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pes pour le butin et la nécessité de les satisfaire aurait pu les y porter, mais le but même de la guerre les en détourna; la clémence était trop utile à l'établissement d'un nouvel empire et Civilis même se ressouvint que son fils pris à Cologne, au commencement des troubles, y avait été bien traité. Mais les TransRhenans insistaient pour que cette ville leur fût ouverte, ou qu'elle fût détruite et les Übiens dispersés. Les Tenchtères qui habitaient en face envoyèrent même une députation dans le même but, et pour que tous les Romains établis à Cologne fussent mis à mort. Les Ubiens se défendirent le mieux qu'ils purent et s'en rapportèrent au jugement de Civilis et de Velleda, à qui ils envoyèrent des présens et qui décidèrent en leur faveur.

Civilis, fortifié par l'alliance des Ubiens, se dirigea vers les cités voisines, pour les réunir à lui de gré ou de force. Ayant occupé le pays des Sunici et formé leur jeunesse en cohortes, il poussa en avant. Claudius Labeo, avec une levée tumultueuse de Tongriens, de Betasiens et de Nerviens, se présenta pour s'opposer à ses progrès, se fiant à sa position, parce qu'il était appuyé à Mastricht (Pons mosae), dont il tenait le pont. On se battit avec un succès varié dans les défilés, jusqu'à ce que les Germains, passant la rivière à la nage, attaquèrent Labeo par derrière. En même temps Civilis, par un coup d'audace, mais de cette audace qui n'appartient qu'à un grand homme, préjugeant l'effet des insinuations dont il avait rempli les Gaules, se présenta au camp des Tongriens et s'écria à haute voix. « Nous » n'avons pas pris les armes pour assurer la domination des Ba>> taves ou des Tréviriens. Loin de nous une pareille arrogance. Acceptez notre alliance et je passe dans vos rangs, soit que » vous me vouliez pour chef, soit que vous aimiez mieux m'a» voir comme soldat. » Les troupes furent émues, et déjà les épées se baissaient, lorsque deux des principaux Tongriens, Campanus et Juvenalis, décidèrent leur nation. Labeo se sauva avant d'être enveloppé; Civilis, ayant reçu la foi des Betasiens et des Nerviens, les ajouta à son armée. C'est ainsi que Civilis, soumettant quelques cités par la force des armes, décidant les autres à se joindre à lui, agrandissait sa puissance et commen

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Tom. I.

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çait à lui donner une forme régulière. Déjà il était maître de toute le province Germanique inférieure, et bientôt les Tréviriens lui donnèrent la supérieure. Sa domination s'étendait déjà entre le Rhin et la Meuse, depuis la mer jusqu'aux frontières d'Helvétie d'une part, et jusques près de Verdun de l'autre.

Pendant ce temps Sabinus, ayant détruit les monumens de l'alliance de Rome, et s'étant fait appeler César, marcha avec une troupe nombreuse de populace indisciplinée, contre les Sequaniens qui étaient restés fidèles aux Romains. Les Sequaniens ne refusèrent pas le combat, et la victoire se déclara pour eux. Les Langrois furent battus et Sabinus, qui avait couru avec témérité au combat, s'enfuit avec la même précipitation. Afin d'accréditer le bruit qu'il s'était donné la mort, il fit mettre le feu à la maison de campagne où il s'était réfugié. Retiré dans une caverne, il y vécut neuf ans, conservé par la constance de ses amis et la vertu héroïque de sa femme Eponine. La victoire des Sequaniens arrêta cette guerre. Les cités des Gaules revinrent à elles, et réfléchirent sur leur position, principalement les Rhémois, qui invitèrent les Gaules à envoyer des députés pour délibérer en commun, sur ce qui convenait le mieux de la liberté ou de la paix.

A Rome, la nouvelle de ces désastres arrivant encore exagérée, remplit Mucien ( qui y commandait en l'absence de Vespasien) d'anxiété. Il craignait que le poids de la guerre n'excédât même les forces des deux bons généraux qu'il y destinait, Annius Gallus et Petilius Cerialis. Les sixième et huitième légions de Vespasien; la vingt-unième des Vitelliens, la deuxième des nouvelles levées furent envoyées dans les Gaules, partie pour les Alpes Cattiennes et Pennines, partie pour les Alpes Graiennes (1). La quatorzième légion fut appelée de Bretagne, et les sixième et dixième d'Espagne (2). Les cités des

(1) Alpes Pennines, grand St.-Bernard; Graiennes, petit St.-Bernard; Cottiennes, mont Genevre.

(2) La 6' légion d'Espagne était surnommée Ferrata, l'autre 6', appelée Victrix, venait de Syrie.

Gaules ramenées à des sentimens modérés et par le bruit de l'arrivée de cette armée et par leur propre inclination, se réunirent cependant à Rheims. La députation des Tréviriens les y attendait ayant à la tête Tullius Valentinus, ardent instigateur de la guerre. Cet homme, fait pour émouvoir les passions de la multitude, et dont l'éloquence animée entraînait ses auditeurs, prit le premier la parole. Son discours, rempli d'invectives contre la tyrannie des Romains, portait l'empreinte de la haine qu'excitait leur domination C'est ce que Tacite appelle les reproches qu'on fait ordinairement aux grands empires.

