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a de domestiques pour les soigner; et puis un petit mot sur le parc et les bois. Liancourt m'a prêté quelques ouvrages d'Arthur Young; je suis plus enfoncé que jamais dans l'étude de l'agriculture, et tous les détails que vous m'enverrez me donneront le plaisir de comparer ce qui se pratique en France avec ce qu'on fait en Angleterre et en Hollande. L'avenir est bien embrouillé... j'en conclus qu'il faudrait nous retrouver le plus tôt possible. Que n'êtes-vous déjà ici, ma chère Adrienne ? etc...

P. S. J'ai été hier à Utrecht où le bon P... m'avait donné rendez-vous; il croit que l'assassinat des plénipotentiaires a été machiné par le parti anglais et napolitain à Vienne, sans la concurrence de l'archiduc Charles. Cette opinion me paraît la plus probable.

A MADAME DE LAFAYETTE.

Vianen, 1er juillet 1799.

Vous me parlez du voyage d'Amérique, chère Adrienne; la prise de notre ami Pusy n'est pas encourageante (1); il tomba dans les mains des Anglais quatre heures après avoir quitté le port, et fut conduit à Yarmouth. La nouvelle de la naissance de son fils sera pour lui une consolation de ce triste accident, qui se bornera, j'espère, à un retard fort désagréable. Si je n'étais pas ici il faudrait aller vivre avec les poissons, car toutes les avenues sont fer

(1) M. de Pusy se rendait aux États-Unis.

mées. Si la liberté batave était troublée par la France, ou attaquée de son consentement par des étrangers, comme quelques personnes le craignent, je serais fâché d'en étre le témoin. L'empire germanique me paraît fermé pour moi, et je m'en console aisément. Il est donc bien difficile de former des projets. Rien ne serait plus désirable que la paix avec les ÉtatsUnis; on pourrait encore y déjouer les intrigues de l'Angleterre, et replacer du côté français cette masse éclairée qui ne s'y décide point par des vues de partis et leur donne la prépondérance; mais je ne vois pas qu'on en soit à ce système. Je le voudrais d'autant plus que je croirais y reconnaître le désir de rallier aussi les patriotes français autour de la vraie liberté. En attendant, j'ai lu le pamphlet de Boulay; il offre des rapprochements à ceux qui savent le mieux l'histoire d'Angleterre (1). Il rend justice à ces presbytériens qui n'appartinrent jamais, ni au parti de la cour, ni au parti appelé des indépendants. J'ai lu que le fameux Cromwell ne se décida pour ceuxci que parce qu'ils lui firent craindre la proscription; il eût été plus républicain de l'encourir. Quoi qu'il en soit, Boulay nous désigne nos dangers. Macdonald, par son succès, Masséna, par sa résistance, Moreau, par ses manoeuvres, éloignent les périls extérieurs ; notre position militaire, malgré les revers, est peutêtre plus honorable qu'elle ne le fut jamais. Quant aux affaires intérieures, puisque Sieyes, en arrivant

Essai

(1) M. Boulay, élu en 1797 député au conseil des Cinq-Cents, par le département de la Meurthe, venait de publier un écrit intitulé : « sur les causes qui, en 1649, amenèrent en Angleterre l'établissement de la république, sur celles qui devaient l'y consolider, et sur celles qui l'y firent périr.

au directoire, a dit ne pas les connaître assez pour en juger, il serait difficile que j'en décidasse dans mon jardin batave. Un objet de ma compétence, c'est Lagrange. J'y trouve des illusions douces ; il me semble que ces pensées rapprochent de moi la possibilité d'une retraite au sein de la liberté française. Adieu, chère Adrienne; etc.

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A MADAME DE TESSÉ.

Vianen, 2 juillet 1799

J'attachai encore quelque importance aux élections du nouveau tiers; mais dans la plupart des assemblées électorales, il n'y a eu de concurrence possible qu'entre les serviteurs du directoire et les jacobins. La nomination de Sieyes a été faite en dépit du gouvernement; et la toute-puissance des fructidoriens reçoit de rudes attaques (1). On dirait qu'ils

