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A MADAME DE LAFAYETTE.

Utrecht, 16 septembre 1799.

Les nouvelles de l'invasion sont à peu près les mêmes; elles vont devenir plus importantes, s'il est vrai que les Russes sont arrivés. J'aurais voulu que l'attaque eût pu réussir avant leur débarquement, et même qu'elle eût suivi de près celui des Anglais. Je me permettrais, en général, quelques observations, si je ne savais qu'il n'y a rien de plus ennuyeux qu'un invalide qui parle de guerre, et de plus injuste qu'un nouvelliste qui n'est pas dans les secrets. Ce fut sans doute un grand mal de n'avoir pas ici les troupes qu'on faisait payer à nos braves Bataves. Je vois par la gazette qu'outre celles qui garnissent la Zélande et autres lieux, il y avait dernièrement à l'armée 7,500 Français disponibles, et deux bonnes divisions bataves, sous Daendels et Dumonceau. Je vous mandais, par le dernier courrier, qu'on avait été mécontent de quelque partie de l'infanterie; on a fait arrêter plusieurs fuyards qui vont être jugés. Quant à nos compatriotes, leur conduite est sous tous les rapports excellente; malgré les exceptions qu'on a remarquées, l'esprit général des troupes bataves est aussi fort bon. Je souhaite impatiemment l'arrivée des

à 100 millions; on décida qu'au lieu de faire contribuer chacun dans un rapport fixe avec le montant de ses impôts directs, les riches paieraient forcément une part variable et progressive suivant leur fortune présumée et appréciée par un jury taxateur.

douze à quinze mille Français qu'on annonce depuis plusieurs jours. En attendant, il s'assemble du côté de Clèves un corps de pareil nombre de Prussiens. Ma cousine Holsteinoise (1) m'écrit qu'on regarde comme certain que ma retraite est menacée, si, d'après leur réquisition, la France ne retire pas ses troupes. J'en serais fâché; car je suis comme chez moi dans ma bonne république batave, et je ne voudrais pas revoir des aristocrates et des serfs; mais je réponds à ma cousine que, de part ou d'autre, il y aura des gens bien attrapés, puisque nous croyons ici que l'intervention prussienne est combinée avec la France, et contraire aux vues de la coalition. Cette chère cousine, dans le plus tendre et le plus aimable billet, me cite, et m'applique cette phrase de Vauvenargues : Nous prenons quelquefois pour le sangfroid une passion sérieuse et concentrée qui fixe toutes les pensées d'un esprit ardent, et le rend insensible aux autres choses. -Je conviens que, dans l'état actuel de notre patrie, et dans les dangers de la liberté, je suis fort susceptible de distraction sur mes intérêts personnels; mais réellement je ne vois point de péril à rester ici jusqu'au dernier moment. Adieu, etc.

P.S.Il me tombe sous la main le discours et le message de Sieyes, du 18 fructidor, qui contrastent bien étrangement avec ses vues actuelles et même avec le ton des discours des 14 juillet et 9 thermidor (2). Je

(1) Madame de Tessé.

(2) Le Moniteur contient, à la suite d'un discours de Sieyes, pour l'anniversaire du 18 fructidor, un arrêté du directoire qui condamne à la déportation et séquestre les biens de soixante-huit individus, comme propriétaires, entrepreneurs, directeurs, auteurs et rédacteurs de trente

ne sais plus qui disait : « Tout le monde a peur de tout le monde. » On avait dit autrefois : «< Ote-toi de là que je m'y mette..... » Serait-ce donc l'omega et l'alpha de la révolution?

A MADAME DE LAFAYETTE.

Utrecht, 19 septembre 1799.

Il y a aujourd'hui deux ans, chère Adrienne, que nous sortîmes de cette prison où vous étiez venue me porter la consolation et la vie. Que ne puis-je, après deux ans d'exil ajoutés à cinq années de captivité, vous porter dans une paisible retraite l'assurance d'être réunis pour toujours!