Mais Julius Auspex, l'un des primats des Rhémois, qui prit la parole à son tour, ne tarda pas à effacer ces impressions. Il représenta fortement à ses concitoyens les avantages qu'ils pouvaient retirer de la continuation de la paix, au licu de braver la puissance des Romains, et cela dans le moment où les légions romaines étaient déjà pour ainsi dire sur leurs têtes. Il ne manqua pas également de leur rappeler que les plus lâches pouvaient bien allumer une guerre, mais que les dangers n'en retombaient que sur les plus sages et les plus valeureux. Il ramena par les considérations de la prudence et de la bonne foi, les plus sages, et contint la jeunesse par l'image des dangers. On dit, comme chose certaine, que ce qui nuisit aux Tréviriens auprès des Gaulois, fut d'avoir joint leurs troupes à celles de Verginius contre Vindex. Mais ce qui contribua le plus à éloigner les esprits de l'idée de la guerre, fut la discorde que produisirent, avant même que la victoire n'eut été remportée, les prétentions et la rivalité des cités. Les députés de chacune s'opposant avec aigreur, les uns leurs alliances, les autres leurs forces et leurs richesses ou l'antiquité de leur origine, se disputaient la présidence et la direction de la guerre, et en cas de succès le choix de la future capitale de l'empire. La crainte des dissentions fit qu'on s'en tint au présent. On loua le courage de Valentinus et s'en tenant aux conseils d'Auspex, on écrivit au nom des Gaules aux Tréviriens de poser les armes, que leur pardon pouvait s'obtenir s'ils le demandaient, et que les intercesseurs étaient prêts. Valentinus s'obstina et en

traîna ses concitoyens, s'occupant cependant moins de préparatifs de guerre que d'assemblées et de harangues.

Cette détermination du conseil général des Gaules porta un coup mortel aux projets de Civilis, dont elle arrêta tout d'un coup les succès. La conduite des confédérés et la sienne propre ne contribuèrent pas à conjurer l'orage qui se préparait, ou au moins à lui opposer des moyens de résistance efficaces. Tandis que Civilis perdait son temps et s'égarait dans les marais et les bois de la Belgique, poussé par le vain desir de prendre ou chasser Labeo, les Tréviriens et les Langrois négligèrent de préparer des moyens correspondans à la grandeur de leur entreprise; leurs chefs n'étaient pas même d'accord entre eux. Tutor négligeait de fermer aux Romains les passages du haut Rhin et des Alpes. Cependant les troupes romaines s'avançaient vers les Gaules, et déjà la vingt-unième légion pénétrait par Vindonisa en même temps que Sextilius Félix avec les cohortes auxiliaires par la Rhetie. Il s'y joignit le régiment de cavalerie des Singulaires (1) qui, du parti de Vitellius, avait passé à celui de Vespasien; il était commandé par Julius Briganticus, fils d'une sœur de Civilis, ennemi mortel de son oncle, et se haïssant avec l'intensité ordinaire aux querelles de famille. Tutor avait renforcé les Treviriens par une levée de Vangions, de Caracates et de Triboques, et un corps vétéran d'infanterie et de cavalerie, formé de légionnaires en partie corrompus par les promesses, en partie subjugués par la crainte. Ces derniers taillèrent d'abord en pièces une cohorte de Sextilius; mais lorsque les généraux et l'armée romaine s'approchèrent, elles s'y joignirent par une nouvelle désertion. Les Triboques, les Vangions et les Caracates suivirent leur exemple. Tutor, accompagné de ses Treviriens, ayant évité Mayence, se retira à Bingium (Bingen), où il se croyait en sûreté, ayant fait couper le pont de la Nahe. Mais les cohortes de Sextilius étant arrivées, on trouva un gué, et

(1) Ala singularium. Ce régiment campait au prétoire, et prenait rang avec les prétoriens.

Tutor fut trahi et battu. Cette défaite abattit les Treviriens; le peuple jetta les armes et se répandit dans les campagnes; quelques-uns des chefs, pour se faire voir les premiers à poser les armes, se réfugièrent dans les cités voisines. Les légions qui avaient été conduites de Novesium et de Bonne (la seizième et la première), profitant de l'absence de Valentinus, prêtèrent d'elles-mêmes serment à Vespasien; mais craignant qu'à son retour, furieux de son échec, il ne replongeât sa patrie dans le trouble et la confusion, les légions se retirèrent chez les Mediomatrices (1), cité alliée. Valentinus et Tutor firent reprendre les armes aux Treviriens, et, pour les enchaîner dans le crime en leur ôtant l'espoir du pardon, ils leur firent égorger les légats Hérennius et Numisius..

Tel était l'état de la guerre lorsque Cerialis entra à Mayence; son arrivée releva l'espoir des Romains. Avide de combats et plus disposé, à mépriser l'ennemi qu'à le craindre, il enflammait les soldats par ses discours, annonçant qu'où il pourrait joindre les ennemis, il ne laisserait pas échapper l'occasion de combattre. Il renvoya les levées faites dans les Gaules, en faisant dire aux cités : « que l'empire avait assez de ses légions » et que les alliés pouvaient retourner à leurs travaux paisi»bles, certains qu'une guerre entreprise par les Romains pouvait être regardée comme terminée. » Il maintint ainsi dans la soumission les Gaulois à qui le renvoi de leurs enfans faisait plus facilement supporter les tributs, et qui devinrent plus prompts à des services qu'on paraissait dédaigner. Cependant Civilis et Classicus, apprenant la défaite de Tutor, les pertes des Treviriens et les succès de l'ennemi, inquiets eux-mêmes, se hâtent de réunir leurs troupes dispersées, et dépêchent courriers sur courriers, à Valentinus, pour l'engager à ne pas trop se hazarder. Cerialis, de son côté, mit d'autant plus d'empressement à envoyer des officiers aux légions qui étaient

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(1) Il paraît que ce camp est celui dont on voit des traces, correspondantes au campement de deux légions, près de Longeville et de Saint-Avold. Il est indiqué sur la carte sur la route de Divodurum (Metz) à Mayence, au-delà de Curticellae (Courcelle).

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