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Gohier était membre de l'assemblée, et le 8 août 92 vota pour moi; il remplaça, en 93, Garat au ministère de la justice. Roger-Ducos et Moulins passent pour jacobins, On a préféré celui-ci au général Marescot qui était la dernière espérance, et pour qui le vœu de Sieyes s'était réuni à celui de tous les patriotes. Aussi Bernadotte, présent à cette nomination, s'écria-t-il : « Ces gens-là peuvent-ils prétendre que nous les servions ? » On disait, dès le 4 messidor (22 juin), que Santerre fournirait la liste des riches à faire contribuer. Vous savez la nomination de Fouché de Nantes, On avait donné à Joubert la 17o division, mais à Marbot le commandement de Paris; et voilà que Joubert est envoyé en Italie! On aperçoit bien à quelques choix une influence opposée au torrent, mais aussi timide et infirme que celle des Girondins après le 10 août. «< Ne craignez rien pour « ma sûreté, m'écrit madame de Lafayette, j'espère << être avec vous avant qu'il y ait du danger pour les << femmes et pour les pauvres. » George me mande : « J'ai trouvé ici de grands changements; vous jugez << bien que ce qui m'est personnel est suspendu pour « le moment. » Il arrivera, j'espère, dans peu de jours.

Vous observerez que les jacobins, en dénonçant Talleyrand, menacent Sieyes (1). En attaquant les

directoire annonçant que des mandats d'arrêts ont été dirigés contre les auteurs et imprimeurs de douze journaux, et que les scellés ont été apposés sur les presses et les cabinets mêmes des auteurs.

(1) M. de Talleyrand publia, au mois de juillet 1799, un écrit justificatif pour établir qu'en septembre 1792, il avait accepté une mission

Bataves qui firent le mouvement de juin, ils affectent de croire que Joubert, qui en est l'auteur, en avait été victime, et le séparent de son ami Daëndels pour le mettre avec son ennemi Charles Lacroix (1); ils traitent mieux Moreau que Macdonald, et aiment Bonaparte qui est bien loin. Quoi qu'il en soit, ils délivreront beaucoup de prisonniers arrêtés arbitrairement. Les naufragés de Calais pourraient bien être aussi délivrés en haine de Merlin, et la liberté religieuse protégée en haine de La Réveillère (2).

diplomatique à Londres. Il fut inscrit plus tard sur la liste des émigrés, et se retira aux États-Unis. Revenu en France après le 9 thermidor, il obtint sa radiation, devint membre de l'Institut et fut nommé, le 18 juillet 1797, au ministère des affaires étrangères à la place de Charles Lacroix. Après le 30 prairial, il donna sa démission et fut remplacé par M. Reinhard. Après le 18 brumaire, Bonaparte le rappela à la direction des affaires étrangères.

(1) Au commencement de l'année 1798, l'assemblée nationale batave n'avait pas encore achevé la constitution qu'on attendait depuis trois ans; les réglements des anciens états subsistaient encore, et l'on se plaignait des entraves de l'esprit fédéral. A cette époque, l'armée française de Hollande était commandée par Joubert, et Charles Lacroix remplissait des fonctions diplomatiques. Joubert et le général Daendels se réunirent le 22 janvier, pour exécuter militairement un coup d'état assez semblable celui du 18 fructidor en France; on arrêta un grand nombre de députés, on cassa les administrations provinciales, et un directoire exécutif fut institué avec deux conseils; mais les coopérateurs de ce changement ayant voulu, de concert avec Charles Lacroix, se perpétuer dans le nouveau directoire sans recourir à de nouvelles élections, les généraux Daendels et Joubert rassemblèrent encore leurs troupes dans les premiers jours de juin (prairial an vi), dispersèrent les directeurs, les conseils, et firent décréter un nouveau gouvernement, et des élections. Le ministre de France Charles Lacroix fut rappelé pour sa conduite en cette circonstance.

«

(2) Le 1er mai 1797, M. La Réveillère fit à l'Institut un discours où il exprimait le désir d'un culte simple qui aurait un couple de dogmes, « et d'une religion sans prêtres. » Quelques mois après, un culte appelé théophilanthropique fut introduit en France dans un grand nombre d'églises catholiques.