Comment nous arrangerions-nous, en attendant, pour passer ensemble une partie de l'hiver? Voilà, mon cher cœur, les questions que je me fais à moimême sans trop savoir comment y répondre. J'ignore d'abord si la Hollande sera suffisamment défendue par le général Brune et son armée gallo-batave. On m'écrit du Holstein, que le roi de Prusse va exiger la retraite immédiate des troupes françaises; de Paris, qu'il va se décider pour nous, et que Sieyes vous a paru persuadé de sa neutralité; d'Utrecht,

quatre journaux désignés par la loi du 19 fructidor an v. Le même journal publie le lendemain le message signé par le président Sieyes, qui an. nonce des mandats d'arrêts contre les auteurs et imprimeurs de douze journaux, l'apposition des scellés sur les presses et les cabinets des auteurs ou imprimeurs. (Voy. la note de la p. 66 de ce vol.)

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que, d'après la réponse d'un courrier parti pour la France, il va se joindre à la république ou à la coalition. De toutes ces versions, la vôtre est la meilleure, puisqu'elle vient de source; et certes si la Prusse et le pays de Hanovre se déclaraient nos ennemis, il serait difficile de gagner le Holstein, où peutêtre je trouverais encore des Russes; car on dit que Paul Ier a rompu tout-à-fait avec le Danemarck.

20 septembre.

J'apprends que les ennemis, et particulièrement les Russes, ont éprouvé une grande mésaventure (1). Deux mille tués, dit-on, environ deux mille prisonniers, plus de vingt pièces de canon, une confiance mutuelle entre les Français et les Bataves, une mésintelligence très-fondée entre les Russes et les Anglais, voilà les fruits de cette brillante journée, anniversaire de notre délivrance d'Olmütz. Nous aurons demain ici une colonne de neuf cents Russes et Anglais qu'on mène à Lille; tout le monde court au-devant d'eux, et vous jugez l'excellent effet que produit dans le pays cette victoire gallo-batave. Gouvion y a acquis beaucoup de gloire et le grade de général de division. On a fait, sur le champ de bataille, général de brigade, Aubry, qui commandait la place d'Utrecht. Je pas besoin d'ajouter que ce succès nous a rendus bien heureux.

n'ai

Le poste de George et de Victor est la garde d'une batterie sur la droite de l'armée; mais les ennemis ne seront pas tentés de recommencer l'aventure de

(1) A Berghen près d'Alkmaar, le 19 septembre.- Un second débarquement de 18,000 Anglo-Russes avait été effectué, le 15, au Helder.

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l'autre jour. Il en résulte, chère Adrienne, que nous devons être tranquillisés sur le danger de nos chers volontaires. Il n'y aurait point eu d'affaire, si les Anglais, à l'arrivée des Russes, n'avaient pas pris ce moyen de leur faire les honneurs; encore les ont-ils très-médiocrement soutenus.

J'ai renouvelé hier à Utrecht une ancienne connaissance. Kellermann et moi, nous nous sommes rencontrés et embrassés de bon coeur. Je ne l'ai pas trouvé vieilli; il m'a trouvé presque rajeuni. Adieu, etc.

A M. ÉMERY.

Vianen, 2 octobre 1799.

Adrienne vous donnera de mes nouvelles, mon cher Émery; je ne vous parlerai que de la chose publique; les contre- révolutionnaires et les jacobins se disputent à qui lui portera le dernier coup; les patriotes semblent être sous un sortilége. Est-il donc impossible de réunir les efforts de ceux qui voudraient sauver la liberté? Sieyes y paraît disposé; il y a de bons citoyens dans les conseils, le ministère, les armées; on pourrait, autour des gouvernants bien intentionnés, rallier cette foule d'honnêtes gens qui se croient royalistes, aristocrates, et qui ne sont que mécontents. Mais si on y perd du temps, les institutions nouvelles, de plus en plus méconnues et haïes, achèveront de se dissoudre et feront place au plus honteux retour de l'ancien régime.

On prétend que Sieyes est sûr d'une paix qui, en

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