(1) L'inquiétude causée par les progrès et les menaces de la seconde coalition, avait amené dans les conseils, renouvelés par tiers pour la quatrième fois, une violente réaction contre la majorité et le système du directoire. Le 15 prairial (3 juin), les commissions des dépenses, des fonds et de la guerre s'étaient réunies dans les Cinq-Cents, pour présenter aux directeurs un message par lequel on demandait à être instruit des dangers intérieurs et extérieurs de la république; on joignit à cette demande diverses réclamations sur le droit des sociétés populaires, la liberté individuelle, la liberté de la presse, la responsabilité des ministres, la publicité des comptes, etc. Le directoire ayant différé plusieurs jours sa réponse, les Cinq-Cents décidèrent le 28 prairial (16 juin) que jusqu'à ce qu'elle eût été faite, ils seraient en permanence; le conseil des Anciens adopta la même résolution; une commission extraordinaire de onze membres fut chargée de présenter des mesures de salut public. La constitution exigeait pour la nomination d'un directeur qu'il eût quitté la législature depuis un an révolu. Quoique M. Treilhard siégeât au directoire depuis treize mois, on le

ont été poussés à la guerre par les mêmes motifs qui la firent déclarer en 92. Si ces gens-là avaient conclu la paix (1) et rendu à la France un peu de liberté, le besoin de repos aurait soumis la république à leur influence; mais ils ont voulu gouverner par des moyens de police et des coups d'état; ils ont choqué à la fois tous les partis, tous les alliés, et tous les ennemis; ils ont laissé désorganiser jusqu'aux ressources militaires. L'opposition a eu beau jeu pour réclamer contre eux quelques principes, de manière que les anarchistes eux-mêmes ont dit ce que pensaient les bons citoyens.

Lorsqu'un gouvernement est entamé, tout ce qui ne l'aime pas concourt à le détruire; mais après ce

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destitua sous prétexte qu'à l'époque de sa nomination, il n'avait cessé d'être membre du corps législatif que depuis un an moins quatre jours, et M. Gohier fut élu à sa place. Au milieu de très vives altercations dans le sein même du directoire, MM. Merlin et La Réveillère refusèrent à leurs collégues Sieyes et Barras de se démettre de leurs fonctions; des députés des conseils intervinrent, les menaçant, s'ils ne prenaient ce parti, d'un acte d'accusation. MM. Merlin et La Réveillère résistèrent encore; mais dans la nuit du 30 prairial ( 18 juin), ils se virent contraints de céder devant les dispositions du corps législatif. C'est ainsi qu'ils furent remplacés, par MM. Roger-Ducos et Moulins. On verra plus loin, dans une lettre du 14 juillet à madame de Tessé, de nouveaux renseignements sur le 30 prairial. (1) Lord Malmesbury avait été envoyé au mois de juillet 1797 à Lille, pour y reprendre des négociations de paix. Le gouvernement anglais dont les finances étaient alors fort épuisées, pouvait craindre que la prochaine ratification des préliminaires convenus avec l'Autriche ne donnât à la France victorieuse en Italie et sur le Rhin, de grands avantages. D'un autre côté, le Portugal traitait avec le directoire. M. Maret (depuis duc de Bassano), reçut de lord Malmesbury des conditions que les directeurs Carnot et Barthélemy voulaient accepter; mais bientôt les évènements de fructidor et la nouvelle politique qui en fut la conséquence mirent un terme aux conférences de

nouveau coup d'état du 30 prairial, on va se reconnaître. Les directeurs eux-mêmes vont avoir peur de la tendance des conseils qui ont eu l'air de commencer par la liberté et finiront, selon leur habitude, par la jacobiniser. Ainsi la crise n'est pas finie; elle l'est d'autant moins, dans le moment actuel, qu'il y a un imbroglio d'intrigues croisées dont mes amis paraissent mal informés. Je suis persuadé que les anciens et les nouveaux jacobins combattent, comme dans les tournois, avec des armes ensorcelées; et tout me confirme que les insurrections ne sont plus pour un régime libre, mais au contraire pour le plus bête et le plus absolu despotisme. Il ne me reste donc pour espérer, qu'un je ne sais quoi dont vous n'aurez pas de peine à faire rien du tout. Il n'y a d'ensemble que dans les deux partis extrêmes; mais sur toute la ligne de la liberté, depuis le monarchisme légal jusqu'au républicanisme régulier, vous trouvez tant de méfiances et d'intérêts divers, il y a partout tant d'égoïsme, de mauvaise foi, une morale de parti si peu rassurante pour la morale ordinaire, ou même pour le besoin individuel de sa propre conservation, que je ne m'étonneni de l'impuissance des patriotes proscrits de toutes les époques, ni, jusqu'à un certain point, des craintes et des tergiversations de ceux du dedans.

On a secoué le joug du moment sans la moindre peine; on parle de liberté de la presse, on veut poursuivre les voleurs. Cependant, j'ai toujours dit que la composition des conseils était fort inquiétante. Les trois nouveaux directeurs ont aussi le cachet du jacobinisme. Ils en seront victimes comme ceux

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