dans la situation actuelle, a beaucoup de force. La France, libre ou non, est notre patrie; il y a plus de germes de liberté dans son organisation démocratique qu'il n'y en aurait dans la contre-révolution. Ses adversaires sont bien décidément ennemis de nos principes les plus purs, et n'ont pris les armes que pour les détruire à fond. S'il est inconvenant, lorsque l'Europe se divise

en deux bandes, qu'un jeune homme de dix-neuf ans ne soit pas dans l'une ou dans l'autre, il est évident que la place d'un patriote, de mon fils, ne peut être que sous nos étendards nationaux. Les derniers revers donnent à notre guerre un caractère plus défensif; on vient de donner à l'armée d'Italie un chef incapable de brigandage; en un mot, s'il est permis, si même il est prescrit, je crois, de balancer, il y a dans ce moment beaucoup de motifs pour adopter

votre avis.

Que d'embarras seraient aplanis, si la liberté revenait, comme on dit, à l'ordre du jour! Jusque-là tout est dans une fausse position. Les troupes ne servent la patrie qu'en devenant suppôts d'un gouvernement arbitraire; les législateurs ne se soutiennent et ne gouvernent qu'aux dépens des principes, et les principes qu'au profit du parti anarchiste. Les voisins trouvent des fers où ils attendaient leur délivrance, et leurs amis deviennent leurs spoliateurs. Si, au contraire, on adoptait tout de bon, et sans vaciller, des mesures et des intentions honnêtes, tous les cœurs patriotes seraient à l'aise, et le bonheur de combattre pour la patrie ne serait mêlé d'aucun

trouble.

Peut-être l'époque actuelle va-t-elle amener d'heureux changements.

Adieu, mon cher ami, etc. ...

P. S. J'apprends l'exécrable assassinat de nos plénipotentiaires (1). De tous les crimes de la maison

(1) Le 6 avril, les ministres impériaux avaient quitté Rastadt en protestant contre le passage du Rhin par l'armée française. Les plénipotentiaires Roberjot, Bonnier et Jean de Bry, regardant l'état d'armi

d'Autriche, celui-ci est le plus impudent comme le plus atroce. Je regrette particulièrement Roberjot, et suis bien touché du malheur de son aimable femme. Les progrès de Bonaparte en Syrie ne sont pas douteux (1). J'ai toujours désiré cette expédition égyptienne, mais, quoique les talents de Bonaparte et ceux de Kleber et Desaix soient employés bien utilement, je voudrais souvent, et aujourd'hui plus que jamais, les replacer en face des Autrichiens.

AU GÉNÉRAL WASHINGTON.

MON CHER GÉNÉRAL,

Vianen, g mai

9 1799.

Votre bonne lettre du 25 décembre 1798 m'est heureusement parvenue (2); et puisque mon ami Bu

stice et de négociation comme subsistant encore entre la France et P'empire germanique, malgré la rupture avec l'empereur, continuèrent de rester; mais, le 23 avril, la députation de l'empire ayant déclaré ses fonctions suspendues, et, dès le 8, toute conférence étant rompue, la légation française quitta enfin, le 28, la ville de Rastadt. Elle fut assassinée la nuit, à peu de distance des murs, par des hommes revêtus d'uniformes autrichiens. Jean de Bry échappa seul au massacre. Aussitôt les ministres de toutes les puissances représentées à Rastadt écrivirent à l'archiduc Charles, pour lui témoigner leur profonde horreur pour un tel attentat. L'archiduc attendit quatre jours pour adresser au général Masséna une lettre où il déclarait que les causes de cet accident lui étaient inconnues, quoiqu'il parût ne l'attribuer qu'à l'imprudence des ministres qui avaient, disait-il, traversé pendant la nuit la ligne de ses avant-postes. (Voy. la note de la p. 3 de ce vol., et le Moniteur du 15 mai 1799.)

(1) La prise de Jaffa est du 7 mars, et la victoire du Mont-Thabor, près du Jourdain, du 16 avril.

(2) Voyez la p. 438 du 4° vol.- Nous ne possédons pas la suite de

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