J'ai lieu de penser que les hommes opposés à l'anarchie et menacés par elle, se croient plutôt déjoués que battus. On assure que le discours de Sieyes à la fête d'aujourd'hui, sera très prononcé contre les jacobins. Je mandais, l'autre jour, « que le roi de Prusse « n'était pas contre la France, tant s'en faut. » Cette expression n'était point hasardée, et quoiqu'on annonce qu'il va se déclarer pour la coalition, je suis disposé à croire tout le contraire. On dit la même chose de l'Espagne, et je parie contre, presque autant qu'à propos de la Prusse. Si ces puissances se mêlent des affaires françaises, c'est avec des idées fort différentes de celles des coalisés. Quant au roi de Prusse, il est personnellement beaucoup mieux avec le ci-devant ambassadeur, que les aristocrates n'avaient cru. Vous jugez bien que l'arrivée de Fouché de Nantes a excitè à La Haye une juste terreur (1). Les nouvelles d'hier au soir étaient rassurantes; on ne connaît pas à fond ses instructions, et on en soupçonne une dans chaque poche; mais, jusqu'à présent, il paraît ne faire usage que de la bonne, et à ces espérances du côté batave j'ajoute ce qui m'a été dit d'un autre côté, qu'il n'y avait rien d'alarmant dans ses ordres ni dans ses intentions. Si ce calme est trompeur, on le saura bientôt. Rien ne menace, jusqu'à présent, la tranquillité de notre ermitage. On dit que Brune va servir en Italie; Joubert y commandera, et Moreau sur le Rhin. Les nouveaux administrateurs du département de la Seine sont jacobins des plus caractérisés.

(1) Il obtint cet emploi diplomatique à la suite des changements du 30 prairial.

Adieu, ma chère cousine, communiquez mon épître à Maubourg. Mon cœur vous adresse tout ce qu'il sent pour vous.

A MADAME DE LAFAYETTE.

Vianen, 5 août 1799.

Je pensais bien tristement, mais bien tendrement à vous, ma chère Adrienne, lorsque, tout à coup, c'était avant-hier, George est entré dans ma chambre. Vous n'irez pas bien loin pour juger de ce que j'ai éprouvé, et je sais avec quelle générosité vous jouissez de mon bonheur. Quand verrons-nous la réunion de toute la famille? ce serait bientôt et en France, si, dans cette dernière crise, tous les hommes qui ont pris part à la révolution étaient à portée de se réunir autour du premier de tous les intérêts, celui de la liberté. C'est l'intérêt de ceux qui ont le pouvoir, mais les hommes causent sur les intérêts et agissent par les passions.

Certes, il faudra bien, pour que j'aille en Amérique, ne pas conserver la moindre espérance de servir ici ma patrie. Quand je vois s'avancer, avec les plus dé testables intentions, la coalition contre la France et l'humanité entière; quand je reconnais mes ennemis personnels à la tête de cette affreuse ligue, il me semblerait que je n'ai autre chose à faire qu'à me ranger de l'autre côté et me battre jusqu'à extinction... Point

du tout. L'autre côté me témoigne presque autant de malveillance. Rien ne m'annonce que c'est la liberté qu'il veut défendre, et à présent, comme l'année passée, j'apprécie (1) les motifs qui m'écartent de ma patrie.

Depuis hier, George et moi, nous vous arrangeons une ferme, soit dans la belle vallée du Shenando, sur les derrières de l'État de Virginie, non loin de FederalCity, et même de Mount-Vernon, soit dans les belles prairies de la Nouvelle-Angleterre, à portée de la ville de Boston, pour laquelle vous connaissez ma prédilection. Je ne me dissimule pas, chère Adrienne, que moi qui me plains des serfs du Holstein comme d'un entourage bien triste pour un ami de la liberté, je trouverais des nègres esclavés dans la vallée du Shenando; car, si, dans les États du nord, l'égalité est pour tout le monde, elle n'existe dans le midi que pour les blancs. Il est vrai qu'avec nos idées de Cayenne, on peut se donner quelque consolation. Je préférerais, cependant, la Nouvelle-Angleterre, et en même temps, je sens toutes les raisons qui doivent nous rapprocher de Mount-Vernon et du siége de l'union fédérative; mais il ne nous manque que le premier dollard pour acheter notre ferme. Cette incertitude doit être ajoutée à bien d'autres, sans que vous deviez vous en tourmenter. A l'impossible nul n'est

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Vous n'aurez point de politique aujourd'hui; je suis plus occupé de l'arrivée de George que de celle

(1) Cette expression se trouve dans la lettre du 27 novembre, p. 5 d ce vol., adressée par le général Lafayette au directoire, quand il lui demanda la rentrée de ses compagnons de captivité.

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